Après les heurts de la manifestation de samedi, les organisateurs espèrent que cette marche blanche se déroulera dans le calme. 1:30
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Thibaud Hue, avec AFP , modifié à
Quelques centaines de personnes se sont réunies ce lundi pour rendre hommage aux trois Kurdes décédés vendredi dans la fusillade dans le 10e arrondissement de Paris. Un drame qui ravive l'émotion d'une autre tuerie qui s'était déroulée en 2013 et visait également les Kurdes. La communauté souhaite que l'attaque soit qualifiée d'attentat.

"Cessez de nous demander de croire à cette version" : la communauté kurde refuse d'accepter que l'attaque qui a tué trois de ses membres à Paris relève du crime raciste d'un homme isolé, mis en examen et placé en détention provisoire ce lundi, et continue d'y voir la main de la Turquie. "Le régime fasciste d'Erdogan a encore frappé", a martelé lundi au mégaphone Agit Polat, le jeune président du Conseil démocratique kurde en France (CDK-F) lors d'une marche organisée à Paris en mémoire des victimes.

Quelques centaines de participants

Dans toutes les têtes, et sur la rangée de portraits brandis au premier rang, affleure le souvenir du triple assassinat, jamais élucidé, de trois militantes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) le 9 janvier 2013 à Paris. Le parcours de la marche qui a réuni quelques centaines de participants a relié symboliquement le centre culturel kurde visé vendredi à l'immeuble de la rue Lafayette, non loin de là, où ont été abattues les trois militantes il y a dix ans.

Rapidement interpellé, leur assassin est mort d'un cancer en 2016 quelques semaines avant son procès. Mais même si les parties civiles ont obtenu en 2019 la relance de l'enquête pour examiner l'éventuelle implication des services de renseignement turcs, les Kurdes de France doutent depuis de l'impartialité de la justice française.

"Pour nous, c'est évident, il (lsuspect, ndlr) n'a pas pu agir seul, il y a un lien avec la Turquie", affirme un participant à la marche, Denis "malheureusement" Erdogan, qui regrette de partager le même patronyme que celui du président turc Recep Tayyip Erdogan.

Le suspect ressent une "haine des étrangers pathologique" 

Le suspect, un ancien conducteur de train de 69 ans, a confié en garde à vue une "haine des étrangers pathologique" depuis un cambriolage dont il a été victime en 2016 et expliqué "s'en être pris à des victimes qu'il ne connaissait pas". Il a aussi déclaré, selon la procureure de Paris Laure Beccuau, en vouloir "à tous les migrants" et "aux Kurdes pour avoir 'constitué des prisonniers lors de leur combat contre Daech (l'organisation Etat islamique, ndlr) au lieu de les tuer'".

Agit Polat, qui estime que le tireur présumé a pu être manipulé lors de son passage en prison, se dit "incrédule" face aux premiers éléments de l'enquête révélés par la procureure. "En 24 heures, on évoque le cas psychiatrique puis en fait non", détaille-t-il en référence à la levée pour raison de santé de la garde à vue du suspect, admis quelques heures à l'unité psychiatrique de la préfecture de police de Paris. "On essaie à tout prix d'éviter la saisine du parquet antiterroriste", insiste Agit Polat.

"L'incompréhension" de la communauté kurde

Le parquet national antiterroriste (Pnat) ne s'est pas, à ce stade, saisi de l'enquête sur l'attaque de vendredi. L'avocat des familles des trois militantes tuées en 2013, Me Antoine Comte, a souligné lui aussi "l'incompréhension" de la communauté kurde, estimant que la qualification terroriste avait été "retenue pour des faits similiaires en 2013". "Ça apparaît comme une décision profondément politique. Visiblement, le parquet ne veut pas prendre le risque d'incriminer l'Etat turc même de façon subliminale", a-t-il dit à l'AFP, "c'est un problème géopolitique".

Depuis vendredi, aucun membre de cette communauté de réfugiés kurdes de Turquie, d'Irak ou d'Iran, ne veut croire que les victimes de vendredi sont mortes d'un banal acte xénophobe, qui n'aurait rien à voir avec le mouvement de libération kurde et son conflit avec le régime turc.

L'ambassadeur de France en Turquie convoqué

La communauté kurde se perçoit "laïque, travailleuse et intégrée", selon les mots d'un jeune employé de restaurant qui a requis l'anonymat, et ne figure pas parmi les cibles habituelles de l'ultradroite française. La journaliste et militante kurde Selma Akkaya évoque un phénomène "de surimpression des images de 2013".

Sans surprise, le gouvernement turc n'a guère apprécié les accusations de la communauté kurde de France. Trois jours après l'attaque, il a convoqué l'ambassadeur de France en Turquie pour exprimer son "mécontentement" face à ce qu'il considère comme de la "propagande anti-Turquie" lancée "par les cercles du PKK".