Syrie - Alep : pourquoi l’ONU a échoué

Plus de 100.000 personnes seraient encore piégées dans la zone rebelle d'Alep.
Plus de 100.000 personnes seraient encore piégées dans la zone rebelle d'Alep. © GEORGE OURFALIAN / AFP
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avec Agences , modifié à
Paralysée par le veto russe et son impuissance, la communauté internationale n’a pas su éviter le drame humanitaire qui touche la deuxième ville syrienne. 

Face au drame d’Alep, la communauté internationale a acté son impuissance. Alors que la deuxième ville de Syrie est sur le point de tomber entre les mains des forces pro-gouvernementales et que des milliers de civils attendent leur évacuation dans la peur d’être tués, l’ONU n’a jamais réussi à infléchir la situation. Le point d’orgue de mois de dissensions et d’absence d’initiative.

  • Un fonctionnement source de blocage

Depuis le début du conflit syrien, mi-mars 2011, le Conseil de sécurité, organe exécutif de l’ONU composé de cinq membres permanents (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie), est paralysé par l’opposition systématique des Russes et des Chinois. Début décembre, la Russie a ainsi mis son sixième veto et la Chine son cinquième à une résolution soutenue par Washington, Londres et Paris, réclamant l'arrêt des bombardements sur les quartiers est d'Alep pour permettre l'acheminement de l'aide humanitaire.

"La force de l’ONU c’est sa faiblesse. Tout le monde est autour de la table et il faut donc prendre en compte les positions de chacun. Or, la position clé est celle de la Russie, qui utilise le conflit syrien pour effectuer son retour sur la scène internationale. Il y a une volonté de rétablir l’équilibre entre Moscou et Washington", analyse Marc Pierini, ancien ambassadeur de l’UE en Syrie et en Turquie, chercheur à Carnegie Europe, interrogé mardi sur Europe 1.

La Russie s’est en outre montrée inflexible, soutenant constamment son allié Bachar al-Assad. "Moscou a obtenu ses objectifs à la russe. La souffrance humaine n’est pas un facteur pour eux. C’est une tragédie inscrite depuis longtemps dans la stratégie russe. Alep, c’est Grozny (la capitale de la Tchétchénie assiégée par les Russes dans les années 1990, ndlr) : on rase tout, et on verra après", résume Marc Pierini.

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  • L’incapacité à trouver une solution politique

Si la prise d’Alep est une grande victoire pour Bachar al-Assad, le conflit syrien est encore loin d’être réglé. Les forces gouvernementales ont désormais la main sur les trois principales villes du pays, mais des groupes rebelles contrôlent une partie du nord-ouest et du sud, tandis que l’État islamique reste maître à l’est. "Il n’y aura pas de résultat militaire stable sans solution politique", a assuré Staffan de Mistura, l’envoyé spécial des Nations unies en Syrie, chargé de pilote le processus de paix.

Sauf qu’à l’heure actuelle, les discussions sur une transition en Syrie sont dans l’impasse. La résolution 2254 du Conseil de Sécurité, qui a adopté en décembre 2015 une "feuille de route" pour la paix, n’a jamais réussi à réunir le régime et l’opposition autour d’une table. Le dernier round de pourparlers indirects s'était ainsi achevé en avril sans aucun progrès, notamment sur la question clé d'un futur gouvernement syrien et du sort réservé à Bachar al-Assad.

  • Un manque de leadership

Face à l’obstination de la Russie et à la difficulté de trouver une solution diplomatique, l’ONU s’est montrée bien désarmée. Des corridors humanitaires, pour acheminer l’aide aux civils restés à Alep, ont été souvent évoqués mais jamais mis en place. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a ainsi fustigé les Nations unies pour leur échec à créer une zone de sécurité en Syrie pour abriter les réfugiés. "Hé, les Nations unies ! Où êtes-vous ?" a-t-il lancé mercredi.

La discrétion de Ban Ki-Moon, le secrétaire général dont le mandat se termine à la fin du mois de décembre, a également été vivement critiquée sur la scène internationale. "La personnalité du secrétaire général sortant, Ban Ki-Moon, n’a probablement pas été un atout majeur", abonde François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique, interrogé mercredi sur Europe 1.

L’arrivée le 1er janvier prochain d’Antonio Guterres à la tête de l’ONU peut-elle dès lors change la donne ? "Monsieur Guterres est peut-être plus apte à jouer le rôle qui risque d’être celui de l’ONU maintenant, c’est-à-dire faciliter un début de solution politique au conflit en Syrie", espère François Heisbourg. Le Portugais, ancien Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, a en tout cas appelé l’organisation à se réformer en profondeur. Une limitation du droit de veto, portée par la France et le Mexique depuis 2014, pourrait être à nouveau étudiée. Mais la tâche est loin d’être gagnée : la Russie, une nouvelle fois, a catégoriquement rejeté cette option.