Comment la télé fait parler les gens

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Les émissions de témoignages sont légion à la télévision. Aux journalistes de trouver la perle rare.

Depuis plusieurs années déjà, l’homme et la femme de la rue ont envahi les écrans de télévision. Monsieur ou madame tout-le-monde racontent, qui son petit travers, qui son drame familial, qui sa vision des choses. Avec ce problème épineux pour les journalistes : dégotter le témoin idéal, et si possible inédit sur le petit écran.

Et parfois, le dérapage guette. Comme le montre l’histoire récente de François. Interrogé sur sa passion pour le tuning, ce Breton est tombé des nues quand le reportage, diffusé le 25 mai dernier dans le cadre de 100% Mag, sur M6, le présentait comme un indécrottable macho. Jointe par Europe1.fr, la sixième chaîne, qui a reconnu la faute et présenté ses excuses, renvoie vers Spinnaker, la société de production qui a réalisé le reportage. Qui elle-même observe un silence radio.

Surenchère

Car M6 n’est responsable de la faute qu’en tant que diffuseur. Hormis pour les sujets people, la chaîne, comme ses concurrentes historiques, mais aussi de la TNT, use, et parfois abuse de la sous-traitance. via des sociétés de production de taille variable qui se disputent le marché juteux du reportage-témoignage. Pour elles, deux cas de figure. Soit elles signent un contrat avec la chaîne en début de saison pour un nombre précis de reportages - c’est le cas des plus grosses sociétés. Soit elles parviennent, au coup par coup, à vendre un sujet en cours d’année.

Dans un secteur si concurrentiel, la surenchère est vite arrivée. "Quand une petite boîte parvient à vendre un séquencier à une chaîne avec des éléments précis dedans, notamment des témoignages, eh bien il faut ensuite trouver ces éléments à tout prix", explique anonymement un journaliste. D’où, parfois, la nécessité de travailler vite. Et d’"oublier" de tout dire à la personne interrogée. "Trouver un macho qui accepte de parler parce qu'il est macho, c'est difficile", plaide le journaliste. Et pour des sujets tels que "Liposuccion, les hommes s'y mettent" (100% Mag du 26 mai) ou "les hommes adoptent la bimbo attitude" (24 mai), on comprend qu'il peut s'avérer difficile d'aborder le sujet de front.

"La source numéro un, c’est Internet"

L’existence d’un reportage commence donc quand une société de production parvient à le vendre à une chaîne, à partir d’un synopsis. Le plus dur commence alors : trouver l’interlocuteur adéquat. "Chaque boîte de prod’ a un fonctionnement différent", explique à Europe1.fr Violaine Molinaro, qui travaille pour Spica production. "Nous, on travaille en binôme, un journaliste et un caméraman. Chez d’autres, tout est casté, et un JRI (journaliste reporter d’image) par réaliser seul le reportage."

Dans ce dernier cas, l’importance du travail en amont est vitale. Beaucoup de sociétés emploient donc à l’année des enquêtrices (ce sont en grande majorité des femmes). "Surtout pour des émissions comme Confessions intimes (TF1) ou Pascal, le grand frère (TF1), où il faut des personnages atypiques et hauts en couleurs", confirme un JRI qui a collaboré avec beaucoup de sociétés de production. "Elles passent alors beaucoup de temps au téléphone, sur Facebook, sur les forums, sur les blogs. La source numéro un, c’est Internet."

"Il faut beaucoup parler aux gens"

Une fois le témoin identifié, il faut alors l’interroger face caméra. Et les problèmes surviennent. "Souvent, les gens qui veulent absolument passer à la télé sont des mauvais clients. Parce qu’ils en font trop, ils en rajoutent, ne sont pas sincères", assure Pierre Dehorne, JRI passé notamment par 100% Mag. "Il faut beaucoup parler aux gens, leur expliquer. Surtout que pour certains, la télé a une image négative." Et il faut éviter les pièges. "Quand on travaille sur des sociétés, elles nous font parfois passer pour un client quelqu’un qui est en fait un proche", affirme le JRI Matthieu Poissonnet. "On est alors obligés d’arrêter le tournage en plein milieu." Et donc repartir de zéro.

Et puis il y a des journalistes qui prennent quelques libertés. "Il y a ceux qui prétendent que la manipulation est destinée à rétablir la vérité, elle-même effacée par la présence de la caméra", indique, sous couvert d’anonymat, un journaliste passé notamment par TF1. "Il y a ceux aussi qui se disent : ‘J’ai un sujet à tourner, je ne vais pas attendre que les choses se passent sous mes yeux, sinon je vais être obligés de passer l’année chez le témoin’. Ils font donc dire à la personne ce qu’ils veulent entendre."

Avec, parfois, quelques sévères distorsions de la réalité. François-le-fan-de-tunning peut en témoigner.