Défense antiaérienne européenne : Paris pousse sa stratégie face à Berlin

Ministres européens de la Défense
Les ministres européens de la Défense étaient réunis ce lundi à Paris. © GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
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Ce lundi, dans l'espoir d'harmoniser les positions européennes alors que Berlin a lancé un projet qui ne convient pas à Paris, la France a organisé une conférence ministérielle sur la défense antiaérienne de l'Europe dont la guerre en Ukraine a révélé les carences.

La France a organisé lundi une conférence ministérielle sur la défense antiaérienne de l'Europe dont la guerre en Ukraine a révélé les carences, espérant harmoniser les positions européennes alors que Berlin a lancé un projet qui ne convient pas à Paris. En marge du Salon international de l'aéronautique du Bourget qui vient d'ouvrir ses portes, le ministre français des Armées Sébastien Lecornu recevait dans l'après-midi à Paris une vingtaine de ses homologues européens (ministres et secrétaires d'Etat), ainsi que le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton. Le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, sera finalement présent alors qu'il devait initialement être représenté.

Cette réflexion sur une "stratégie autonome de défense de l'espace aérien européen" a ensuite vocation à se poursuivre au niveau de l'UE et de l'Otan.

Concurrencer le projet allemand

Sur le plan de la défense anti-aérienne, "nous avons deux devoirs : nous préparer à une aide à l'Ukraine et au renforcement du flanc oriental (de l'Otan) dans la durée" et "revenir à des fondamentaux qu'on a connus pendant la Guerre Froide mais qui retrouvent une forme d'actualité et que nous devons remettre à jour au regard des sauts technologiques, des différentes alliances stratégiques et du fait que le dérèglement de ce monde ne vient pas que de l'Est", a souligné Sébastien Lecornu au Salon du Bourget. "De temps en temps il faut qu'on soit capables de se poser quelques instants, ne pas céder aux sirènes de quelques initiatives purement industrielles et se poser des questions de nature plus sécuritaire, plus stratégique", a-t-il fait valoir.

Cette initiative de Paris apparaît comme une réaction au projet allemand dit "Euro Sky Shield", lancé en octobre et qui entend s'appuyer sur les systèmes anti-aériens Iris-T allemand pour la courte portée, Patriot américain pour la moyenne portée et américano-israélien Arrow-3 pour la longue portée. Ce futur "Bouclier du ciel européen" a séduit 16 pays de l'Otan, dont le Royaume-Uni, les pays baltes ou encore la Belgique, les Pays-Bas, la Finlande et la Norvège. La Suède s'est aussi greffée au projet. Mais il n'a pas convaincu la Pologne. Paris, de son côté, préfère continuer de miser sur son propre système de défense sol-air de moyenne portée SAMP/T MAMBA, tout en insistant sur les problèmes que pose le projet allemand. De source proche de l'exécutif français, on met en garde contre "un projet de bouclier technologiquement inatteignable à l'échelle européenne". L'Elysée souligne aussi la nécessité de prendre en compte non seulement "la défense anti-missile mais aussi la frappe dans la profondeur et la dissuasion nucléaire".

Commande groupée de Mistral

La question du nucléaire est un autre point d'achoppement avec Berlin. "L'Otan est une alliance nucléaire. Or jusqu'à quel point, en durcissant vos défenses, vous accélérez une forme de prolifération pour accentuer les capacités de pénétration (de l'adversaire)?", a prévenu lundi le ministre des Armées. "L'Allemagne est souveraine dans ses acquisitions. Mais on ne peut pas considérer que les efforts européens dans ce domaine se réduisent à cette annonce", insiste son ministère, en rappelant que "beaucoup d'autres acquisitions sont en cours dans d'autres pays".

L'absence de menaces et la maîtrise du ciel par les Occidentaux depuis la fin de la Guerre froide les ont conduits à renoncer en grande partie aux puissantes défenses antiaériennes qui devaient protéger l'Otan de l'aviation soviétique. Mais les investissements arrivent : Berlin prévoit de consacrer 5 des 100 milliards d'euros de son fonds spécial à la défense antiaérienne, Paris également 5 milliards d'euros entre 2024 et 2030. Le fabricant de missiles européen MBDA a signé ces derniers mois un contrat d'environ 2 milliards d'euros avec Paris et Rome pour fournir près de 700 missiles Aster, équipant notamment le système franco-italien SAMP/T, et un autre de 2,2 milliards d'euros avec la Pologne pour lui fournir 44 lanceurs et plusieurs centaines de missiles CAMM.

De nouvelles annonces devraient conclure lundi soir la conférence, en présence du président français. Une lettre d'intention doit être signée entre la France, la Belgique, Chypre, la Hongrie et l'Estonie pour l'acquisition commune de missiles Mistral de très courte portée. De passage à l'ouverture du salon, Emmanuel Macron a quant à lui promis qu'il annoncerait dans la soirée "des choses importantes sur le SAMP/T", en rapport avec l'Ukraine.