Tunisie : deux ans après, la désillusion

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TEMOIGNAGES - Les "révolutionnaires" de 2010 sont déçus, mais ne perdent pas espoir.

Ils sont chefs d’entreprise, employés dans le marketing ou encore blogueurs. Ils sont Tunisiens et ont cru en la révolution.  Le 17 décembre 2010, c’est tout un pays qui se soulevait après la mort d’un jeune marchand de légumes, Mohamed Bouazizi, à Sidi Bouzid. Le 14 janvier 2010, ce même pays célébrait sa victoire avec le départ du président Zine el-Abidine Ben Ali et la chute d’un régime où la liberté n’avait pas sa place. Mais deux ans après la révolte de la Tunisie, point de départ du "Printemps arabe" qui a secoué toute une région du monde,  les Tunisiens se réveillent avec un goût amer dans la bouche.

Impunité et incivilité grandissantes…

"Les rues sont devenues sales, les gens ne respectent plus rien et les incivilités grandissent chaque jour davantage", confie Sirin*, une jeune femme tunisienne installée à Paris mais qui rentre tout juste d’une semaine à Tunis. Elle s’inquiète de voir un sentiment d’impunité gagner ses concitoyens. Avec le départ de Ben Ali, les policiers ont disparu des rues. Les Tunisiens ne sont plus épiés, certes, mais la sécurité n’est parfois plus assurée non plus.

Mais "ce n’est pas la principale préoccupation des Tunisiens aujourd’hui", prévient Sirin. Ce qui les inquiète, c’est qu’aucune date n’a encore été fixée pour l’organisation d’élections. "On a l’impression que l’Assemblée constituante traîne, que [le gouvernement provisoire, NDLR] s’éternise", observe la jeune femme qui estime que la corruption est encore plus importante que sous le régime de Ben Ali. Le gouvernement tunisien est aujourd’hui dominé par le parti islamiste Enhada

… mais enfin la liberté d’expression

"Mais certaines choses ont changé avec la chute du régime, admet Sirin, la liberté d’expression existe enfin". Un constat que fait également Hachem, consultant installé en France depuis cinq ans. Originaire d’une région minière pauvre au sud du pays, il se réjoui de voir la presse enfin libre, et avec elle la parole des Tunisiens. "On voit enfin des citoyens qui s’investissent dans la vie politique de leur pays", note le jeune homme.

Mais les attentes restent nombreuses pour Sirin, Hachem et tous ceux qui ont cru en la révolution. "Je ne suis pas contente du tout de ce qui se passe dans mon pays", prévient la journaliste et bloggeuse, Emna Benjema. "Il nous faut une nouvelle Constitution qui respecte les droits de l’Homme, c’est ça qui est important", confie-t-elle à Europe1.fr.

"La Tunisie cherche un père"

Si la jeune femme dit, elle aussi, attendre que l’assemblée constituante se prononce sur une date pour les élections, elle admet craindre le résultat. "Je redoute le jour où elles auront lieu car la Tunisie est aujourd’hui divisée en deux blocs avec, d’un côté les islamistes, et de l’autre les anciens membres du parti de Ben Ali", s’inquiète la jeune femme, ajoutant que "ce dont nous avons, en fait, besoin, c’est d’un leader pour conduire notre pays vers la démocratie. La Tunisie cherche un père", conclut-elle.

*certaines personnes interrogées par Europe1.fr ont préféré conserver l’anonymat. Leur prénom a donc été changé.