Dernier acte pour Laurent Gbagbo

Laurent Gbagbo est au pouvoir depuis le 25 octobre 2000
Laurent Gbagbo est au pouvoir depuis le 25 octobre 2000 © REUTERS
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Assiya Hamza , modifié à
PORTRAIT - Après 10 ans au pouvoir, le président sortant a été délogé de son bunker.

Il est admiré autant que détesté. Le règne sans partage de Laurent Gbagbo a pris fin le 11 avril après dix jours de siège de sa résidence à Abidjan. Son arrestation marque l'épilogue de plusieurs mois de crise politique en Côte d'Ivoire.

Laurent Koudou Gbagbo est né le 31 mai 1945 dans le centre-Ouest de la Côte d’Ivoire. Historien de Formation, c’est tout naturellement vers l’enseignement qu’il se tourne dans les années 1970. Professeur d’histoire-géographie au lycée classique d’Abidjan, puis à l’Université, il devient "syndicaliste actif ", peut-on lire sur le site de la Présidence de la République de Côte d’Ivoire.

Engagé au sein de l’Union nationale des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire (UNEECI), Laurent Gbagbo donne des cours bientôt jugés "subversifs" qui lui valent les premiers retours de bâton. Ainsi, en 1971, il est envoyé "‘aux fins de redressement effectuer près de deux ans de service militaire dans des conditions très dures", rappelle RFI.

L'éternel opposant à Houphouët-Boigny

Ce n’est qu’en 1982 que Laurent Gbagbo fait son entrée en politique. Avec fracas. Alors que le monde universitaire est en ébullition, il lance une véritable fronde contre le régime et s’érige en opposant à Houphouët-Boigny, au pouvoir depuis 1960. "Considéré comme principal responsable du "complot des enseignants" de 1982, il part en exil volontaire en France, où il obtient en 1985 le statut de réfugié politique", raconte le Nouvel Observateur. Avec sa femme Simone, une ancienne syndicaliste marxiste, il fonde un parti clandestin : le Front Populaire Ivoirien (FPI).

"Il est plus facile de faire la guerre que de faire la paix", raconte le président Houphouët-Boigny en 1986 :

En 1988, contre toute attente, le président Houphouët-Boigny décide d’accorder sa grâce au couple. "L'arbre ne se fâche pas contre l'oiseau", explique-t-il dans une formule restée célèbre. C’est un tournant pour Laurent Gbagbo. Devenu secrétaire général du FPI, désormais sorti de la clandestinité, il est le premier candidat à se présenter contre Houphouët-Boigny lors de l’élection présidentielle du 28 octobre 1990. Défait avec un score de 18,3% des suffrages, il remporte néanmoins la bataille de la popularité. Il apparaît aux yeux de nombreux Ivoiriens comme le seul et unique opposant, indomptable et charismatique.

Alassane Ouattara l'emprisonne en 1992

En 1992, son chemin croise une première fois celui d’Alassane Ouattara. Celui qui est alors Premier ministre, l’emprisonne à nouveau pour avoir conduit les manifestations étudiantes. Condamné à deux ans de prison avec son épouse Simone, ils sont tous deux libérés au bout de six mois.

En décembre 1993, Houphouët-Boigny rend son dernier souffle. Henri Konan Bédié, héritier naturel du "père de la Nation", lui succède lors d’un scrutin organisé en 1995, ce, malgré le "boycott actif " du FPI et du Rassemblement des républicains dont Ouattara fait partie, explique le Nouvel Observateur.

Le 24 décembre 1999, le président Bédié est renversé par un coup d’Etat mené par le général Robert Gueï, ancien chef d’état-major de l’armée. "Laurent Gbagbo ‘prend acte’ même s’il se dit ‘opposé aux coups de force’", précise RFI.

L'ère du "Boulanger"

Laurent Gbagbo accède au pouvoir dans la foulée. Après l’invalidation de la candidature d’Alassane Ouattara pour "nationalité douteuse", celui que l’on surnomme " le boulanger" pour son art de rouler ses adversaires dans la farine, devient le seul adversaire du Général Gueï. Le 25 octobre 2000, la commission électorale ivoirienne déclare Laurent Gbagbo vainqueur du scrutin présidentiel avec 60% des suffrages.

Lors de sa prestation de serment, le nouveau président prend "solennellement l'engagement d'oeuvrer au rassemblement des Ivoiriens et à la réconciliation nationale". Une promesse qui restera vaine. La Côte d’Ivoire se presque aussitôt.

"Le conflit qui débute en 2002 s'enlise entre le sud, tenu par les autorités, et la rébellion au nord qui conteste le principe "d'ivoirité" introduit par Bédié. La Côte d'Ivoire est coupée en deux", analyse Arte. L’homme aux célèbres chemises en tissus africains perd le contrôle du nord du pays.

En 2007, les accords de Ouagadougou signés entre le camp présidentiel et les Forces nouvelles parviennent à ramener un calme précaire. Guillaume Soro, le chef des rebelles se voit confier le poste de chef de gouvernement.

"Nous voulons la présidentielle, sans replonger dans la guerre" :

Le 31 octobre 2010, avec l'organisation d'un nouveau scrutin présidentiel, l’heure de la revanche semble sonner pour Laurent Gbagbo. Face à Alassane Ouattara, il souhaite regagner " légitimité à l'intérieur et à l'extérieur", souligne Le Point. "Pour Laurent Gbagbo, ‘c'est le jour contre la nuit, le bien contre le mal’, ‘une vraie bataille entre les démocrates et les putschistes’ ". Mais à l'issue des deux tours, les urnes, tout comme la communauté internationale, l'écartent du pouvoir.

Abandonné de toutes parts, le président sortant est face à un choix Cornélien. "Laurent Gbagbo s’est maintenu au pouvoir pendant une dizaine d’années, sans élection, a toujours dit qu’il se maintiendrait au pouvoir quoi qu’il arrive. Soit il décide de mourir en martyr dans son palais présidentiel", soit il choisit l’exil, explique Antoine Glaser. "Mais je crois qu’il n’y a pas de porte de sortie, il est prêt à mourir pour sa cause".

Nombre d’observateurs prédisaient une sortie digne d'une tragédie grecque à l’ex-président ivoirien. "Il n'en sortira pas vivant", avait annoncé un de ses amis les plus proches, l'ancien responsable socialiste français Guy Labertit lors du début du siège du palais présidentiel à Abidjan.

Lors d'une interview exclusive accordée à LCI le 5 avril, Laurent Gbagbo avait pourtant tenu à préciser qu'il n'était "pas un kamikaze". "Je ne suis pas un kamikaze" et je "ne recherche pas la mort", avait-il assuré. Le camp Ouattara avait d'ailleurs eu la consigne de prendre le président sortant "vivant".