Clovis, Jeanne d’Arc et Voltaire sont-ils absents des manuels scolaires, comme le dit François Fillon ?

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François Fillon au "MuséoParc Alesia", en 2012, près d'Alise-Sainte-Reine en Côte-d'Or. © JEFF PACHOUD / AFP
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Interrogé jeudi soir sur ces "personnages importants" qui auraient disparu des programmes, le député de Paris a cité spontanément Clovis, Jeanne d’Arc, Rousseau et Voltaire. Et pourtant...

[Mise à jour] François Fillon est le candidat officiel de la droite pour la présidentielle 2017, après sa large victoire lors du second tour de la primaire dimanche 27 novembre

"Aujourd’hui, les programmes d’histoire sont rédigés par des idéologues qui veulent imposer leur vision de la société. (…) Dans la dernière instruction, on enlève Clovis, Jeanne d’Arc, même Voltaire et Rousseau". Jeudi soir lors du dernier débat de la primaire de droite, François Fillon a de nouveau défendu sa proposition d’élaborer un "récit national" à enseigner dans les programmes d’histoire à l’école. Le favori du scrutin dit vouloir s’entourer "d’académiciens" qui consulteront "les meilleurs historiens" afin de mettre en place un programme moins "idéologue".

"A cette rentrée disparaissent du programme plusieurs personnages importants français et européens : Jules César, Vercingétorix, Hugues Capet, Jeanne d'Arc, Gutenberg, Christophe Colomb, Copernic, Galilée, Richelieu, et même Voltaire et Rousseau ! Nous ne pourrons pas former une nation solide en lui faisant rejeter son passé", avait-il déjà martelé fin août dans Le Figaro. Une proposition qui lui a valu vendredi une levée de boucliers des historiens. Et pour cause : ces grandes figures de l’histoire de France n’ont tout simplement pas disparu des programmes. Qu’a donc voulu dire François Fillon ? Décryptage.

Clovis, Rousseau et Voltaire sont bien enseignés à l’école. Interrogé jeudi soir sur ces "personnages importants" qui auraient disparu des programmes, le député de Paris cite spontanément Clovis, Jeanne d’Arc, Rousseau et Voltaire. Pourtant, Clovis est directement mentionné dans le titre d’un cours des programmes de CM1. Voltaire et Rousseau sont étudiés en quatrième en même temps que le "siècle des Lumières".

Quant à Jeanne d’Arc, les élèves peuvent la croiser deux fois : en CM1, lors d’un cours sur "le pouvoir royal, ses permanences et sur la construction territoriale du royaume de France" et en 5e, au travers du thème "Société, Eglise et pouvoir politique dans l’Occident féodal". La pucelle d’Orléans ne dispose, toutefois, plus d’un chapitre à part entière dans les programmes de CM1, comme c’était le cas auparavant. Mais une petite place dans les manuels scolaires de 5e lui est bien accordée :

Jules César, Vercingétorix, Hugues Capet, Gutenberg, Christophe Colomb, Copernic, Galilée et Richelieu, sont, eux aussi, tous au programme. Les chapitres des cours ne portent pas leur nom mais celui de la période dans laquelle ils s’inscrivent. Les programmes version 2016 accordent donc au moins autant d’importance aux événements sociaux, culturels et économiques (français et mondiaux) qu’aux figures en elles-mêmes.

Les historiens se mobilisent contre François Fillon. En réaction aux propos de François Fillon, l'Association des professeurs d'histoire et de géographie (APHG) a publié une tribune sur le site de FranceInfo pour dénoncer "l’instrumentalisation" de leur discipline. Ils défendent, par la même occasion, l’histoire telle qu’elle est enseignée aujourd’hui.

"La France, ses territoires, ses populations, ses régimes successifs, sont une construction progressive, un emboîtement de processus politiques, sociaux, économiques. Pas une création ex nihilo. Enseigner son histoire, c'est toujours la relier au contexte général de chaque période, aux grands mouvements qui dépassent le seul cadre français", développent les professeurs d’histoire signataire. Et de poursuivre : "On enseigne une histoire ‘vraie’, c'est-à-dire celle qui s'appuie sur les sources. Pas une histoire qui relèverait de l'invention ou du roman. Si récit il doit y avoir, il ne peut être que celui qui prend en compte tous les acteurs de cette histoire, et tous ses aspects, les moments où la France est du côté du progrès comme ceux où elle vit des heures sombres".

Une divergence de méthodologie. Mais cette mise en retrait des "figure françaises" de l’histoire au profit d’une complexité des événements parfois difficile à saisir des historiens eux-mêmes entraîne, selon François Fillon, la remise en cause de l’histoire française.

"La lecture des nouveaux programmes d'histoire à l'école primaire est consternante. Selon le ministère, à l'école primaire, les maîtres doivent apprendre aux enfants ‘à comprendre que le passé est source d'interrogations’. Les faire douter de leur histoire: cette instruction est honteuse! Au moment où les théories révisionnistes prolifèrent sur Internet, à l'heure où notre patrie est en quête de sens, où les replis communautaires nous divisent, faut-il que l'École renonce à faire le récit de la nation?", s’interrogeait-il dans Le Figaro. Et de poursuivre : "Nous ne pourrons pas former une nation solide en lui faisant rejeter son passé. Notre histoire a des moments glorieux, des moments tragiques mais elle est un tout. Nous devons l'assumer et nous n'avons pas à nous en excuser".

En clair, François Fillon et  l’APHG disent substantiellement la même chose : il faut apprendre les zones d’ombre comme les succès de la France. Mais leur divergence est d’ordre méthodologique : le député de Paris veut transmettre ces succès et ces zones d’ombres au travers de grandes figures et événements "symboliques", là où les historiens veulent transmettre toute la complexité d’un événement pour mieux le comprendre, tout en soulignant que notre connaissance de l’histoire est en perpétuelle évolution au grès des découvertes des chercheurs.

Cité par FranceInfo, le journaliste spécialisé dans la vulgarisation de l’histoire, Jean-Christophe Piot, résume ainsi : "Beaucoup reprochent aux programmes d’histoire de délaisser les grandes figures emblématiques pour une histoire sociale, économique, culturelle dont on sous-entend qu’elle aurait le défaut d’être un peu pénible. C’est honnêtement un peu vrai parfois". Et de conclure : "Les programmes scolaires, c’est comme la corrida ou la vraie recette du gratin dauphinois, on finit toujours par se jeter la vaisselle à la tête".