Guerre en Ukraine : ce qu'il faut retenir du 132e jour de l'invasion russe

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Le président ukrainien Volodymyr Zelensky prononce un discours lors de la conférence internationale de deux jours sur la reconstruction de l'Ukraine, à Lugano, le 4 juillet 2022. © FABRICE COFFRINI / AFP
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avec AFP , modifié à
Au 132e jour de la guerre en Ukraine, les forces russes continuaient mardi d'avancer dans le Donbass, bassin industriel de l'est de l'Ukraine qu'elles veulent finir de conquérir, avec dans le viseur la ville de Sloviansk, cible d'un bombardement massif qui a fait au moins deux morts.
L'ESSENTIEL

Les forces russes continuaient mardi d'avancer dans le Donbass, bassin industriel de l'est de l'Ukraine qu'elles veulent finir de conquérir, avec dans le viseur la ville de Sloviansk, cible d'un bombardement massif qui a fait au moins deux morts. Le gouverneur de la région de Donetsk, à laquelle est rattachée Sloviansk, Pavlo Kyrylenko, a indiqué sur Telegram que deux personnes avaient été tuées et sept autres blessées dans ces frappes qui ont visé le marché central de la ville. Les journalistes de l'AFP présents à Sloviansk lors du bombardement ont vu des roquettes frapper le marché et trois autres les rues adjacentes. Le marché était en feu, des pompiers tentant de maîtriser l'incendie.

"Une fois encore, les Russes visent intentionnellement des endroits où se rassemblent les civils. C'est du terrorisme pur et simple", a dénoncé Pavlo Kyrylenko, appelant à évacuer. 

Les informations à retenir :

  • Vladimir Poutine ordonne à ses forces de poursuivre leur offensive dans l'est de l'Ukraine
  • La Russie annonce avoir détruit "sept postes de commandement" ukrainiens au cours des dernières 24 heures
  • La Banque européenne d'investissement doit proposer la création d'un nouveau fonds pour l'Ukraine qui pourrait atteindre 100 milliards d'euros
  • La ville de Sloviansk, dans l'Est de l'Ukraine, est actuellement ciblée par des bombardements russes, selon le maire de la ville

Le président russe Vladimir Poutine a ordonné lundi à ses forces de poursuivre leur offensive dans l'est de l'Ukraine, au lendemain de la prise de Lyssytchansk, son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky mettant en garde que repousser l'envahisseur demanderait du "temps et des efforts surhumains".

"Nous devons briser" l'ennemi, a lancé Volodymyr Zelensky dans son allocution quotidienne lundi soir, "c'est une mission difficile, qui nécessite du temps et des efforts surhumains. Mais nous n'avons pas d'autre choix". Il s'était exprimé un peu plus tôt par vidéoconférence à l'ouverture d'une conférence internationale à Lugano, en Suisse, pour préparer la reconstruction du pays. Ce sera "la tâche commune de tout le monde démocratique", a-t-il souligné. Kiev a évalué le coût de ce chantier à 750 milliards de dollars.

Un plan "estimé à 750 milliards de dollars"

Lors de son allocution du soir, Volodymyr Zelensky a aussi expliqué avoir besoin de ces "fonds colossaux" pour aider la population, reconstruire les villes et infrastructures détruites par la guerre, mais aussi "préparer les écoles et universités pour une nouvelle année scolaire" et "se préparer pour l'hiver".

Son Premier ministre Denys Chmygal, qui avait pu faire le déplacement à Lugano, a exposé un plan "estimé à 750 milliards de dollars". La conférence doit s'achever mardi, alors que l'issue de la guerre déclenchée le 24 février par l'invasion russe de l'Ukraine reste incertaine.

Des bombardements russes en cours dans la ville de Sloviansk dans l'est de l'Ukraine

Les forces russes ont également affirmé mardi matin avoir bombardé au cours des dernières 24 heures quatre dépôts de munitions et d'artillerie dans la région de Kharkiv (nord-est), où les Ukrainiens ont dit lundi soir avoir repoussé des tentatives d'assaut russes. Dans le sud, Moscou a également affirmé avoir abattu "un avion Su-25 et trois drones des forces ukrainiennes dans la région de Kherson", des affirmations impossibles à vérifier de source indépendante.

La ville de Sloviansk, prochaine cible des forces russes dans l'est de l'Ukraine, subit un bombardement "massif", a annoncé mardi son maire, appelant les habitants à se mettre à l'abri. "Sloviansk! Bombardement massif de la ville. Le centre, le nord. Tout le monde reste à l'abri", a indiqué sur Facebook Vadim Liakh, le maire de cette ville de quelque 100.000 habitants avant la guerre.

Ukraine : un ancien du FSB à la tête du gouvernement de Kherson

Un responsable russe issu des puissants services de sécurité (FSB) a pris la tête mardi du gouvernement de la région ukrainienne de Kherson, occupée par les forces russes. Sergueï Elisseïev, jusqu'alors premier adjoint au chef du gouvernement de la région russe de Kaliningrad (Nord-Ouest), "est devenu chef du gouvernement de la région de Kherson", a indiqué lundi soir sur Telegram Vladimir Saldo qui dirige l'administration d'occupation russe. 

Diplômé de l'Académie du FSB, Sergueï Elisseïev, 51 ans, a servi au sein de ce service de sécurité à des fonctions non précisées, selon le site internet de la région de Kaliningrad. L'ancien député ukrainien passé du côté de Moscou, Alexeï Kovalev, qui a survécu fin juin à une tentative d'assassinat, a été nommé adjoint de Sergueï Elisseïev pour les questions de l'agriculture. "La Russie est ici pour toujours", a-t-il déclaré.

La Russie ordonne à ses troupes de "mener à bien leur mission"

À Moscou, lors d'un entretien avec son ministre de la Défense Sergueï Choïgou, le président russe a quant à lui donné l'ordre à ses troupes de "mener à bien leur mission" en application des "plans déjà approuvés".

Dimanche soir, l'état-major de l'armée ukrainienne avait annoncé le retrait de ses unités engagées à Lyssytchansk, le dernier bastion de Kiev dans la région de Lougansk (est), que Moscou dit désormais contrôler totalement. Pour les forces ukrainiennes, l'urgence est désormais de contenir la progression russe vers l'ouest et deux villes majeures de la région voisine de Donetsk : Sloviansk et Kramatorsk.

10 personnes dont deux enfants sont morts dans des frappes russes à Sloviansk

Après la chute de Lyssytchansk, pièce maîtresse du plan de conquête du Donbass, un bassin industriel en partie contrôlé par des séparatistes prorusses depuis 2014, "l'effort principal de l'ennemi (...) vise à un débordement progressif" des militaires ukrainiens sur cet axe, a déclaré lundi l'état-major ukrainien.

Dans la soirée, l'armée ukrainienne a fait état de tentatives d'assaut russes repoussées dans les régions de Kharkiv (nord-est) et de Donetsk. Par contre, près de Sloviansk, "l'ennemi lance des assauts dans la direction de la localité de Mazanivka et y réussit partiellement", selon la même source. Selon le gouverneur de la région de Donetsk, Pavlo Kirilenko, 10 personnes, dont deux enfants, ont péri dimanche dans des frappes russes à Sloviansk et dans ses environs.

L'Ukraine appelle sa population à partir

La ligne de front se rapprochant de cette cité, les autorités ukrainiennes appellent sa population à partir. Les rues de Sloviansk étaient presque désertes lundi matin, selon des journalistes de l'AFP sur place. Sur le marché du centre-ville ravagé par un incendie provoqué par une frappe russe, quelques vendeurs proposaient des produits de première nécessité tandis que d'autres déblayaient des débris calcinés.

Des vendeurs et des habitants faisaient part de leur inquiétude pour les jours et semaines à venir, tandis que les déflagrations des bombardements étaient audibles. "Je crois que ce qui nous attend va être encore pire, j'ai déjà pensé à partir", a dit Andriï Gerassimenko, 38 ans, en ramassant les débris du marché.

"Rien de bien ne va se passer, le mieux c'est de partir", a renchéri Viktoria Koloty, une femme de 33 ans qui a confié avoir déjà fait partir ses enfants.

À Siversk, entre Lyssytchansk et Sloviansk, les militaires ukrainiens semblent vouloir tenir une ligne de défense entre cette ville et Bakhmout, plus au sud. Ses habitants interrogés par l'AFP évoquent des bombardements de plus en plus intenses ces derniers jours. "L'ennemi a intensifié ses bombardements sur nos positions dans la direction de Bakhmout", a confirmé l'état-major de l'armée ukrainienne.

L'armée russe annonce avoir détruit "sept postes de commandement" ukrainiens

L'armée russe a de son côté annoncé avoir détruit "sept postes de commandement" ukrainiens au cours des dernières 24 heures, "dont celui de la 25e brigade aéroportée dans la région de Siversk". Le ministère russe de la Défense s'en est ensuite pris à de présumé "néo-nazis ukrainiens" qui, à Belopolïé, dans la région de Soumy (nord-est), "ont miné des ponts sur la rivière Kryga, qu'ils ont l'intention de faire sauter" pour en accuser la Russie.

En Russie, un drone d'origine inconnue est tombé sur une habitation civile à Taganrog (sud-ouest), près de la frontière ukrainienne, sans faire de victime, mais incendiant la maison, selon les médias locaux.

À Kharkiv, la deuxième ville d'Ukraine (nord-est), trois civils sont morts dans des bombardements survenus lundi avant l'aube, selon les autorités locales. À Boutcha, cité-martyre de la banlieue de Kiev, même si certains se sont remis à planter des fleurs au pied des immeubles ou à s'affairer dans leur potager, la population n'ose pas encore penser à la reconstruction, quand l'issue de la guerre reste si incertaine. Ici, les stigmates des combats sont encore visibles partout : vitres brisées, impacts de balles, murs éventrés.

"On va se coucher sans savoir si on se réveillera demain", soupire Vera Semeniouk, 65 ans. "Tout le monde est revenu, commence à réparer les maisons, beaucoup posent de nouvelles fenêtres. Ce serait terrible si ça recommençait et qu'il fallait à nouveau tout quitter".

La conférence de Lugano doit tenter de dessiner les contours de la future reconstruction de l'Ukraine

Dans ce contexte, la conférence de Lugano doit tenter de dessiner les contours de la future reconstruction de l'Ukraine. La "tâche est vraiment colossale", ne serait-ce que dans les territoires libérés, a reconnu dimanche Volodymyr Zelensky. Les organisateurs de la conférence espéraient sa présence physique, mais il a participé, comme il en a désormais l'habitude, par visioconférence à cette réunion rassemblant les responsables des alliés de l'Ukraine, des institutions internationales, mais aussi le secteur privé.

La conférence, planifiée bien avant la guerre, devait initialement se concentrer sur les réformes en Ukraine, et notamment la lutte contre la corruption.

Le Premier ministre ukrainien Denys Chmygal et le président du Parlement, Rouslan Stefantchouk, sont arrivés à Lugano dès dimanche. Ils ont rencontré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, afin de poser les bases d'un "Plan Marshall" pour l'Ukraine. L'urgence est d'aider la population touchée par la guerre avant, dans un deuxième temps, de financer des milliers de projets de reconstruction et, à long terme, de préparer une Ukraine européenne, verte et numérique, a expliqué Denys Chmygal.

Robert Mardini, le directeur général du Comité international de la Croix-Rouge, a jugé sur la chaîne publique suisse RTS qu'il était vital de donner dès maintenant "une perspective positive" aux Ukrainiens.

La Banque européenne d'investissement doit proposer la création d'un nouveau fonds pour l'Ukraine

La Banque européenne d'investissement (BEI) doit proposer la création d'un nouveau fonds pour l'Ukraine, qui pourrait atteindre 100 milliards d'euros, selon des sources informées. Et pour Denys Chmygal, les avoirs russes gelés dans les pays occidentaux sont à eux seuls évalués à 300 à 500 milliards de dollars.

"Guerre absurde"

L'Ukraine appelle par ailleurs ses alliés à faire pression sur les compagnies maritimes pour qu'elles cessent de faire du transport de marchandises pour la Russie et de l'aider à écouler ses productions. Le Zhibek Zholy, un cargo battant pavillon russe, est ainsi ancré depuis cinq jours au large de la Turquie, en mer Noire. L'Ukraine, qui accuse la Russie de voler ses récoltes de blé, affirme que le navire en transporte 7.000 tonnes obtenues illégalement. Une source diplomatique turque a affirmé mardi à l'AFP qu'une "inspection" était en cours à bord. Volodymyr Zelensky a dénoncé mardi le rôle des entreprises grecques dans l'exportation du pétrole russe.

Il a également dit "croire" que le Bélarus, un allié de Moscou, ne se laisserait pas "entraîner" dans la guerre. Une opinion partagée par Svetlana Tikhanovskaïa, cheffe de file de la dissidence bélarusse, qui "doute vraiment que les troupes bélarusses", qui sont "extrêmement démoralisées", "participent à l'invasion de l'Ukraine", une "nation amie". La guerre continue par ailleurs de peser sur l'économie européenne: l'euro a plongé mardi à son plus bas depuis fin 2002 face au dollar, s'approchant de la parité, emporté par les tensions sur l'énergie en Europe provoquées par le conflit.

La Haute-Commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU Michelle Bachelet a fustigé le bilan civil "intolérable" du conflit (près de 5.000 civils tués confirmés, dont 335 enfants - sans doute bien en-dessous du bilan réel) et les nombreuses violations des droits humains visant la population. "Au nom de chaque victime de cette guerre absurde, les exécutions, la torture et les détentions arbitraires doivent cesser", a-t-elle lancé devant le Conseil des droits de l'Homme des Nations unies à Genève.

Le conflit a causé l'un des plus importants déplacements de population en Europe - plus de huit millions d'Ukrainiens - depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Sur le plan militaire, des sources de sécurité occidentales évoquent 15.000 à 20.000 soldats russes tués. Les forces ukrainiennes perdent chaque jour une centaine de soldats, selon Kiev. Les autorités françaises ont confirmé mardi "la triste nouvelle" de la mort d'un second combattant français en Ukraine.