Faut-il s'inquiéter pour les chaînes de télévision françaises ?

Dans son livre, Bruno Patino ouvre un débat sur le modèle actuel de la télévision.
Dans son livre, Bruno Patino ouvre un débat sur le modèle actuel de la télévision. © JOEL SAGET/AFP
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Guillaume Perrodeau
Dans son ouvrage "Télévisions", Bruno Patino, ancien directeur général délégué aux programmes de France Télévisions, annonce la mort du système télévisuel tel qu'on le connait aujourd'hui.

C'est un livre qui devrait faire parler, à double titre. D'abord parce que Télévisions, de Bruno Patino, en librairie le 12 octobre, raconte à la fois les coulisses de ses cinq années passées à France Télévisions (dont deux comme directeur général délégué aux programmes de France Télé). Ensuite, parce que le livre fait un point sur les nouveaux concurrents que rencontre le petit écran. Et l'horizon s'annonce nuageux.

Le paradoxe des images. Dans son livre, Bruno Patino ouvre un débat sur le modèle actuel de la télévision. Son passage chez France Télévisions a fait de lui un observateur privilégié des évolutions de la petite lucarne. Et à l'heure de coucher sur le papier ses constats, l'ancien directeur général des programmes est clair. Une révolution est en cours, elle va se poursuivre et les premiers touchés risquent bien d'être les chaînes de télévisions.

Bruno Patino donne une équation simple pour étayer son analyse. Dans les grandes lignes, il y a une multiplication des chaînes de télévision depuis des années (TNT, câble), une fragmentation de l'audience due à la multiplication des écrans (tablettes, téléphones mobiles, ordinateurs) et une hyper-production télévisuelle. La somme de ce calcul est simple. Des vidéos partout et une omniprésence des images qui, paradoxalement, "sonne le glas de la domination télévisuelle" et entraîne "une marginalisation des chaînes". Car si le temps passé devant un écran et des vidéos augmente, il ne peut pas être étendu à l'infini. Mais c'est surtout le temps passé devant une chaîne TV qui risque de fortement diminuer, car les télévisions connectées appellent à d'autres pratiques.

Netflix sous-estimé par le monde de la télé ? Les chaînes de télévision sont-elles prêtes pour une telle modification des usages ? À en croire Bruno Patino, pas forcément. L'exemple le plus frappant est sans doute celui de l'arrivée de Netflix en France, en septembre 2014. Le service de VOD "a longtemps été considéré par le milieu de la télévision française comme une anomalie américaine, une création numérique momentanée qui se heurterait à l'exception culturelle française et à sa réglementation particulière", explique le dirigeant de presse.

Pourtant, il suffisait de regarder outre-Atlantique, où Netflix est déjà implanté depuis longtemps, pour mesurer l'impact du service sur les habitudes des téléspectateurs. "Netflix a privé les chaînes de télévision d'un tiers du temps passé devant le poste" aux Etats-Unis, indique Bruno Patino. On regarde toujours la télévision, autant qu'avant, mais pas forcément pour zapper entre les différentes chaînes. En effet, les télévisions connectées proposent au spectateur un nouvel éventail de productions. Ce qui fait dire à Bruno Patino, qu'en France : "le succès de Netflix n'est pas certain, les difficultés à venir des chaînes privées de télévision, elles, le sont".

Autre exemple frappant, celui de l'arrivée du "live" sur les plates-formes numériques sociales, à la manière de Periscope sur Twitter ou encore Facebook Live. Pour Bruno Patino, cette venue est symboliquement très forte. Elle "a mis fin à un monopole qui semblait indestructible" pour les chaînes TV : le direct. Attaquée de toutes parts, par des nouvelles manières de raconter le monde et de les proposer, les chaînes ont-elles encore les moyens de riposter ?

 

Deux ouvrages en un. Il y a deux livres dans Télévisions et le second offre un aperçu des coulisses de France Télévisions. Du petit jeu des SMS sur les audiences le matin, jusqu'à des portraits des pontes de la TV, Bruno Patino raconte le quotidien du groupe audiovisuel public. Laurent Ruquier y est décrit comme une "formidable machine professionnelle" ; Frédéric Taddéï comme "un personnage de film italien des années 1960, égaré dans la télévision des années 2000" ; Michel Drucker ? "Sa seule obsession : durer".