Qui a tué la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia ?

La journaliste est morte dans l'explosion de sa voiture, en octobre à Malte (photo d'archives).
La journaliste est morte dans l'explosion de sa voiture, en octobre à Malte (photo d'archives). © Matthew Mirabelli / AFP
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Des journalistes issus de 18 médias européens, dont ceux d'Envoyé Spécial, ont repris les dossiers de la reporter tuée dans l'explosion de sa voiture, en octobre 2017. Ils cherchent également à remonter jusqu'aux commanditaires de l'attentat.

 

Le 18 octobre 2017, le Premier ministre maltais Joseph Muscat promet de retrouver les assassins de sa "plus grande adversaire". Daphne Caruana Galizia, 53 ans, est morte deux jours plus tôt, dans l'explosion de sa voiture, garée devant chez elle. En Europe, l'émotion est vive : c'est la première fois qu'un journaliste décède dans l'explosion d'un véhicule piégé au sein de l'Union Européenne. Sur l'île, le deuil touche presque chaque personne. Sur son blog "Running Commentary" ("commentaire continu"), la mère de famille écrit chaque jour sur la corruption, les scandales d'État et les tentatives d'intimidation dont elle fait l'objet. Le site compte 400.000 lecteurs, presque autant que la population maltaise.

"Les escrocs sont partout". Six mois plus tard, les assassins sont-ils identifiés ? Pour les journalistes et proches de Daphne Caruana Galizia, la réponse est non. Trois hommes sont pourtant inculpés dans ce dossier, accablés par des preuves matérielles. Mais 45 journalistes, issus de 18 médias européens et membres du collectif "Forbidden Stories" sont convaincus que les commanditaires de l'explosion n'ont, eux, pas encore été trouvés. Ce groupe, dont font partie Radio France, Le Monde et France 2, a repris l'enquête sur les dossiers explosifs que traitait la Maltaise, et cherchent à comprendre les ressorts de son assassinat. Europe 1 a pu visionner l'émission Envoyé Spécial, qui consacre un documentaire intitulé "Celle qui en savait trop" à ces investigations, jeudi soir.

D'après les premiers éléments recueillis par le collectif, l'attentat a été soigneusement préparé par ses exécutants. "J'ai entendu une explosion et j'ai su tout de suite que c'était une bombe", témoigne auprès de France 2 l'un des fils de la journaliste. Depuis des années, sa mère faisait l'objet de menaces, notamment de la part du parti travailliste au gouvernement, à propos duquel elle multipliait les révélations. "Les escrocs sont partout. La situation est désespérée", écrivait-elle sur son blog quelques minutes avant de mourir, selon Le Monde. La famille de Daphne Caruana Galizia avait déjà retrouvé son chien égorgé devant sa porte. A plusieurs reprises, leur maison avait été incendiée. "Elle a été tuée à cause de ce qu'elle écrivait, évidemment", lâche son fils.

Un ADN sur des mégots. Les trois hommes arrêtés, les Maltais George et Alfred Degiorgio, 55 et 53 ans, ainsi que Vincent Muscat, 55 ans, l'ont été sur la base d'éléments solides. L'un des frères est soupçonné d'avoir épié la mère de famille pendant plusieurs semaines dans une voiture de location, depuis les hauteurs en face de son domicile. Des mégots portant son ADN y ont été retrouvés. Le bateau de l'autre frère, surnommé le "Chinois", a pris la mer le jour du meurtre. C'est depuis l'embarcation que la charge explosive aurait été activée, selon les premiers rapports de police consultés par "Forbidden Stories". Le troisième homme, dont le téléphone a borné dans le quartier de la journaliste quelques jours plus tôt, est soupçonné d'avoir fabriqué la bombe.

Inculpés en décembre, les trois hommes, déjà condamnés pour des braquages, ont plaidé non coupable. Mais Daphne Caruana Galizia n'enquêtait pas sur le grand banditisme. "L'outil le plus agressif que le parti travailliste et le gouvernement utilisent contre moi, c'est de m'ostraciser socialement et de m'aliéner", confiait-elle devant le Conseil de l'Europe lors d'une audition sur les menaces faites aux journalistes, diffusée dans Envoyé Spécial. La quinquagénaire travaillait notamment sur la vente de passeports, une activité lucrative pour l'Etat maltais, qui attire ainsi les investisseurs désireux de voyager sans visa en tant que citoyen de l'Union européenne. Ou encore sur des soupçons de rétrocommissions visant l'ancien directeur de cabinet du Premier ministre maltais.

L'une de ces enquêtes a-t-elle été fatale à la mère de famille ? C'est la piste que continuent d'explorer le collectif "Forbidden Stories", mais aussi la police maltaise, dont le travail se poursuit. Le nom d'un homme, Chris Cardona, ministre de l'Économie de l'île, revient à plusieurs reprises dans leurs investigations. En janvier 2017, Daphne Caruana Galizia s'était attiré ses foudres en révélant qu'il fréquentait une maison close allemande. En représailles, le responsable avait gelé une partie des avoirs de la reporter jusqu'à un procès en diffamation. Selon des témoins interrogés par les journalistes, le ministre et deux des trois hommes inculpés dans le dossier se sont rencontrés à plusieurs reprises avant l'assassinat, dans un bar. Pour l'instant, aucun membre du gouvernement n'est officiellement mis en cause par la justice dans ce dossier.