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SAISON 2020 - 2021, modifié à

SERIELAND ENTRETIEN - La série culte "Fais pas ci, fais pas ça" est de retour sur France 2 pour un épisode spécial baptisé "Y aura-t-il Noël à Noël ?". A cette occasion, Eva Roque reçoit le comédien Guillaume de Tonquédec. Dans cette deuxième partie, il revient sur ses points communs avec son personnage Renaud Lepic, et sur son autre série du moment très attendue : "Germinal" sur Salto.

Il y a dix ans, les Français découvraient deux familles voisines aussi drôles qu'attachantes : les Lepic, tendance catho tradi et les Bouley, plutôt bobo de gauche de Fais pas ci, fais pas ça. Après avoir tiré sa révérence, en 2018, la série est de retour le temps d'un épisode spécial de Noël : Y aura-t-il Noël à Noël ?

Pour en parler, Eva Roque reçoit dans SERIELAND le comédien Guillaume de Tonquédec, alias Renaud Lepic. Cet habitué des planches est devenu populaire avec Fais pas ci, fais pas ça. Depuis, il a d'ailleurs été auréolé du César du meilleur acteur dans un second rôle en 2017 grâce à son personnage dans le film Le Prénom.

Dans SERIELAND, le podcast d'Europe 1 Studio par celles et ceux qui aiment les séries et les font, Eva Roque lui accorde un grand entretien. En quoi Renaud Lepic lui ressemble-t-il ? Qu'a apporté Fais pas ci, fais pas ça dans le paysage des séries françaises ? En quoi consiste sa nouvelle série "Germinal" ? Dans cette deuxième partie, Guillaume de Tonquédec nous livre de nouvelles anecdotes sur la série qui a rythmé sa vie pendant 10 ans. 

 

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(Transcription)

Eva Roque : Est-ce que vous vous êtes posé des questions sur votre propre éducation et sur votre rôle de père avec vos enfants, grâce à ce personnage ? 

Guillaume de Tonquédec : Oui, bien sûr. J'ai trois enfants et évidemment, tous les dialogues me renvoyaient à mon expérience et à ma vie de papa. Et puis, ma vie de papa me renvoyait à Fais pas ci, fais pas ça. C'est pour ça que j'ai eu à cœur de le rendre le plus juste possible et le plus honnête ce personnage. Et le plus émouvant aussi. Je trouve qu'un personnage qui est pris dans ses propres contradictions par amour, c'est extraordinaire à faire. 

Eva Roque : Le succès de la série, selon moi, repose évidemment sur le scénario, la qualité des dialogues, l'interprétation de toutes les comédiennes et les comédiens, les invités compris. Ils ont été nombreux avec quelques récurrents, j'en cite quelques-uns : Isabelle Nanty, Anémone, Frédérique Bel ou encore André Manoukian. Isabelle Nanty, qu'on retrouve avec plaisir aussi dans cet épisode de Noël. Et puis, il y a un truc qui participe au succès, mais je ne sais pas comment le qualifier parce que pour moi, c'est une magie qui est indéfinissable. On sent que ça marche entre vous. Vous venez de nous en parler. Je sais que ce n'est pas qu'une illusion, mais est-ce que vous auriez pu faire, cette série avec, par exemple, une comédienne avec qui vous n'auriez pas partagé autant de connivence que Valérie Bonneton ?

Guillaume de Tonquédec : Moi, je crois que c'est l'une des clés de notre entente. Valérie, je la découvrais, je ne la connaissais pas. Pour autant, quand on a passé les essais ensemble, c'est comme si on n'avait pas besoin de mots. On vient vraiment de la même famille de comédiens et on a créé cette famille de Fais pas ci, fais pas ça instantanément. On s'est tout de suite trouvé. En plus, on ne joue pas tout à fait dans les mêmes rythmes, elle et moi. On l'a entendu dans la première scène, dans la façon de phraser, etc. Et tout d'un coup, je reprends la phrase : "Parce que c'était elle, parce que c'était moi." En la déformant un peu en parlant de l'amitié. C'est inexplicable. C'est une alchimie et donc de le faire avec quelqu'un d'autre peut-être que ça aurait été plus travaillé, plus scolaire. Là, on a inventé la vie, quoi. On s'est laissé déborder à chaque fois et notamment, on a laissé venir le rire et l'émotion avec Valérie. On a eu à cœur de le faire sur chaque scène. Jamais avec Valérie, on a laissé tomber une scène en se disant : "Ce n'est pas grave, il y a d'autres scènes autour qui sont bien." On s'est battu à chaque seconde de cette série pour que les scènes soient pleines de jus, de saveur et de vie. 

Eva Roque : Il y a une autre qualité aussi, c'est cette capacité à s'inscrire dans l'actualité. Cette faculté à raconter la société. Ce qu'on aime aussi dans SERIELAND quand on décrypte les séries. On va prendre un exemple dans la saison 6.

Extrait Fais pas ci, fais pas ça Saison 6

J'adore cet extrait, on voit les différents niveaux de lecture. On peut le regarder avec les rapports parents / enfants. Mais derrière, il y a quand même un décryptage de la société et les références à la fois politiques et historiques rajoutent du sel à tout ça. Et je trouve que cet épisode de Noël regroupe toutes ces qualités qu'on vient d'aborder, à commencer par ce regard acerbe sur la société. Je voudrais qu'on écoute un autre extrait dans l'épisode de Noël. Fabien et Valérie sont dans un supermarché. Elles tentent de faire les courses pour le réveillon de Noël ou les deux familles sont réunies et ça donne ça. 

Extrait Fais pas ci, fais pas ça épisode de Noël

On est mort de rire tous les deux ... 

Guillaume de Tonquédec : Oui, c'est super ... 

Eva Roque : On n'a pas besoin des images. L'écriture est quand même extraordinaire. Et puis, il y a cet équilibre, on n'est pas dans la caricature. Même Fabienne, censée représenter les catholiques de droite, arrive à se moquer du Christ. 

Guillaume de Tonquédec : Oui, c'est très juste. Encore une fois, c'est comment on peut avoir des grands principes et se prendre les pieds dans le tapis quand même. C'est bien les principes mais ce sont des idées. Et à l'épreuve de la vie, qu'est-ce qu'il se passe ? 

Eva Roque : On a parlé de votre duo avec Valérie Bonneton. Face à vous, un autre couple est formé par Isabelle Gélinas et Bruno Salomone. Dans cet épisode de Noël, on les retrouve, c'est la famille recomposée dans laquelle les enfants sont sous influence de leur fille de 11 ans. Je dis influence et c'est un euphémisme. C'est une Greta Thunberg en puissance. 

Extrait Fais pas ci, fais pas ça épisode de Noël

Guillaume de Tonquédec, dites-nous de qui vous vous sentez le plus proche dans la série ? De quel personnage vous vous sentez le plus proche ? 

Guillaume de Tonquédec : Moi c'est forcément de Renaud Lepic. Ce qui est très drôle, c'est que quand on se retrouve, on a deux maisons. Nous, les comédiens Lepic, on  préfère notre maison. Les Bouley préfèrent la leur. Quand on va tourner les uns chez les autres on critique, on dit : "Oui, c'est vrai qu'il y a plus de place pour mettre les caméras, mais elle est un peu froide, un peu humide votre maison." Dans l'autre, il y a plus de lumière, mais les pièces sont toutes petites. 

Eva Roque : Vous avez changé la décoration de votre maison ? 

Guillaume de Tonquédec : Oui, c'est assez marrant. Ce sont des vraies maisons qui existent à Sèvres et qui ont été louées en bail de 3 6 9, comme on a fait neuf saisons, ça tombait bien. Et puis, les maisons ont été rendues à leurs propriétaires. Donc, il a fallu convaincre les propriétaires de nous recéder les maisons et d'accepter qu'ils partent déjà et qu'on enlève toute leur déco pour remettre à peu près la nôtre. Ce n'est pas tout à fait la déco d'origine. Mais on peut comprendre que les maisons et les décorations évoluent au fil des années. Ce sont de vraies maisons. 

Eva Roque : Et ça donne aussi ce côté un peu réaliste qu'on attend de la série. Il paraît que vos enfants, dans la vraie vie, vous ont dit parfois : "Arrête de faire ton Renaud Lepic"... 

Guillaume de Tonquédec : Oui, c'est vrai. Mais qu'est-ce qu'on voulait dire là ? C'est foutu il n'y a plus d'arguments pour essayer d'apprendre des choses... 

Eva Roque : Alors je dis ça parce qu'évidemment, on en a parlé tout à l'heure. Mais la force, c'est aussi le processus d'identification. Première scène dans laquelle nous sommes nombreux à nous reconnaître : cette faculté que les enfants ont à ne pas venir, alors que ça fait 100 fois qu'on leur dit : "à table". Et dans cet épisode de Noël, vos enfants qui sont devenus adultes, même parents, vont donner une petite leçon à votre petit-fils. Oui, vous êtes grand-père. Petite leçon avec Kim. 

Extrait Fais pas ci, fais pas ça épisode de Noël

On est d'accord que ça va rester dans l'histoire des séries françaises ce "à table" ?

Guillaume de Tonquédec : Oui, je pense. Le mécanisme est tellement joli. C'est Michel Leclerc qui a imaginé ça, parce qu'au départ c'est Anne Giafferi qui avait écrit le "à table". Des années après, il renvoie en boomerang son explication. Il faut bien que les enfants se débrouillent avec la vie. Il faut qu'ils terminent de faire leurs devoirs ou de passer leurs coups de fils à leurs petits copains, ou petite copine ou leurs amis avant de venir à table. 

Eva Roque : C'est la force aussi de cet épisode de Noël. Par petites touches, on peut le regarder sans avoir jamais vu Fais pas ci, fais pas ça, mais en même temps, pour ceux qui connaissent bien la série, il y a plein de petites touches et plein de petits rappels de ce qu'on a pu voir dans les épisodes précédents. Est-ce vous l'avez vu en entier ? 

Guillaume de Tonquédec : Oui, j'ai demandé à le voir avant de pouvoir répondre aux questions qu'on nous poserait dessus. Evidemment, je connais les scènes dans lesquelles j'ai tourné, je ne sais pas comment elles sont montées. Et j'ai lu les scènes des Bouley, mais je ne les ai pas vues. Je n'étais pas présent au tournage. J'avais besoin de voir l'ensemble. 

Eva Roque : Qu'est-ce que vous en avez pensé ? 

Guillaume de Tonquédec : Je vous disais tout à l'heure qu'on ne l'aurait pas fait si on avait eu l'impression de trahir le public pour faire un épisode de plus. Il fallait que ce soit nécessaire. Et vraiment, c'est grâce à Michel Leclerc qui écrit et qui réalise qui a trouvé les bonnes idées. Il a mis l'ADN de la série dès les premières secondes et on le retrouve tout au long. Donc, il n'y a aucune trahison, bien au contraire. Et en plus, il a repris des sujets d'actualité qui n'avaient pas forcément été traités dans la série. La montée en puissance de l'écologie, la place des femmes avec Metoo, le Covid mais de façon tout sauf anxiogène parce qu'on en a un peu marre et il fait beaucoup rire avec le sujet. Et puis le thème des sapins coupés. Figurez-vous qu'il l'avait écrit bien avant toutes les histoires qui ont traîné sur ce sujet. C'est quand même très intéressant. C'était dans l'air du temps. En tout cas, Michel a trouvé cette idée bien avant qu'on en parle aux actualités. 

Eva Roque : Alors je ne pourrais pas préciser parce que sinon, on va spoiler l'histoire du sapin de Noël. En revanche, je suis d'accord avec vous, vous avez su dans cet épisode de Noël, capter les sujets d'actualité. Et moi, il y a une scène qui m'a fait hurler de rire et que j'ai revu plusieurs fois. Ce sont les enfants qui font un tableau pour indiquer les sujets interdits pendant le repas de Noël ou les sujets autorisés. Et ça donne ça.

Extrait Fais pas ci, fais pas ça Episode de Noël

Cette scène est absolument jubilatoire. Est-ce que vous avez fait plusieurs prises ? 

Guillaume de Tonquédec : Oui, on a fait plusieurs prises des deux côtés, l'axe vers les parents. Et puis, après l'axe sur les enfants. Pour le coup, il y a eu un peu d'impro, mais c'était quand même très écrit. C'est vrai que tout n'était pas écrit sur Hidalgo, j'en ai rajouté un petit peu parce que ça me faisait rire. Le sujet est tellement croustillant que forcément, j'y suis allé. C'est parfaitement ce que pense le personnage de Renaud. Ce qui est émouvant aussi pour lui, c'est que ses propres enfants ont repris le fameux paperboard pour ceux qui n'auraient pas vu, sur lequel il inscrit toujours ses grands principes d'éducation. Donc, il est très ému de voir que ses enfants ont repris le paperboard. 

Eva Roque : Est-ce que ça vous a donné des idées pour votre prochain Noël ? 

Guillaume de Tonquédec : Oui, c'est très juste parce que Noël, on dit c'est souvent l'apothéose de la famille. Les enfants, les parents qui se retrouvent, les grands parents et ce n'est pas toujours très drôle dans les familles ne savent pas bien où ça peut déraper et devenir un cauchemar. Donc, c'est un peu ce qui est montré là. Y aura-t-il Noël ? Est-ce qu'ils vont réussir à survivre à l'épreuve de Noël ? C'est très intéressant. 

Eva Roque : Est-ce que vous pensez que la série Fais pas ci, fais pas ça a changé quelque chose dans le paysage des séries françaises ? 

Guillaume de Tonquédec : France 2 avait passé un appel d'offres, pour une série le samedi à 19 heures. Thierry Bizot et Anne Giafferi ont rendu leur copie en disant : "On voudrait parler de la famille parce que on s'est aperçu que notre fille vient d'avoir 13 ans, et on est en retard à ce dîner chez nos copains parce qu'elle nous a fait une scène pas possible." Leurs copains ont tellement rigolé quand ils racontaient la façon dont leur fille de 13 ans les a martyrisés, qu'ils se sont dit : "Mais en fait, c'est un vrai sujet et c'est drôle." Alors que pour eux, c'était un drame sur le coup. Ils se sont dit qu'il y avait une belle matière là. Ils ont passé cet appel d'offres. Tout d'un coup, c'est Thierry et Anne qu'ils l'ont remporté. Surtout, ils ont rendu un épisode. Et pour la suite, sur les 12, France 2 leur a donné carte blanche. Ils ont laissé Anne écrire ce qu'elle voulait. C'est pour ça qu'il peut y avoir des gros mots dans la bouche des parents, alors que sur certaines autres chaînes peut-être à la même époque, on aurait dit que les parents ne peuvent pas dire tel ou tel mot. Donc, on ne l'aurait pas fait. Je pense que l'apport de Fais pas ci, fais pas ça, c'est une libération des auteurs, c'est-à-dire qu'on se dit : "Oui, ça marche parce qu'elle a écrit, elle a réussi à rendre la vie. Et si on faisait un peu plus confiance à nos bons auteurs". Les bons auteurs peuvent écrire des choses formidables s'ils ne sont pas bridés par une chaîne qui dit : "Mais non à cette heure de grande écoute, un papa ne peut pas dire un gros mot à table, ou une jeune fille ne peut pas être homosexuelle, ou il y a des choses qu'on ne peut pas traiter ou il faudrait le traiter différemment". Ils ont laissé faire Anne, de même pour la deuxième saison et au fil des saisons. Il n'y a pas eu de censure sur l'écriture et quand des bons auteurs peuvent s'exprimer, ça donne Fais pas ci, fais pas ça. J'espère en tout cas que ce sera une contribution à la libération de l'écriture en France. 

Eva Roque : On a souvent dit que Modern Family, la série américaine, s'était inspirée de Fais pas ci, fais pas ça...

Guillaume de Tonquédec : Oui, les Américains pour une fois ont acheté l'idée à Elephant Story, la boîte de production française. Ils ont acheté le droit de faire la même chose. Ils ont rajouté un couple homosexuel, eux. Il y a trois couples. 

Eva Roque : Je pense que vous avez moins d'affect pour cette série Modern Family que pour Fais pas ci. Fais pas ça... 

Guillaume de Tonquédec : Moi, j'aimais moins. Je trouvais ça plus caricatural justement. Ce sont des familles américaines, peut-être que ça passe mieux dans le paysage américain, mais je préfère l'ADN français. Encore une fois, je peux même citer des copains ou des gens qui sont expatriés, pour eux c'était une madeleine de Proust d'entendre ce petit bonbon au sucre français à Singapour ou à Londres, etc. Ils se refilaient les DVD sous le manteau entre copains. C'est ce qu'on fait en France aussi. 

Eva Roque : Si vous deviez retenir une scène de toute cette aventure de Fais pas ci, fais pas ça... 

Guillaume de Tonquédec : Oui, alors, je reviens à cette scène dont je parlais tout à l'heure. On s'est opposé à ce monsieur qui a reçu la couche sur son pare-brise. On s'est battu. Et mon fils, joué par Yannick Lespert à 17 ans, vient défendre son père. Il essaie d'attraper ce type par le dos et le type lui met une rouste, il tombe dans la boue. Son action n'est pas très utile et ne sert pas à grand chose, mais il l'a fait. Quand la famille rentre couverte de boue, fatiguée, enfin libre, le père ose dire à son fils dans la cuisine : "Je voulais te remercier parce que tu as été courageux, tu es venu me défendre. Je ne sais pas si moi, je l'aurais fait." Là tout d'un coup, c'était dans l'écriture, il y a une grande émotion qui est née de cette scène, immédiatement cassée par le rire parce que Fabienne, qui est à l'étage du dessus dit : "Evidemment, vous enlevez vos chaussures avant d'entrer dans la maison." Ils se regardent et ils ont gardé évidemment leurs chaussures, ils ont mis plein de boue dans la cuisine. Tout le monde éclate de rire. C'est exactement ça pour moi l'ADN de la série, c'est entre le rire et l'émotion. C'est peut-être la scène emblématique qui contient toutes les autres scènes de Fais pas ci, fais pas ça pour la suite. 

Eva Roque : Cet épisode de Noël est un point final à la série, c'est sûr et certain ?

Guillaume de Tonquédec : Encore une fois, il faut que ce soit nécessaire et c'est pour ça qu'on l'a fait, parce que c'était devenu nécessaire. Anne Holmes, la directrice de la fiction de France 2 a rappelé qu'il ne s'agissait pas de faire un coup ou quoi. On avait tous très envie de se retrouver. Donc, on l'a fait. Par contre, il ne faudrait pas que ça devienne un rendez vous. Je crois qu'il faut que ça reste exceptionnel, le fait que ce soit une série, c'est vraiment terminé. On n'aurait plus le temps et le sujet s'est tarie. Par contre, d'avoir un sujet comme ça, qui est Noël, qui peut-être une parfaite opposition pour les deux familles et qui permet de raconter beaucoup de choses, ça oui. Donc, si on trouvait un auteur qui ait une autre très bonne idée dans un an, deux ans, trois ans, quatre ans, pourquoi pas, bien sûr, on serait tous partants. 

Eva Roque : On s'était vu il y a un peu plus d'un an. On avait évoqué la pièce de théâtre Sept ans de réflexion dans laquelle vous jouiez à l'époque. Et puis un très beau film, l'Esprit de famille, dans lequel vous incarnez le fils de François Berléand. C'est un film que j'avais beaucoup aimé. Et dans votre actualité du moment, vous venez de tourner un film où il est encore question de famille et encore question d'enfance. Le temps des secrets, c'est le troisième volet de la trilogie de Pagnol sur son enfance. C'est un thème que vous aimez aborder, que vous aimez traiter en tant que comédien ou c'est le hasard des propositions... 

Guillaume de Tonquédec : C'est un peu le hasard. Là, c'est Christophe Barratier qui devait réaliser son film. Et puis, le film a été repoussé avec le Covid. J'ai envie de dire merci au Covid en tout cas, en ce qui me concerne, parce que ce n'est pas moi qui devait jouer le personnage. Il se trouve que le comédien qui devait le faire n'était plus libre et donc il est re-rentré en casting. C'est comme ça qu'on s'est rencontré grâce à mon agent Laurent Grégoire. Et sur la rencontre, ça s'est fait avec Christophe Barratier. Ce qui m'a bouleversé, c'est d'abord le livre de Pagnol qui est extraordinaire et surtout la façon dont il parle de l'enfance et de la naissance du sentiment amoureux. Et comment ce petit Marcel Pagnol va négliger son sentiment amical pour Lili, pour essayer de vivre sa première histoire d'amour avec toutes les joies et les désillusions qu'il va ressentir. C'est tellement bien écrit et tellement bien adapté par Christophe Barratier que moi, j'ai été bouleversé par le scénario et je leur en ai parlé. Je me suis retrouvé chez lui pendant deux heures. Je crois que je n'ai arrêté de parler, ce qu'il avait mis sur la transmission, sur le regard de ce père qui voit son fils tomber amoureux, comment ça peut être touchant, mais aussi lui rappeler sa propre vie avec la mère de Marcel et tous les bouleversements que ça va provoquer dans la famille. Cette arrivée de la mort pour ce petit garçon, c'est tellement bien que à nouveau j'avais qu'une envie c'était de lui dire oui. On a bu une bouteille de blanc en deux heures, ça nous a peut-être aidé. 

Eva Roque : J'avais un petit cadeau pour vous. La voix de Marcel Pagnol. 

Extrait Marcel Pagnol

C'est incroyable. Il connaissait la critique négative par cœur. 

Guillaume de Tonquédec : Oui, il a beau dire qu'il s'en défait, ce qui est bouleversant, c'est que ça l'a quand même marqué au fer rouge, puisqu'il s'en souvient par cœur. 

Eva Roque : Est-ce que vous en connaissez des critiques ou pas par cœur, qui ont été faites à votre sujet ? 

Guillaume de Tonquédec : Oui, j'en connais. Mais ce qui me frappe chez Pagnol, c'est son amour du cinéma, son amour des mots. J'ai rencontré ses descendants comme Nicolas Pagnol, en travaillant sur le film et Christophe Barratier me disait que Pagnol souvent dit qu'il met la caméra où il veut, certes, mais il faisait beaucoup répéter ses comédiens comme au théâtre, beaucoup dans les mots, dans l'amour des mots. Après, il se mettait avec son casque audio sur les oreilles et il fermait les yeux. Les comédiens jouaient. Il ne regardait pas forcément l'image, mais il écoutait. C'est extraordinaire, par rapport à son écriture et à la justesse du jeu. C'est dans l'écoute c'est formidable. Je me souviens d'une critique négative. Je jouais au théâtre l'École des femmes de Molière. Peut-être ma pièce préférée de Molière. Il y a eu une critique dans une émission très célèbre à la télévision à l'époque et je me suis fait assassiner en règle. Sauf que le problème, c'est que je jouais deux ou trois heures après au Théâtre Hébertot cette pièce. Donc je suis arrivé complètement défait parce que la critique m'avait atteint parce qu'elle était négative. Jacques Weber et Isabelle Carré avec qui je jouais à l'époque, sont venus me voir en me disant : "Qu'est ce qui s'est passé ?" Je leur ai raconté. Jacques Weber était dans une grande colère, il m'a dit " Ne t'occupe pas de ça." Et surtout, Jean-Luc Boutté, qui était comédien et metteur en scène de la pièce, m'a laissé à l'époque un très beau message sur mon répondeur en me disant : "Travaille pour toi-même, ne t'occupe pas des critiques. J'aime ce que tu fais, c'est pour ça que je t'ai choisi. Ne change rien." Et de ce jour là, je me suis dit que c'est lui qui a raison parce qu'on vient pour faire rêver les gens et pourquoi être sensible à ce massacre et rater cette représentation alors qu'on a vraiment quelque chose à leur proposer. De ce jour-là, je me suis dit que je lirai les critiques le lendemain de la dernière en tout cas pour le théâtre. C'est là qu'elles prendront leur vraie valeur. Je suis un peu vache avec les critiques. Mais c'est aussi une façon de se protéger parce que c'est un art vivant et qu'on joue tous les jours. C'est ça qui est très bouleversant parce que même dans un article élogieux, s'il y a un tout petit truc négatif, on ne va retenir que ça, c'est normal, c'est humain. 

Eva Roque : Autre actualité dont j'aimerais que vous me disiez un mot parce que c'est en cours de tournage, vous ne pouvez pas trop en dire, mais vous allez être un des interprètes de Germinal, grande fresque qu'on attend sur Salto, une coproduction à France Télévisions et la Raï. Quel personnage incarnez-vous, pouvez-vous nous en dire un peu plus ? 

Guillaume de Tonquédec : Bien sûr, je joue M. Hennebeau qui est le directeur de la mine. Il ne va pas être tendre, c'est le moins qu'on puisse dire, avec les mineurs. Les mineurs se révoltent, essayent d'avoir de meilleures conditions de travail, tout simplement. Il faut bien voir combien c'était épouvantable les conditions de travail à l'époque et les progrès syndicaux, sociaux qu'on a pu faire et qui sont très louables. Évidemment, ce personnage là, ça va à l'encontre de ses intérêts. Donc, il va tout faire pour briser la grève et briser les êtres humains qu'il a en face de lui. Il se trouve que lui, dans sa vie privée, il rencontre des événements assez bouleversants et que donc on va pouvoir avoir de l'empathie pour lui. C'est ça que j'aime bien, c'est que ce personnage est assez ignoble du point de vue humain. Mais on aura aussi de l'empathie pour lui parce qu'il traverse lui aussi quelque chose de très difficile humainement. J'ai dit à David Hourrègue qui réalise : "Pourquoi tu m'as pris." Il m'a répondu : "Parce que tu ne portes pas quelque chose de négatif sur ton visage et dans ce que tu représentes. Donc, ça m'intéressait d'avoir quelqu'un qui puisse dire des choses absolument affreuses avec une bonne tête. 

Eva Roque : C'est une grande fresque qu'on attend impatiemment. 

Guillaume de Tonquédec : Il y a beaucoup de jeunes comédiens, Louis Pérès, qui joue le Lantier, notamment. Il y en a beaucoup. C'est difficile de les citer tous, mais c'est réunissant aussi de ce point de vue là. Tout ça grâce à la qualité de l'adaptation qui est faite par Julien Lilti. Il se trouve qu'on habitait la même ville quand on était petit. C'est assez marrant. Il a fait une très bonne adaptation d'abord et avant avec le texte, encore une fois. Et puis ensuite les comédiens que David a réuni et l'énergie qu'il a à fédérer tout le monde. Par exemple, il y a une scène où les mineurs portent quelqu'un qui a été blessé suite à un effondrement d'une partie de la mine. Ils sont très en colère. Ils sortent évidemment tout noir, ils sont appelés les "gueules noires". Et le patron que je joue arrive à cheval lui, très bien mis. On a tourné cette scène sous la pluie. Quand on la lit c'est très beau, on se dit que c'est joli. Mais quand on la vie, c'est extraordinaire de voir toute cette foule de gueules noires qui s'écartent en voyant arriver ce cheval et le patron, avec le respect qu'ils ont aussi pour le patron malgré tout. On n'a même pas besoin de mots. La pluie fait tomber la suie, le charbon, la crasse du visage des mineurs. C'est une scène extraordinaire. C'était une succession de scènes comme celles-ci auxquelles vous aurez droit. 

Eva Roque : Vous saviez monter à cheval avant cette scène ? 

Guillaume de Tonquédec : Pas très bien honnêtement. J'ai pris des cours d'équitation et je dois dire que je ne suis pas un très bon cavalier, mais j'adore ça. J'ai la trouille, mais j'adore ça. 

Eva Roque : Pour résumer cette heure que nous venons de passer. J'ai envie de dire mais quel chemin parcouru pour vous qui, enfant, avait eu du mal avec l'école. Les premières années à l'école ont été un calvaire... Et là, vous vous réconcilier avec les mots, avec la lecture. Vous vous retrouvez dans Germinal, l'adaptation de Germinal de Zola. On vous retrouve au théâtre, on vous retrouve dans les séries, on vous retrouve au cinéma. C'est incroyable quand même quand on regarde comme ça ce parcours. 

Guillaume de Tonquédec : Vous avez raison. C'est la force de l'imaginaire. Moi, c'est ça qui m'a sauvé, ce sont les histoires. C'est de pouvoir m'évader, moi, enfant très timide et en effet mauvais élève alors que je travaillais, j'essayais de bien faire. C'était la double peine. J'essayais de bien faire et en plus, on m'engueulait. Et je n'avais pas de bons résultats. Donc, c'est la fuite dans l'imaginaire, surtout pour un timide. On s'invente un monde. Et quand ce monde correspond à celui des auteurs que vous découvrirez en lisant ou en regardant des films, c'était plus facile pour moi de regarder un film que de lire ou d'écouter un livre lu par Gérard Philipe, notamment, et de suivre les mots sur le papier, c'était plus simple pour moi. Tout d'un coup, la force de l'imaginaire m'a dit ça vaut la peine et je me suis mis à travailler. J'ai réappris l'orthographe et la grammaire en classe de troisième avec ma prof de français qui a fait venir une prof de théâtre. Et c'est comme ça que j'ai commencé. Elle a dit qu'il y a du théâtre au programme, on va jouer des scènes plutôt que de les apprendre par cœur ou de les lire. Le théâtre est fait pour être joué. Je rends hommage à cette prof. 

Eva Roque : Oui "jouer", le verbe "jouer". 

Guillaume de Tonquédec : Quelle chance ! Je fais une boucle avec l'éducation. Quand mes enfants disent à l'école : "Ton papa, il fait quoi ?" Ils disent qu'il est parti jouer. C'est extraordinaire. Franchement quelle chance.

Eva Roque : Une dernière question il paraît que vos parents regardaient la télévision et riaient devant la télévision quand vous étiez enfant. Est-ce que c'est vrai ? Est ce que votre carrière, au fond, tient aussi à ça, à ce moment en famille, devant l'écran ? 

Guillaume de Tonquédec : Il y avait la télé, ont louait la télé chez Locatel, une télé en noir et blanc parce qu'on ne l'avait pas au début. J'ai découvert cette boîte assez émerveillé. Les voyants touchés par ce qu'il se passait dans cette petite boîte, je me suis dit : "Si moi aussi je pouvais être dans la boîte et raconter des histoires à mes parents. Quelle belle revanche pour intimider quoi..." 

"SERIELAND" est un podcast Europe 1 studio

Autrice et présentation : Eva Roque
Réalisation : Christophe Pierrot
Cheffe de projet édito : Adèle Ponticelli
Diffusion et édition : Clémence Olivier, Magali Butault, Tristan Barraux et Salomé Journo
Graphisme : Karelle Villais
Direction d'Europe 1 Studio : Olivier Lendresse