A partir de quand peut-on parler de radicalisation ?

Un musulman lit le Coran
Un musulman lit le Coran (photo d'illustration) © NARINDER NANU / AFP
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C’est à ce travail de diagnostic que devront s’atteler les personnels des futures structures de déradicalisation voulues par le gouvernement.

Comment distinguer une radicalisation latente, d’une pratique assidue de la religion, voire même d’une crise d’adolescence ? C’est à ce travail de diagnostic que devront s’atteler les personnels des futures structures de déradicalisation voulues par le gouvernement. Plusieurs centres d’accueil pour djihadistes de retour de Syrie ou personnes en voie de radicalisation devraient voir le jour en 2016. C’est sur ce dernier profil que risquent de buter les autorités. Selon les spécialistes, au-delà de la pratique cultuelle, c’est le langage qui permet de déceler les individus aux profils alarmants.

Les signes alarmants ne sont pas les plus visibles. Lorsque l’on pense radicalisation, on pense d’abord à la pratique religieuse, généralement visible de tous lorsqu’elle est poussée. Les spécialistes reconnaissent qu’appliquer de manière radicale les préceptes de l’islam constitue l’un des (nombreux) signes de radicalisation.

Mais ils appellent surtout à ne pas tomber dans les amalgames : "les signes de radicalisation alarmants ne sont pas ceux qui sont les plus visibles", prévient Patrick Amoyel, psychanalyste de métier, et président de l’association Entr’autre, à Nice. "Un individu qui porte la barbe, une femme qui porte le voile ce n’est pas forcément alarmant, il s’agit des fondamentaux de l’islam", détaille le président de cette association qui travaille notamment avec des mineurs ou des personnes ayant fait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire.

Alerter au moindre doute. Mais si cette pratique conduit à un certain isolement, les proches doivent s’alarmer. "Par exemple, le fait d’arrêter l’école ou le travail pour faire ses cinq prières, cela doit interpeller. Le fait de refuser de saluer une femme, ou de rester dans la même pièce qu’une femme, est le signe d’une pratique de plus en plus forte. Enfin, l’envie de faire un grand voyage, de faire une retraite religieuse, dans un pays arabe, pour des raisons de puretés de religieuses, c’est alarmant", énumère Patrick Amoyel. Aux proches qui sont confrontés à ce genre de profils, le spécialiste conseille donc de prévenir les autorités en appelant le numéro vert dédié au signalement des personnes radicalisées.

Le discours politique, un signe évident de radicalisation. D’autant plus que, selon lui, "la radicalité cultuelle mène à une radicalité politique une fois sur deux". Les signes de radicalité politique sont plus insidieux, puisque qu’ils ne passent pas pour décelables dans la pratique de l’islam, mais dans le discours. "Ce sont des signes discursifs : des morceaux de discours qui font référence à différentes idéologies", explique Patrick Amoyel. Les psychanalystes en dénombrent cinq : le discours antisémite, le discours complotiste, le communautarisme, l’identitarisme et le victimisme.

Le premier signe de radicalité politique se manifeste par un discours antisémite virulent. "Il ne s’agit pas d’un discours antisémite classique, que l’on retrouve chez les membres du FN. Là, le discours antisémite vient appuyer la thèse d’un complot juif contre l’islam", précise Patrick Amoyel. Dans la même veine, le discours complotiste est tourné sur le complot anti-islam, supposément mené par les francs-maçons, les illuminatis ou encore le nouvel ordre mondial. "Ce discours consiste à dire, par exemple, que les attentats contre Charlie ont été montés par la CIA pour dévaloriser les musulmans et affaiblir l’islam", rapporte Patrick Amoyel.

Les individus en phase de radicalité politique font preuve d’un communautarisme exacerbé. "Ils vont tout faire pour se séparer de la communauté nationale. Ils vont se mettre en rupture avec le travail ou arrêter un processus d’intégration professionnelle", détaille le psychanalyste. Une démarche qui va généralement de pair avec un identitarisme affirmé, c’est-à-dire "mon identité musulmane l’emporte sur tout autre identité". Les individus rejettent donc leurs origines, leurs identités de sol, etc. Le fait d’embrasser une nouvelle identité passe également par le fait d’adopter son vocabulaire, les non-musulmans sont donc traités de "kouffars" ou de mécréants et les chrétiens de "croisés".

S’amorce également un processus de victimisme. "Les personnes en voie de radicalisation politique entretiennent un fort sentiment d’humiliation couplé d’un discours de revanche politique sur l’Occident", résume Patrick Amoyel.

Ce dernier précise bien qu’il ne faut pas attendre qu’un individu corresponde à tous ces critères pour alerter les autorités. "Au moindre doute, il faut signaler l’individu au numéro vert", insiste-t-il. Si les autorités confirment les doutes, viendra alors la longue et sinueuse étape de la déradicalisation.