Qui décide de créer tel ou tel emoji (et pourquoi cela pose problème) ?

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Alexis Patri , modifié à
Invités de "Culture Médias", Jean-Bernard Schmidt, co-fondateur du média Spicee à l'origine du documentaire "La Face cachée des emojis", et Pierre Halté, linguiste et auteur du livre "Les émoticônes et les interjections dans le tchat", expliquent pourquoi ces petits dessins numériques ne sont pas si innocents qu'ils en ont l'air.

Ils ont, en quelques années, envahi tous nos échanges numériques. Les emojis, ces petits dessins disponibles sur nos claviers de téléphones, ponctuent bon nombre de nos échanges. Mais leur création soulèvent des questions bien moins anecdotiques que ce que l'on imagine, comme l'expliquent dans Culture Médias le co-fondateur du média Spicee à l'origine du documentaire La Face cachée des emojis Jean-Bernard Schmidt, et le linguiste et auteur du livre Les émoticônes et les interjections dans le tchat, Pierre Halté.

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Des créations pas si transparentes

Contrairement aux premiers emojis, les smileys de type :-) créés à partir de signes de ponctuation, les emojis déjà dessinés ne sont pas libres d'être créés par tout un chacun. "Les emojis sont régentés, décidés par un consortium, qui s'appelle le consortium Unicode, et qui est composé de représentants des géants du numérique", dévoile Jean-Bernard Schmidt. "Ils se réunissent pour unifier le langage des emojis entre les différents systèmes d'exploitation de nos appareils numériques."

Ce consortium décide des images qui intégreront, ou non, notre quotidien, à raison d'une soixantaine de nouveaux emojis par an, en moyenne. Un chiffre décidé par le service marketing d'Apple. "C'est loin d'être neutre", estime le co-fondateur de Spicee. "Ce consortium se réunit de façon assez secrète, et l'entrée d'un emoji est soumis à des règles non-écrites auxquelles il est difficile d'avoir accès."

Ce fonctionnement et l'importance prise aujourd'hui par les emojis ont pour conséquence de véritables campagne pour faire naître tel ou tel emoji. Ainsi, une guerre marketing a fait triompher l'emoji fondue face à celui de la raclette, avec de possibles retombées économiques sur les deux spécialités régionales.

Une guerre marketing... et politique

Parfois, la guerre des emojis est même politique. Ainsi, la Chine a réussi à imposer que le drapeau tibétain ne soit proposé sur les claviers de nos téléphone. "C'est très révélateur des motivations profondes de ceux qui décident de l'entrée ou non d'un emoji dans le langage numérique", observe Jean-Bernard Schmidt.

Sommes-nous sur une pente glissante vers la censure ? "C'est en tout cas problématique de confier nos objets et nos émotions à des gens qui ont des intérêts uniquement marketing", analyse le linguiste Pierre Halté. "On assiste à une standardisation croissante des capacités expressives. Laisser ces signes-là aux mains de grandes entreprises, c'est confier les représentations de nos émotions, car c'est à cela que servent nos emojis, à ces gens-là."

Une problématique que Jean-Bernard Schmidt résume en empruntant une formule à l'un des intervenants du documentaire La Face cachée des emojis : "C'est comme si le fabricant de stylo décidait ce que vous avez le droit d'écrire ou non avec le stylo qu'il vous vend", explique-t-il, ajoutant que les entreprises d'Internet ne sont pas les "géants cools" que l'on imagine souvent.