Le port de Beyrouth a été dévasté par deux explosions mardi 4 août. 4:09
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Ariel Guez
Au micro d'Europe 1, la rédactrice en chef de "L'Orient le jour", un des principaux quotidiens au Liban, est revenu sur les deux explosions qui ont bouleversé Beyrouth. Emilie Sueur raconte comment les journalistes ont vécu cette journée, entre sidération et obligation d'informer. 
INTERVIEW

"On a d’abord reçu des vidéos de ce qui ressemblait à un incendie au port, et le temps de comprendre ce qui se passait, l’explosion a eu lieu". Invitée de Culture Médias, Emilie Sueur, rédactrice en chef de L'Orient le Jour, quotidien francophone de référence au Liban, est revenu sur les deux explosions qui ont frappé Beyrouth mardi après-midi, et qui ont été ressenties au sein de la rédaction du journal, à huit kilomètres de l'épicentre de l'explosion. "L’immeuble a tremblé et j’ai crié aux journalistes de sortir des locaux parce que je pensais que c'était un séisme. Et en voyant la colonne de fumée, on a compris que c’était autre chose", raconte Emilie Sueur.

Faire un journal au lendemain du drame, une évidence

Le bilan humain provisoire est conséquent : au moins 100 personnes ont été tuées et 4.000 blessées. De nombreux immeubles et rues de Beyrouth ont été dévastés. "La ville est jonchée de débris de verre. En face de chez moi, l’encadrement des fenêtres tombe à moitié dans le vide", explique la journaliste. Malgré la catastrophe, les équipes de L'Orient le Jour ont dû assurer la publication de leur journal au lendemain du drame. Une évidence, explique la rédactrice en chef. "Je ne crois pas que ça se décide, on n’a pas le choix, il faut le faire, ce journal".

Sauf qu'Emilie Sueur le rappelle : toute la ville a été touchée par le souffle important de la seconde explosion. "Beaucoup de collègues ont eu leurs habitations sérieusement endommagées, donc il y a eu un petit moment de flottement, ce qui est normal, mais tout le monde s’est remobilisé et a compris sans qu’on le dise qu’il était très important de faire ce journal". Même si le siège de la rédaction est encore debout, les installations informatiques ont été touchées. "On s’est débattus avec nos techniciens informatiques qui ont vu leurs locaux dévastés et ils ont travaillé d’arrache-pied pour reconnecter tout ça", raconte Emilie Sueur.

"Des travaux de maintenance dans la zone portuaire" à l'origine de l'explosion ?

Résultat, une édition spéciale titrée "L'apocalypse". L'heure et à l'émotion, mais les journalistes du quotidien commencent à enquêter, explique Emilie Sueur. "On appelle des contacts au port. D'après les premières informations qui filtrent, il y aurait eu des travaux de maintenance dans la zone portuaire". "Mais on est encore aux supputations, il y a encore des hélicoptères sur la zone, il y a encore probablement des victimes sous les décombres, donc c’est très difficile d’avoir compréhension claire", prévient la rédactrice en chef de L'Orient le Jour.

"Après le choc, il y aura de la colère"

"Nos journalistes sont sur le terrain, on les envoie dans les hôpitaux, on les envoie à travers la ville voir comment les gens s'en sortent, mais tout le monde est toujours état de sidération", conclut Emilie Sueur. Invité quelques minutes après elle dans l'émission de Pascale Clarke, le réalisateur et documentariste franco-libanais Philippe Aractingi lui aussi expliqué que les Libanais étaient "encore sous le choc". 

"Je pense qu’après le choc, il y aura de la colère", prévient-il, avant d’espérer du changement au niveau du gouvernement. "Et au niveau de notre pays nous sommes déjà plus qu’à genou (...) C'est un coup de grâce". Depuis plusieurs années, le Liban est économique fragilisé. "Ce qui se pose comme question, c'est comment reconstruire puisque les banques sont en faillite et ne donnent pas accès à l'argent. C’est encore pire que juste une bombe qui a tué des gens, c'est un manque total à tous les niveaux", conclut Philippe Aractingi.