Benjamin Stora 1:19
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Ugo Pascolo , modifié à
"Il faut commencer à travailler ensemble", exhorte au micro d'Europe 1 l'historien français Benjamin Stora, auteur d'un rapport sur la colonisation et la guerre d'Algérie. Dénonçant l'attitude de ceux qui vivent "d'une rente mémorielle" en France comme en Algérie, le spécialiste appelle à "avancer". 
INTERVIEW

Faire naître une commission "Mémoire et vérité", chargée de proposer des "initiatives communes entre la France et l'Algérie sur les questions de mémoire". Voilà la principale mesure prônée par le rapport de Benjamin Stora sur la guerre d'Algérie, remis à Emmanuel Macron cette semaine. Mais Invité d'Europe 1, vendredi midi, l'historien français a admis que la tâche ne serait pas simple, évoquant l'instrumentalisation d'une "rente mémorielle" des deux côtés de la Méditerranée, près de soixante ans après la fin du conflit (1954-1962). 

Deux visions identitaires "radicalisées" qui s'opposent

Selon Benjamin Stora, deux visions identitaires s'affrontent aujourd'hui : celle d'une "vision paradisiaque de l'Algérie française, et celle d'une mise en accusation du système colonial comme porteur d'inégalités et d'une brutalisation de la société". Des visions mémorielles qui pourraient concerner encore 7 millions de résidents en France, "les appelés et les pieds noirs qui représentent près de 2,5 millions de personnes, les harkis, ou encore les enfants issus de l'immigration algérienne (plus de 400.000 personnes)". 

Et malgré la présence d'une troisième voie mineure, un "groupe de contact" porté par des personnes qui ne partagent pas ces deux "visions radicalisées", l'histoire commune des deux pays reste un sujet complexe, tabou, et souvent douloureux. Un traumatisme qui transpire jusqu'aux plus hautes sphères politiques : alors que le pouvoir algérien demande des excuses officielles à la France, l'Élysée s'y refuse et envisage des "actes symboliques" comme l'entrée de l'avocate anticolonialiste Gisèle Halimi, décédée le 28 juillet 2020, au Panthéon.

Pourquoi certains acteurs ont-ils intérêt à continuer à faire de la guerre d'Algérie un sujet d'actualité ?  Pour Benjamin Stora, cette "rente mémorielle"  leur sert "à construire une clientèle politique et sociale" reposant sur les cicatrices du conflit. Or, "on ne peut pas continuer à avoir des relations avec un pays" sans aborder des questions comme "le terrorisme, ou encore l'immigration", polluées par ces rentes mémorielles, estime l'historien. "Il faut en finir avec ça, parce qu'on a beaucoup de défis à affronter dans le futur avec l'Algérie (…) Il faut avancer." 

Un silence d'Alger synonyme d'un dialogue prochain ? 

Dans ce contexte, le rapport de Benjamin Stora peut-il offrir des solutions afin de réconcilier les mémoires de part et d'autre de la Méditerranée ? L'historien veut y croire, et fait remarquer que le "pouvoir algérien n'a pas rejeté [ses] conclusions". "C'est quand même assez nouveau, même ce silence [d'Alger, ndlr] signifie qu'il y a quand même des interrogations qui existent au niveau de l'État algérien sur la façon d'engager un dialogue important avec la France." Et d'insister : "il n'y a pas eu de rejet de ces propositions."

Sans oublier qu'une grande partie de la presse francophone algérienne penche plutôt du côté du dialogue, rapporte le spécialiste. Mais aussi de certains intellectuels algériens qui l’ont "directement contacté" pour avancer en ce sens. On "ne peut pas rester 60 ans après dans des logiques séparées, de communautarisation des mémoires. Il faut commencer à travailler ensemble."