La «flotte fantôme», l'arme russe pour contourner les sanctions occidentales

pétrolier russe
© ANGELOS TZORTZINIS / AFP
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avec AFP , modifié à
Selon les experts, la Russie a construit une "flotte fantôme" de navires pétroliers, en rachetant des tankers auxquels elle offre ses propres services d'assurance, dans le but d'exporter son pétrole malgré les sanctions imposées par l'Union européenne.

Depuis le début de l'invasion russe de l'Ukraine, le nombre de navires pétroliers à la propriété opaque ou dépourvus d'assurance appropriée a grimpé selon les experts, permettant à la Russie de constituer une flotte clandestine pour exporter son pétrole malgré les sanctions.

Qu'appelle-t-on une "flotte fantôme" ?

La Kyiv School of Economics (KSE) définit une "flotte fantôme" comme des navires commerciaux qui ne sont pas détenus par les pays de la coalition G7 avec l'Union européenne, ou qui n'utilisent pas d'assurance P&I, l'assurance de protection et d'indemnisation. "Ce n'est pas quelque chose d'inhabituel, même avant la guerre" en Ukraine, fait remarquer Elina Ribakova, économiste au sein de l'Institut KSE, interrogée par l'AFP. "La flotte fantôme est aussi utilisée pour s'affranchir du modèle économique du transport maritime de marchandise".

Ce type de "flotte de l'ombre" (shadow fleet ou dark fleet) est par exemple aussi utilisé par l'Iran et le Venezuela, deux Etats sous sanctions pétrolières américaines, ou encore la Corée du Nord, souligne dans une note Elisabeth Braw, analyste de l'Atlantic Council, un centre de réflexion spécialisé dans les relations internationales.

D'après les données de Lloyd's List Intelligence, le nombre de ces bateaux a doublé l'an dernier et représente désormais environ 10% des pétroliers opérant au niveau international. L'Atlantic Council dénombrait en janvier 1.400 navires.

Pourquoi la Russie utilise-t-elle une flotte noire ?

Embargo pétrolier, plafonnement du prix du brut russe, interdiction de fournir les services permettant le transport maritime de pétrole... de nombreuses sanctions contre Moscou s'attaquent à la manne des exportations de pétrole, vitale pour la Russie et notamment pour financer sa guerre en Ukraine.

Pour les contourner, Moscou a dû réduire sa dépendance à l'égard des services maritimes occidentaux en rachetant des tankers auxquels elle offre ses propres services d'assurance, selon Rystad Energy. "Plus de 70% du pétrole russe transporté par la mer l'est grâce à la flotte fantôme", affirme Elina Ribakova.

L'institut KSE estime dans son rapport "Russian Oil Tracker" de décembre que "179 pétroliers" pleins d'or noir "ont quitté les ports russes en novembre 2023". En octobre, la flotte noire russe a ainsi permis l'exportation d'environ 2,3 millions de barils par jour de pétrole brut et de 800.000 barils par jour (mbj) de produits pétroliers, sur une production russe totale de 10 mbj, ajoute KSE.

Quels sont les risques ?

"La plupart des navires de cette flotte obscure n'ont pas été inspectés récemment, leur entretien n'est pas conforme", alertait Lloyd's List Intelligence dans un article de décembre.

L'institut KSE met régulièrement en garde sur les "énormes risques environnementaux pour l'UE" que posent ces navires vieillissants. Les navires de plus de 20 ans devraient atteindre 11% de la flotte mondiale de pétroliers d'ici 2025, selon l'Atlantic Council, contre 3% avant la guerre en Ukraine.

Ces vaisseaux fantômes ne disposent pas d'une assurance adéquate, appelée "P&I", pourtant obligatoire pour les navires commerciaux pour couvrir des risques de guerre aux collisions ou dommages environnementaux comme les marées noires. Quelque 90 à 95% du marché de l'assurance P&I sont entre les mains d'assureurs de l'Union européenne et du Royaume-Uni, qui appliquent donc les sanctions contre Moscou. "Les autres types d'assurance - comme les schémas alternatifs proposés par les gouvernements russe et iranien - sont très insuffisants", souligne Elisabeth Braw.

En cas d'accident, l'Atlantic Council estime ainsi que la flotte fantôme entraîne des "dépenses considérables pour les navires qu'ils endommagent" mais aussi "pour les pays dans les eaux desquels les accidents se produisent", devant ainsi en assumer les coûts.