Etienne Gernelle 1280 7:30
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Romain David , modifié à
Au micro de Philippe Vandel mercredi, sur Europe 1, Etienne Gernelle, le directeur de la publication du "Point", a défendu la Une qui a suscité l'ire du président turc.
INTERVIEW

La tension monte entre le président turc Recep Erdogan et l’hebdomadaire Le Point. Au cœur de la polémique : la Une cette semaine du magazine où l’on voit le portrait du chef d’Etat qui fait le salut militaire, avec ce titre : L’éradicateur. Ce dernier a porté plainte contre deux journalistes : Etienne Gernelle, le directeur de la publication, et Romain Gubert, le rédacteur en chef international, au nom de l’article 299 du code pénal turc qui punit tout offense au chef de l’Etat.

"Pourquoi L’éradicateur ? Parce qu'Erdogan fait du nettoyage ethnique. Il ne s’agit pas de menaces, il le fait. Il l’avait fait en 2018 à Afrin (ville du nord-ouest de la Syrie, ndlr), il recommence. Il faut arrêter de faire des euphémismes", a défendu Etienne Gernelle mercredi, au micro de Philippe Vandel dans Culture médias sur Europe 1 Le journaliste revendique également une couverture "islamistophobe". "Erdogan est un islamiste, il est proche des Frères musulmans, c’est un propagandiste de l’islam politique, y compris en France. On ne défend pas les islamistes, c’est sûr !"

Surtout, Etienne Gernelle estime qu'il s'agit moins d'un titre éditorialisé qu’informatif, car étayé selon lui par le travail d’enquête des journalistes du Point. Le magazine dénonce ainsi l’offensive turque dans le nord de la Syrie comme un prétexte pour chasser l'ensemble de la communauté kurde installée dans cette zone. "On a fait des reportages sur place où l’on raconte les populations déplacées, les exécutions sommaires, la peur des habitants. On raconte également les alliances entre les Turcs et des anciens de Daech et d’Al-Qaïda. En Syrie, les Turcs sont alliés avec des djihadistes", explique-t-il.

L’article 299, un outil de répression des oppositions

Recep Erdogan s’en était déjà pris à la une du Point en mai 2018. Le magazine avait titré encore plus fort : Erdogan le dictateur. À Paris, des partisans du président turc avait arraché des affiches du Point et menacé des kiosquiers qui vendaient le titre. Face à cette nouvelle plainte, Etienne Gernelle dénonce une forme de "censure politique" de la part d’Ankara. "C’est quelque chose qui nous empêche de travailler. Je ne peux pas envoyer des journalistes en Turquie dans ces conditions-là, en tous cas pas de manière officielle", glisse-t-il. "On doit également faire attention dans les pays où l’on va, on ne connait pas les conditions d'extradition de la Turquie avec les autres", ajoute encore le patron du Point. "C’est une vraie censure à distance, ou une tentative. En tout cas, car on ne cédera rien", assure-t-il.

En Turquie, une soixantaine de journalistes ont déjà été condamnés au nom de l’article 299, et une dizaine de procédures judiciaires sont en cours. L’article 299 est ainsi devenu l’un des principaux moyen de l’arsenal répressif utilisé par l’administration de Recep Erdogan. "L’article 299 revient en avant de la scène à chaque fois que des reporters mettent en cause la corruption politique, que des chroniqueurs critiquent le comportement autoritaire d’Erdogan", relève auprès d’Europe 1 Erol Önderoğlu, le représentant de Reporters sans frontières en Turquie. "Mais c’est la première fois que des journalistes étrangers se voient faire l’objet d’une enquête judiciaire sur la base de cet article". Selon la loi turque, les contrevenants risquent jusqu’à quatre ans et huit mois de prison.