Attaques des Houthis en mer Rouge : quelles conséquences pour le commerce maritime mondial ?

Le navire "Galaxy leader", propriété d'un homme d'affaires israélien, avait été attaqué par des rebelles qui s'étaient posés en hélicoptère sur le bateau
Le navire "Galaxy leader", propriété d'un homme d'affaires israélien, avait été attaqué par des rebelles qui s'étaient posés en hélicoptère sur le bateau © HOUTHIS MEDIA CENTER / HANDOUT / ANADOLU / ANADOLU VIA AFP
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Romain Rouillard / Crédit photo : HOUTHIS MEDIA CENTER / HANDOUT / ANADOLU / ANADOLU VIA AFP , modifié à
Depuis plusieurs semaines, des navires marchands, empruntant la mer Rouge, en provenance ou à destination du Canal de Suez, sont ciblés par les Houthis, un groupe rebelle yéménite, allié de l'Iran. Ces derniers considèrent que ces bateaux ont des liens avec Israël, à qui ils ont récemment déclaré la guerre.

C'est un dommage collatéral du conflit opposant Israël au mouvement terroriste du Hamas. Depuis plusieurs semaines, la navigation en mer Rouge est rendue impossible par les attaques incessantes des Houthis contre des navires de commerce, accusés d'entretenir des liens avec l'État hébreu. Le mouvement rebelle yéménite, allié de l'Iran, cible ainsi tous les bateaux franchissant le détroit de Bal al-Mandeb, qui sépare le Yémen de la corne de l'Afrique. Il y a quelques semaines, une vidéo spectaculaire montrait des hommes armés descendre d'un hélicoptère sur un bateau, propriété d'un homme d'affaires israélien, et contraindre l'équipage à la reddition. Devant les risques encourus, plusieurs armateurs, dont le Français CMA-CGM, ont annoncé que leurs navires éviteront, désormais, la zone. Le géant britannique des hydrocarbures BP a, lui aussi, fait savoir qu'il suspendait tout transit en mer Rouge.

"Dix jours de mer en plus" 

Ce mardi, les États-Unis, par la voix du ministre de la Défense, Lloyd Austin, ont annoncé la formation d'une coalition de dix pays censée éloigner la menace des Houthis sur cette route maritime très empruntée. De leur côté, les rebelles yéménites ont répondu en assurant que les attaques se poursuivront "quels que soient les sacrifices que cela nous coûte". 

Après plusieurs semaines de blocage, les répercussions économiques sont déjà nombreuses. Les navires n'ont d'autres choix que d'opérer un long détour pour relier l'Asie à l'Europe, là où le passage de la mer Rouge, puis du Canal de Suez offre un gain de temps (et d'argent) considérable. "Le contournement de l'Afrique, par le cap de Bonne-Espérance, c'est dix jours de mer en plus. C'est donc un surcoût pour les armateurs qui vont le répercuter", prévoit Pierre Cariou, professeur à Kedge Business School et spécialiste de l'économie du transport maritime. Ces navires feront, néanmoins, l'économie du droit de passage sur le Canal de Suez, estimé à 600.000 dollars pour chaque traversée. "Mais les bateaux seront utilisés plus longtemps, donc cela va venir grignoter ces économies. Sans compter la hausse des frais de carburant", ajoute l'expert. Au total, la hausse du coût du transport tournerait entre 10 et 20%. 

Vers une hausse des prix du pétrole ?

Les prix du pétrole pourraient, eux aussi, augmenter de façon significative si le blocage se poursuivait. Car outre les navires de commerce, de nombreux pétroliers empruntent quotidiennement cette voie maritime. Le prix du baril de Brent a d'ailleurs été revu à la hausse ce mardi soir, devant l'entêtement des Houthis à poursuivre leurs opérations. Les expéditions de pétrole via le détroit de Bab Al-Mandeb représentaient environ 12% du total du pétrole acheminé par voie maritime dans le monde au premier semestre 2023, selon une note de S&P Global Commodity Insights. 

À cela s'ajoute également la désorganisation des chaînes logistiques qui risque d'engendrer d'importants surcoûts, mais aussi des retards de livraison. "Ces navires qui doivent par exemple passer par l'Afrique du Sud iront plutôt dans les ports d'Europe du nord. Et ensuite, il s'agit de savoir comment faire revenir ces porte-conteneurs vers l'Italie ou la Grèce. Le temps d'acheminement va s'accroître et, pour les importateurs, le coût d'immobilisation du stock va être plus important, ", soulève Pierre Carou. Le risque de pénurie est, en revanche, écarté par les spécialistes. "Il n'y a pas de coupure. On prend simplement la route la plus longue. Entre 1967 et 1975, le canal de Suez était fermé et les bateaux faisaient le tour de l'Afrique. C'est faisable, mais cela nécessite plus de bateaux, on fatigue les équipages et cela a un coût économique", résume Paul Tourret, directeur de l'Institut supérieur d'économie maritime. 

"Beaucoup de biens sont déjà là" 

De plus, un tel blocage à cette période de l'année s'avère moins préjudiciable pour l'économie mondiale. "Nous sommes quelques jours avant Noël, ce qui signifie que beaucoup de biens, les jouets notamment, sont déjà là. Nous avons déjà été approvisionnés il y a deux mois, au moment du pic de la demande", explique Pierre Cariou. De façon générale, en raison de la morosité du contexte économique globale, la demande en Europe ne connaît pas d'envolées spectaculaires ces derniers mois, rappelle Paul Tourret. 

Toutefois, la multiplication des entraves à la navigation plonge importateurs et exportateurs dans l'incertitude quant aux schémas classiques de navigation. "Il y avait déjà eu le blocage de l'Ever Given il y a un an et demi (un porte-conteneurs qui s'était coincé en diagonale dans le Canal de Suez Ndlr), le passage du canal de Panama devient de plus en plus difficile à cause de la sécheresse. Tout cela renforce ce que l'on voit poindre depuis la pandémie, c'est-à-dire la vulnérabilité de nos chaînes logistiques et de ces grands trajets. Donc pour les armateurs, ce n'est pas une bonne nouvelle car importateurs et exportateurs vont forcément finir par remettre en cause ces schémas. Tous les deux ou trois mois, il y a un nouvel évènement", conclut Pierre Cariou.