Le Pen fille plus forte que Le Pen père

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COTES D’AVENIR - Marine Le Pen navigue dans des sphères que son père n’a jamais pu atteindre.

LE CHIFFRE - Le dernier baromètre TNS Sofres pour Le Figaro Magazine, révélé jeudi, a fait l’effet d’une bombe. Marine Le Pen y apparaît en effet en troisième position des personnalités politiques dont les Français souhaitent qu’elles aient "un rôle important à l’avenir", avec 33% de réponses favorables. Jamais la présidente du Front national n’avait atteint une telle aura. Et c’est encore plus vrai pour son père Jean-Marie, qui n’a jamais atteint un tel niveau entre 1983, date de la création de la mesure, et 2011, quand il a laissé les rênes du parti d’extrême droite à sa fille.

Cette différence est criante sur le graphisme suivant :  

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>>> Explications du phénomène avec Emmanuel Rivière, directeur de département au sein de l'unité Stratégies d'Opinion de TNS Sofres.

Une action par à-coups pour l’un, dans la durée pour l’autre

La courbe de Jean-Marie Le Pen frappe d’abord par son caractère accidentée. En 27 ans d’étude, la cote d’avenir du fondateur du FN n’a cessé de faire le yo-yo. "Ce qui était frappant avec Jean-Marie Le Pen, c’est que ses ascensions se faisaient pendant les séquences électorales qui le mettaient en valeur et notamment la présidentielle", remarque Emmanuel Rivière. "Il y avait une sorte de décrue lorsqu’il disparaissait du paysage. Puis il revenait et réalisait de gros scores, c’était impressionnant", se rappelle l’expert. L’exemple de mai 1995 est éloquent. Jean-Marie Le Pen y atteint son plus haut (31%) à l’occasion d’une enquête sur l’entre-deux-tours de la présidentielle à venir. La chute, un mois plus tard, est tout aussi soudaine. Le même effet, moins spectaculaire, est aussi visible en 2002.

Pour Marine Le Pen, la donne est différente, avec une courbe en progression quasi-constante. "Elle s’est hissée progressivement et s’est installée structurellement entre les 25 et 30%, et même au-delà. Contrairement à son père, c’est une place qui est pérenne", explique Emmanuel Rivière. "Et l’explication de cette pérennité, c’est que depuis quelques années, elle arrive à être au centre du jeu, en imposant ses thématiques et en faisant en sorte que les acteurs de la vie politique, du PS comme de l’UMP, se positionnent par rapport à l’hypothèque que fait peser le FN", poursuit-il. Dernier exemple en date : le débat pour savoir si le FN est un parti d’extrême droite. "Cela sert évidemment Marine Le Pen. On se met à commenter conceptuellement sur la place du FN, mais on le replace surtout une nouvelle fois au centre du jeu", analyse le spécialiste de la Sofres.

Des dérapages pour lui, un contrôle total pour elle

L’autre facteur qui explique la différence de popularité entre les deux membres de la famille Le Pen tient évidemment à leur personnalité. Jean-Marie Le Pen ne craignait pas de créer le scandale par des dérapages tonitruants. Sa sortie sur la Shoah, en septembre 1987 (vidéo ci-dessous), le fait ainsi redescendre à 9% d’opinions favorables dans le baromètre d’octobre. Point de tout cela pour Marine Le Pen. "Elle fait extrêmement attention, chaque mot est pesé", analyse Emmanuel Rivière.

 Le Pen - Un point de détail de l'histoire...par Btoux_1979

D’ailleurs, la seule dégringolade de la courbe de Marine Le Pen, en septembre 2011, correspond à un dérapage de… Jean-Marie Le Pen, qui avait imputé la responsabilité de la tuerie d’Oslo, en juillet 2011, aux errements du gouvernement norvégien. "On était retombé dans les travers du FN, qui provoquent beaucoup d’hostilité", estime Emmanuel Rivière. "Jean-Marie Le Pen avait rétabli cette proximité que sa fille s’efforce absolument d'abolir entre l’extrême droite dans sa manifestation la plus violente et ce qu’elle voudrait être, c’est-à-dire un parti de droite traditionnelle."

La prudence est d’autant plus de mise pour Marine Le Pen que sa popularité reste fragile. "Tous les nouveaux électeurs séduits par le FN, qui se disent que c’est eux qu’il faut maintenant essayer parce que les autres ont échoué, sont moins convaincus, plus fragiles", rappelle Emmanuel Rivière. "Il y a des limites à ne pas dépasser, et on ne sait pas très bien encore où cette limite se situe."

Le risque des dissensions internes

Si la côte d’avenir de Marine Le Pen est fragile, c’est aussi car un autre écueil pourrait survenir. "Si on dit que le FN à tendance à se banaliser, il faut admettre aussi qu’il peut lui arriver la même chose qu’aux autres formations politiques, c’est-à-dire redescendre sur un faux pas. Eux aussi sont exposés aux querelles internes, aux dissensions, aux rivalités de personne et les ambitions individuelles leur portent préjudice", explique Emmanuel Rivière. "Marine Le Pen n’est pas à l’abri de cela. On sait qu’il y a des interrogations au FN entre une nouvelle génération, de nouvelles têtes, de nouvelles pratiques, et les tenants d’une conception plus ancienne et plus fidèle à ce qu’avait fait son père".

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Et la courbe de Jean-Marie Le Pen est là pour montrer les dégâts qu’une querelle interne peut causer. Le fondateur du Front national a ainsi stagné à un niveau très bas pendant de longs mois suite à la scission perpétrée par le "félon" Bruno Mégret (photo) en décembre 1998. Il faudra la présidentielle de 2002 pour que le Front national renaisse de ses cendres.

Et maintenant, des alliances ?

Marine Le Pen a donc beau être dans une bonne dynamique, son accession au pouvoir reste hypothétique. "Pour exercer le pouvoir, il faut être un jour en situation de convaincre plus de la moitié des Français. Et la condition préalable pour le FN comme pour d’autres partis, c’est d’élargir son assise, c’est-à-dire nouer des alliances", rappelle Emmanuel Rivière. "Marine Le Pen le sait parfaitement, et son programme, à un moment, va être de se tourner vers l’UMP. C’est la prochaine étape", pronostique le spécialiste. Et ce dès les municipales ? Réponse en mars 2014.