Alain Juppé publie une tribune sous forme de mea culpa dans "Le Monde". 3:00
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Didier François, édité par Manon Bernard , modifié à
L'ancien ministre des Affaires étrangères de 1994, Alain Juppé a publié une tribune dans le journal "Le Monde" mercredi concernant le génocide rwandais. Il confie qu'à l'époque, le gouvernement n'avait "pas compris qu’un génocide ne pouvait pas supporter les demi-mesures". Ce texte intervient après la remise à Emmanuel Macron d'un rapport par quatorze historiens. 

C’était il y a 27 ans. Le génocide des tutsis au Rwanda. Un terrible anniversaire marqué par le mea culpa d’Alain Juppé dans une tribune publié mercredi dans le journal Le Monde. Au moment des faits, Alain Juppé était ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de cohabitation du président François Mitterrand. Il reconnait qu’à l’époque, les autorités françaises n’avaient pas pris toute la mesure de ce crime contre l’humanité.

"J’ai porté cette blessure de n’avoir pas réussi à empêcher cette terreur"

"Nous n’avions pas compris qu’un génocide ne pouvait pas supporter les demi-mesures", écrit Alain Juppé dans le quotidien Le Monde. C’est à la lecture d’un rapport qu’il a eu une prise de conscience sur l’ampleur de la situation. Un document réalisé par quatorze historiens et remis au président de la République le mois dernier.

Les mots sont durs. "Pendant près de trente ans, j’ai porté cette blessure de n’avoir pas réussi à empêcher cette terreur", confie l’ancien ministre. Il rappelle cependant que "sur le terrain, nos soldats ont compris plus vite que beaucoup de politiques qu’il y avait d’un côté les tueurs, les hutus extrémistes, et de l’autre des survivants, les derniers tutsis qu’il fallait protéger coûte que coûte".

"Il n’y avait pas d’ambiguïté", selon un ancien général

Une affirmation confirmée par le général Jean-Claude Lafourcade. Il était commandant lors de l’opération Turquoise déclenchée trois mois après le début des massacres pour tenter de sauver les ultimes rescapés. "Quand nous sommes arrivés, il a fallu faire au plus pressé pour sauver ceux qui pouvaient l’être et arrêter les massacres qui étaient en cours", raconte-t-il au micro d'Europe 1. Et Jean-Claude Lafourcade l’assure : "il n’y avait pas d’ambiguïté. On sauvait les tutsis, donc les massacreurs étaient des hutus".

Un génocide mené publiquement sans aucune réaction de la communauté mondiale. Une "lâcheté internationale", juge même Alain Juppé. À commencer par l’abandon de la capitale, Kigali, par les forces de l’ONU sur décision du Conseil de sécurité et cela dès le début des massacres en avril 1994.

"C’est ça le génocide : un silence qui reste et un vide abyssal"

Ce départ précipité des casques bleus laisse libre court à la folie meurtrière des miliciens extrémistes hutus, raconte Jeanne, une survivante. En 1994, elle n’avait que 17 ans. "Ils sont partis en évacuant tous les Occidentaux des quartiers de Kigali. Ils ne peuvent pas dire qu’ils ne savaient pas", accuse-t-elle. Avant de détailler l’horreur qu’elle a vécue : "j’ai perdu mes parents, mes deux sœurs sur une fratrie de cinq, ma nièce, mes cousins et mes tantes. Du jour au lendemain. C’est ça le génocide : un silence qui reste et un vide abyssal".

Il faut bien réaliser l’ampleur de ce crime : près d’un million de victimes sont mortes en à peine trois mois. Des tutsis mais également des hutus démocrates qui tentaient de protéger leurs voisins. Un nettoyage ethnique souvent exécuté à la sagaie et à la machette. L’intention génocidaire ne fait aucun doute pour les quatorze historiens de la commission d’enquête. Pour eux, ce massacre de masse avait été soigneusement planifié par les franges les plus radicales d’un gouvernement rwandais soutenu par la France.

Ces universitaires nommés par Emmanuel Macron ont eu accès aux comptes rendus les plus confidentiels des armées, des Affaires étrangères et même des Renseignements décrivant ces listes de tutsis à éliminer qu’avaient dressé les bourgmestres dans les moindres villages. Tous les signaux étaient au rouge écarlate et l’Elysée en était parfaitement informé. François Mitterrand avait fait le choix politique de ne pas tenir compte des mises en garde de ses services.