Traité INF sur les armes nucléaires : "la décision américaine est un véritable retour en arrière" de 30 ans

Donald Trump affirme que la Russie de Vladimir Poutine ne respecte plus le traité INF de 1987.
Donald Trump affirme que la Russie de Vladimir Poutine ne respecte plus le traité INF de 1987. © Brendan Smialowski / AFP
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Mathilde Belin , modifié à
Donald Trump a annoncé sa volonté de se retirer d’un traité sur les armes nucléaires, conclu avec la Russie pendant la Guerre froide, qui pourrait conduire "à une nouvelle course à l'armement", selon l'historien Pierre Grosser. 
INTERVIEW

C'est une nouvelle annonce choc du président américain sur le plan international : après s'être retiré de plusieurs traités internationaux, Donald Trump a affirmé samedi vouloir se retirer d’un accord majeur sur les armes nucléaires, le traité INF, conclu en 1987 avec Moscou, en pleine Guerre froide. Pour justifier cette annonce, le président américain assure que la Russie viole cet accord "depuis plusieurs années".

De son côté, le Kremlin affirme "être catégoriquement en désaccord" avec ces accusations, condamnant la décision "dangereuse" des États-Unis. Emmanuel Macron a lui aussi rappelé lundi "l’importance de ce traité, en particulier pour la sécurité européenne". Pierre Grosser, professeur agrégé à Sciences Po, spécialiste de l’histoire des relations internationales, analyse pour Europe 1 cette décision sans précédent.

Qu’est-ce que le traité INF dont veulent se retirer les États-Unis ?

"Le traité INF (pour 'Intermediate-range nuclear forces treaty') est le résultat d’une crise qui a commencé dans les années 1970. C’est la crise des euromissiles, qui a vu le déploiement par l’Union soviétique de missiles à portée intermédiaire, pouvant atteindre l’Europe depuis l’Oural. En réaction, les Américains ont installé à leur tour des fusées. En 1987, États-Unis et URSS finissent par conclure le traité INF, qui devient le premier grand traité de réduction, voire de disparition, des armements nucléaires de moyenne portée (de 500 à 5.500 km, ndlr), protégeant ainsi l’Europe.

Ce traité est symbolique, très fort, et a marqué les années 1980. Dans la foulée, ce sont près d’un cinquième des armes nucléaires dans le monde qui ont été détruites. On recensait à l’époque environ 60.000 têtes nucléaires, alors qu’elles se comptent en milliers seulement aujourd’hui. Cet accord est un véritable exploit de Ronald Reagan et de Mikhaïl Gorbatchev."

Donald Trump justifie sa décision en affirmant que la Russie ne respecte plus ce traité. Que sait-on de ces allégations ?  

"Oui, il existe des éléments d’inquiétude sur une constitution d’armements nucléaires par la Russie, qui viseraient l’Europe. Mais je pense que cela est très largement un prétexte pour les États-Unis, comme l’était la crise des euromissiles, pour déployer leurs missiles en Europe en cas d’escalade. Le conseiller à la Maison-Blanche pour la Sécurité nationale John Bolton prône depuis longtemps qu’il faut en finir avec ce traité sur les armes nucléaires. La vision unipolaire du monde (centrée sur la supériorité des États-Unis, ndlr) est au cœur du discours de John Bolton, qui la justifie par la nécessité d’une sécurité absolue du pays. L’idée est donc de plus en plus de surinvestir dans le nucléaire américain.  

" On peut craindre une nouvelle course à l'armement "

Une des raisons possibles de cet éventuel retrait américain serait de repartir avec des négociations qui incluraient cette fois la Chine. Car il y a une modernisation et une augmentation des forces nucléaires par Pékin, qui suscitent des interrogations sur sa réelle doctrine militaire. Le monde n’est plus seulement centré aujourd’hui sur les États-Unis et la Russie."

Si le retrait américain du traité devient effectif, doit-on craindre une nouvelle course à l’armement nucléaire ?

"Cette décision américaine est un véritable retour en arrière. On avait multiplié les règles et les accords pour créer des 'mesures de confiance' entre puissances. Désormais, les discussions sont moins denses sur le sujet, et quand les grandes puissances ne se parlent pas, ça ravive la spirale de la méfiance. Il n’y a plus beaucoup de confiance entre ces pays, on doit bien l’avouer.

Si le retrait devient effectif, on peut craindre une nouvelle course à l’armement. Après je ne pense pas qu’on remontera à des chiffres de têtes nucléaires aussi importants que ce qu'ils étaient pendant la Guerre froide, on ne revivra pas une crise semblable à celle des années 1980. Car si les Russes installent des missiles en Europe, il n’est pas sûr que les opinions y soient très favorables… Ce qui est effrayant en revanche, c’est que des trois côtés (américain, russe et chinois), on fait des efforts sur tous les types de guerre (spatiale, cyber-, conventionnelle…), mais les États-Unis veulent garder les mains libres sur le nucléaire. Et s’ils veulent maintenir leur supériorité dans le domaine, ils devront se retirer du traité INF. Avec cette administration Trump, on peut toujours avoir de mauvaises surprises."