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SAISON 2020 - 2021, modifié à

SERIELAND ENTRETIEN - "Cheyenne et Lola", c'est la nouvelle série OCS. Dans ce nouvel épisode de SERIELAND, Eva Roque vous propose de plonger dans les coulisses de cette production française qui évoque en creux la condition des femmes et l'immigration, deux sujets hautement d'actualité. Elle reçoit la créatrice de la série, Virginie Brac, également scénariste de la 2ème saison d'"Engrenages".

Virginie Brac est une femme de terrain. A 65 ans, l'autrice et scénariste n'envisage pas d'écrire un livre ou une série sans savoir de quoi elle parle. Pour nourrir ses nombreux polars ou la saison 2 d'Engrenages, elle a rencontré des policiers. Pour parler de la condition des migrants et nourrir le scénario de sa nouvelle série, Cheyenne et Lola, elle s'est également rendue à Ouistreham et dans la jungle de Calais. 

Cheyenne et Lola, c'est l’histoire d’une rencontre entre deux femmes : Cheyenne donc, qui sort de prison et fait des ménages sur des ferries et Lola, une parisienne égoïste et paumée qui vient d'arriver dans le nord de la France pour retrouver son amant. Mais les deux femmes vont se retrouver embarquées dans une spirale infernale.

La réussite de cette série repose sur le duo de personnages Cheyenne et Lola, interprétées par Veerle Baetens et Charlotte Le Bon. Et sur la magnifique mise en image du réalisateur flamand Eshref Reybrouck : "En faire quelque chose d'aussi beau, d'aussi lumineux, sans trahir le fond, sans faire de la mièvrerie, en faisant vraiment de la poésie, moi, je suis bluffée", appuie Virginie Brac.

Dans SERIELAND, le podcast d'Europe 1 Studio par celles et ceux qui aiment les séries et les font, Eva Roque accorde un grand entretien à la créatrice et scénariste. Pourquoi a-t-elle décidé d'aborder ce thème ? Comment a-t-elle travaillé avec le réalisateur Eshref Reybrouck ? Comment décrirait-elle le lien qui unit ces deux femmes ? Quelle souvenir garde-t-elle d'Engrenages ? Virginie Brac nous dévoile les secrets de sa création. 

(Transcription)

Première scène de l'épisode 1

Virginie Brac : C'est un moment difficile. Elles sont contraintes de nettoyer une scène de crime. Le malfrat qui leur a demandé ça a voulu être honnête avec elle. Il leur a filé 50 euros, ce qui est dans sa tête à lui, exactement ce qu'elles valent ! 

Eva Roque : Bonjour Virginie Brac !

Virginie Brac : Bonjour. 

Eva Roque : Merci d’avoir accepté notre invitation. Je suis très heureuse de vous recevoir pour évoquer cette nouvelle série en 8 épisodes à voir sur OCS et portée, notamment, par un duo de femmes. Ce sont deux actrices exceptionnelles : Veerle Baetens et Charlotte Le Bon. Le reste du casting est remarquable, mention spéciale à Sophie-Marie Larrouy. Des comédiennes et comédiens sublimés par la réalisation d’Eshref Reybrouck.

Cheyenne et Lola, c’est l’histoire d’une rencontre. Ces deux femmes qui vont se retrouver embarquées dans une spirale infernale. Obligées de cacher le corps d’une première victime. Puis passeuses de migrants sur un ferry faisant le trajet entre la France et l’Angleterre; Les galères vont se multiplier. Au point qu’on se dit que tout ça va forcément très mal finir. Virginie Brac, racontez-moi le jour où vous avez écrit pour la première fois sur votre ordinateur ou sur une page blanche, les prénoms de Cheyenne et de Lola.

Virginie Brac : C'est après avoir vu Breaking Bad. Quand j'ai créé Cheyenne et Lola, je voulais deux héroïnes féminines qui soient prises dans une dynamique, dans une dramaturgie, à la Breaking Bad. C'est-à-dire qu'à chaque fois, elles vont aller de catastrophe en catastrophe. Mais chaque catastrophe est en fait porteuse d'un succès. Voilà, c'est toute l'ambiguïté de Breaking Bad. J'ai donc écrit ça comme ça en me disant : "J'ai deux personnages. Qu'est-ce que j'aimerais voir à l'écran en ce moment en France et que je ne vois pas ?". C'est une amitié entre deux femmes canons, mais pas canons de la même façon. 

Eva Roque : Avez-vous écrit les prénoms Cheyenne et Lola sur votre ordinateur ou les prénoms sont arrivés après ? 

Virginie Brac : Je crois que le prénom de Cheyenne est arrivé un peu après, quand j'ai vu Veerle Baetens. Elle a accepté de rentrer dans cette série. C'était très étrange. J'ai écrit le rôle quasiment pour elle. Je ne la connaissais pas du tout, c'est ma productrice qui a eu l'idée, comme j'avais l'idée de ce personnage féminin sur qui tout repose. Il fallait qu'elle soit séduisante, il fallait qu'elle soit rebelle, il ne fallait pas qu'elle soit "gnangnan". Il fallait qu'on y croit. On avait très envie de travailler avec Veerle. Et avec sa générosité et son incroyable spontanéité, elle a dit oui. 

Eva Roque : Si je comprends bien, ça veut dire que vous aviez vos deux personnages féminins, vous saviez où vous vouliez aller. 

Virginie Brac : Oui, tout à fait ! Il y avait un autre nom mais je ne voulais pas le garder. 

Eva Roque : Une fois que vous saviez que c'était Veerle Baetens qui allait incarner cette femme, vous avez vraiment peaufiné le personnage ? 

Virginie Brac : Ah oui, complètement. 

Eva Roque : Et le prénom de Cheyennes est arrivé... 

Virginie Brac : Oui, il est arrivé avant que j'écrive. Quand j'ai su que c'était Verlee. Si vous voulez dans le film Alabama Monroe, Alabama a un côté western. Cheyenne aussi. Moi ça a fait tilt à ce moment-là et je me suis dit : "Tiens, elle va s'appeler Cheyenne. Personne ne va savoir si c'est son vrai nom ou pas, ou si c'est le nom qu'elle s'est donné. Ça n'a aucune importance."  

Eva Roque : Et vous avez dit le mot vers lequel je voulais vous emmener. Est-ce que vous n'avez pas écrit une sorte de western moderne avec les plages du Nord en décor, le bar des Amis en guise de saloon, des voitures à la place des chevaux, on a l'impression que c'est ça... 

Virginie Brac : Mais totalement. C'était la seule façon de se démarquer de Ken Loach. J'aime beaucoup Ken Loach mais je ne voudrais pas regarder une série avec Ken Loach parce qu'une série, il faut revenir. Il faut avoir envie de revenir. Donc, il fallait trouver une poésie quelque part. Il fallait trouver de la beauté dans l'âpreté. Il fallait avoir ce mélange de comédie et de tragédie que je cherchais. 

 

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Eva Roque : On va en reparler justement de la comédie. Mais d'abord, on est toujours au premier épisode. Cheyenne et Lola se rencontrent. Cheyenne vient de sortir de prison. Elle a été incarcérée pour ne pas avoir dénoncé son malfrat de mari. Elle est femme de ménage, désormais sur un ferry. Elle cherche à gagner un peu d'argent et elle investit dans une société aux allures un peu de secte. Une escroquerie basée sur ce qu'on appelle une pyramide de Ponzi, vous savez, ces montages financiers qui ont donné lieu à l'affaire Madoff. Elle a d'ailleurs du mal à recruter des clients. Lola, elle, en revanche est très sûre d'elle. Elle n'a pas de doute. Premier dialogue entre elles dans une scène de toilettes. 

Extrait Cheyenne et Lola

Est-ce que c'est scène qui est la première rencontre entre ces deux femmes est la première scène que les comédiennes ont tourné ensemble ? 

Virginie Brac : Ah je ne m'en souviens pas, mais je ne crois pas. 

Eva Roque : Vous étiez très présente sur le tournage ?  

Virginie Brac : Non, pas du tout. J'ai énormément travaillé en amont avec Verlee, Eshref Reybrouck le réalisateur, Charlotte et tous les comédiens. On a fait des lectures. Eshref est quelqu'un qui travaille en profondeur. Avant, on a tout revu, on a tout passé au crible. On a vérifié que les actrices étaient bien avec leur texte, qu'elles avaient compris les nuances parce qu'il y a beaucoup de nuances et beaucoup de double sens. On passe dans plusieurs registres : émotion, comédie, tragédie. Et puis Verlee est flamande et Eshref et flamand. Ils n'ont pas la même sensibilité ! On n'a pas le même décodage des scènes. C'était très marrant. D'ailleurs, on a beaucoup travaillé là-dessus pour être sûr. Après, je suis allé sur le tournage, par courtoisie, pour dire bonjour, mais je ne disais rien. C'était trop tard. 

Eva Roque : Mais est-ce qu'on peut dire que vous êtes en quelques sortes showrunner sur cette série, c'est-à-dire que vous êtes plus qu'une scénariste ?

Virginie Brac : Oui dans le sens où je suis créatrice de la série, je préfère ça au terme de showrunner. En plus, j'ai une vraie complicité avec la productrice qui a soutenu le projet qui nous a soutenu pour le casting, et évidemment, j'étais là. Pour les costumes et les décors j'étais aussi là. J'étais consultée tout le temps à Paris. On discutait. Mais après, une fois que les décisions ont été prises, je me suis retirée. D'abord parce que j'avais du travail à côté. Et puis, ce n'est plus mon rôle. Il faut laisser le réalisateur s'emparer de la série. Il faut laisser son imaginaire. 

Eva Roque : Et quand vous voyez le résultat à l'écran ? 

Virginie Brac : Je suis bluffée. Je suis vraiment bluffée par le travail qu'a fait Eshref. Je crois vraiment que ça vient de cette âme du Nord. La série se passe dans les Haut de France, dans un milieu défavorisé. En faire quelque chose d'aussi beau, d'aussi lumineux, sans trahir le fond, sans faire de la mièvrerie, en faisant vraiment de la poésie, moi, je ne sais pas, je suis bluffée. 

Eva Roque : Quelle est la première scène que vous avez vu à l'écran, qui était montée et que vous avez vu ?  

Virginie Brac : Je me demande si ce n'était pas la scène avec les migrants sur la plage. 

Eva Roque : Et vous avez été bluffée tout de suite... 

Virginie Brac : Oui, on ne sait pas s'ils sont vrais, s'ils ne sont pas vrais. Ils sont très beaux, ils sont très élégants. En même temps, ils sont très pauvres. On ne vous ment pas sur la réalité des choses. C'est un peu onirique, c'est bizarre. 

Eva Roque : Si on regardait votre scénario aujourd'hui, est-ce que je trouverais, par exemple, des détails sur les vêtements de vos personnages ? Des détails sur les décors que vous avez peut-être pu imaginer ou ce n'était pas votre travail ? 

Virginie Brac : Si quand même un peu. Les vêtements de Cheyenne, ils vont de soi. Évidemment qu'elle va être en jean. Évidemment qu'elle ne va pas dépenser beaucoup d'argent dans ses vêtements.

Eva Roque : C'est marrant, que vous disiez ça que ça va de soi, parce qu'en fait, ça va de soi quand on découvre la série et quand on découvre ce personnage. Mais il y a quand même un petit truc. Il y a ces débardeurs qui dévoilent son nombril. Elle pourrait avoir un débardeur qui entre dans son jean. C'est que du détail mais il y a quelque chose dans tout ça. J'ai l'impression que vous avez tout conçu de façon très précise avec l'équipe... 

Virginie Brac : Alors là, c'était très précis. Ce qui nous a donné du fil à retordre, ce sont les tatouages de Cheyenne. Alors ça Eshref a fait refaire cent fois parce qu'on a cherché dans tous les sens. Vous voyez un tatouage qui est très beau sur tout le corps, qui est d'inspiration tatouages d'Amazonie, qui est à la fois original, porteur de son rêve. Ce sont des flèches, ça n'est pas des mots, ça n'est pas des dates. Ce n'est pas vulgaire. On a cherché cet équilibre. 

Eva Roque : Alors qu'on ne le voit pas tant que ça tatouage...

Virginie Brac : On ne le voit pas. Mais quand elle se déshabille et que vous le voyez quand même il fallait faire attention, on le voit. 

Eva Roque : Il y a un autre personnage qui a des tatouages. C'est Nadège qui est une des copines qui habite dans le campement, où vit Cheyenne. Elle a un tatouage absolument magnifique sur elle et sur tout son torse. Est-ce que c'est un faux ou un vrai tatouage ? 

Virginie Brac : C'est un faux. 

Eva Roque : Cheyenne et Lola sont fascinantes toutes les deux. Cheyenne a un côté androgyne. J'imagine que vous l'avez conçu comme ça... 

Virginie Brac : Je ne l'avais pas conçue comme ça. C'est là où Verlee prouve son immense talent, c'est que c'est elle qui s'est rasée. 

Eva Roque : Elle s'est rasée les cheveux ? 

Virginie Brac : Oui, on travaillait et elle dit à Eshref comme ça devant moi : "Tu sais quoi ? Je crois que je vais me raser. Je crois qu'il faut que je me rase pour ce rôle." Nous, on se dit : "Mon dieu où on va ?" On savait qu'elle était assez belle et qu'elle avait une incarnation qui le permettait. Mais quand même on était un peu inquiets. Alors on a fait des essayages avec des perruques et évidemment, elle était parfaite et c'était une évidence. Vous vous rendez compte une comédienne qui dit : "Moi, je vais faire ça, pour ce rôle."

Eva Roque : Il y a deux phrases que je voudrais qu'on écoute qui sont prononcées par des hommes face à Cheyenne. 

Extrait Cheyenne et Lola

Cheyenne et Lola, c'est le parcours de deux femmes, mais ça parle beaucoup des relations avec les hommes. C'était ça aussi que vous vouliez nous décrire...

Virginie Brac : Non je ne crois pas. Ça sera plutôt la saison 2. Je voulais parler des relations entre femmes parce qu'en fait, il n'y a quasiment que des femmes. Les hommes sont là, mais ce sont souvent des antagonistes. En fait, les choses se passent quand ils sont sortis de la scène. Ce sont un peu des empêcheurs de tourner en rond. Elles ont assez peu de relations avec eux. Elles parlent de leur relation avec eux, mais pour soutenir les relations qu'elles ont entre elles. 

Eva Roque : Au fond, j'ai vu avant tout une série sur les femmes. Je dirais même une série féministe. Et avec ces hommes empêcheurs de tourner en rond. Mais ce que j'avais envie de demander, c'est qu'au fond vous avez écrit une série, un réalisateur s'est emparé de vos mots, et en a fait une œuvre. Après nous téléspectateurs, on s'empare aussi de cette œuvre et on y voit peut être des choses que vous n'avez pas voulu mettre... 

Virginie Brac : C'est plutôt que je les ai mises à mon insu. Parce que si le spectateur les voit, c'est qu'elles y sont. Il y a plusieurs dimensions dans une œuvre et je ne pense pas que l'auteur maîtrise tout. Je ne pense pas que l'auteur soit conscient de tout. 

Eva Roque : Comment définiriez-vous le lien qui unit ces deux femmes, Cheyenne et Lola ? 

Virginie Brac : C'est très compliqué, c'est de l'amitié. Mais de la part de Lola, c'est une amitié amoureuse, c'est-à-dire que c'est une dépendance affective. Lola a ce vide en elle. Elle a ce problème relationnel assez profond. Si Cheyenne était gay, Lola serait amoureuse d'elle. Cheyenne bloque complètement là-dessus. Donc, ça devient une espèce d'amitié très profonde. Et Cheyenne met d'ailleurs plus de temps à reconnaître qu'elle a besoin de Lola et que sa vie sans Lola, ce n'est pas sa vie. 

Eva Roque : Alors moi, il y a une scène qui m'a marquée d'abord par la réalisation. Pardon, j'en parle encore. Mais parce que la lumière dans cette scène est absolument sublime. Et puis, il y a ce dialogue entre les deux femmes. Elles sont sur le toit de la caravane où vit Cheyenne. On sent le soleil sur leur peau. Et puis le vent qui balaie un peu la poussière. 

Extrait Cheyenne et Lola 

Je trouve qu'il y a tout, et d'abord la qualité des dialogues. On sent l'interprétation qui est réussie. Il y a à la fois de l'émotion, de la poésie et ce rire de Charlotte Le Bon qui résonne et fait du bien parce qu'on est aussi dans le registre de la comédie à plusieurs reprises. C'est vraiment un très beau moment qui est sublimé par cette musique aussi. Qui a fait cette bande originale  ? 

Virginie Brac : C'est le musicien d'Alabama Monroe, encore un Flamand. Et j'aime énormément la musique qu'il a faite. 

Eva Roque : Ça aussi, vous le découvrez à l'image ? 

Virginie Brac : Oui, c'est arrivé tard. 

Eva Roque : J'imagine que ça doit vous procurer une émotion...

Virginie Brac : Oui ! Enfin, la productrice m'envoyait les extraits. On disait lesquels on préférait. Je n'ai pas complètement découvert, mais ça me procure une émotion dingue. Moi qui suis une femme du Sud, cette bande de Nordiques qui se sont emparés de cette histoire, et de sa mélancolie, de sa truculence, de son dynamisme et qui en ont fait la leur. Ils en ont fait un vrai western du Nord. 

Eva Roque : Est-ce que vous avez été émue aux larmes, parfois en voyant certaines scènes ? 

Virginie Brac : Ah oui. La scène à la fin de l'épisode 6 notamment. On dirait vraiment qu'elles se déchirent et c'est affreux. Elles sont désespérées toutes les deux. C'est ça qui est magnifique. 

Eva Roque : Est-ce que ces deux femmes ressemblent à des personnes que vous avez croisées dans la vie ? 

Virginie Brac : Je serais tenté de vous dire en tant qu'auteure, forcément. Mais on fait des amalgames, des compilations de gens qu'on connaît. Le cerveau fonctionne sur des choses qu'on a ramassé, même quand il s'agit de gens qu'on connaît très peu et qui vous ont frappé par quelque chose, un regard, un rire. Et vous allez le transposer. Vous allez l'ajouter, comme quand on fait de la pâte à modeler. Ces personnes existent, oui. Sinon, on ne pourrait pas toucher le cœur du spectateur. 

Eva Roque : Elles vous ressemblent aussi un peu ? 

Virginie Brac : Oui, forcément. D'ailleurs, il y a des auteurs qui écrivent comme ça de façon éparpillée sur plusieurs séries, je ne sais pas comment ils font. Je me demande comment ils font pour s'emparer des personnages et pour coller au personnage, je ne sais pas si c'est douloureux pour eux, si c'est facile. 

Eva Roque : Et pour vous, c'était comment ? Combien de temps d'écriture vous avez passé sur Cheyenne et Lola

Virginie Brac : C'est difficile à dire, ça a été en deux temps, trois épisodes et cinq épisodes. En tout cas, les cinq derniers épisodes il fallait aller vite à cause du tournage donc j'ai mis six mois, sept mois. 

Eva Roque : C'était douloureux ? 

Virginie Brac : Ah non, pas du tout. 

Eva Roque : Vous étiez heureuse de vivre avec ? 

Virginie Brac : Bien sûr mais j'étais complètement porté par l'histoire qu'elle me racontait tous les matins. 

Eva Roque : Quand vous écrivez les derniers épisodes, vous connaissez le casting, est-ce que vous entendez leur voix en écrivant ? 

Virginie Brac : Non, pas leur voix. Je pense à elle, oui. J'imagine comment elles vont interpréter les choses. Mais je ne mets pas d'indications de jeu par exemple. Je mets des indications de décors et de costumes, mais je ne mets pas d'indications de jeu ou très peu, et certainement pas d'indications de mise en scène. Je n'ai pas envie de bloquer les créateurs que sont les comédiens dans leur travail. 

Eva Roque : Ça veut dire que, par exemple, il n'y a pas de didascalies pour indiquer le registre de l'émotion, ou de la comédie....

Virginie Brac : Je vais mettre quelques didascalies, oui, en général sur l'émotion et la résonance que ça doit avoir. Mais c'est tout, parce que les acteurs nous surprennent toujours quand ils s'emparent d'un personnage. On pense qu'ils vont dire ça en pleurant et en fait, s'ils le disent en riant, c'est dix fois plus fort. 

Eva Roque : Quelle magie ! Moi, j'ai vu beaucoup d'hommes dans cette série. J'aime bien la façon dont les femmes les traitent. Pardon, mais parce que parfois, c'est avec force et violence aussi. Extrait d'un petit dialogue entre Cheyenne et Nadège, une des copines de Cheyenne. 

Extrait Cheyenne et Lola

Elle est extraordinairement forte Cheyenne... 

Virginie Brac : Elle dit ça, évidemment, parce que c'est Cheyenne et elle a le mental. Mais elle-même va être poussée dans ses retranchements. On a beau être forts, tout le monde a des limites, donc elle va être poussée dans ses limites. 

Eva Roque : D'ailleurs, à la fin de ce dialogue, on voit une autre fille, Espérance. Quel prénom ! Elle fait monter des hommes noirs dans un camion. Ce sont des migrants. Ils vont aussi devenir les héros et héroïnes de cette série. Derrière l'histoire de Cheyenne et Lola vous vouliez raconter quoi Virginie Brac sur notre société ?

Virginie Brac : L'hypocrisie qui consiste à faire semblant qu'il n'y a pas de migrants alors qu'il y en a partout. Et on ne fait rien. Ils sont là et on ne fait absolument rien. Aussi, on ne fait rien pour les laissés pour compte. Et les femmes sont en bas de l'échelle. Qu'est ce qu'il y a en dessous des femmes ? Les migrants. Mon but était de montrer comment il y a une forme d'entraide, une forme de débrouille qui peut s'installer. 

Eva Roque : Je me souviens avoir lu le livre de Florence Aubenas, qui se passait sur ces ferries. Il raconte le quotidien de ces femmes qui travaillent sur les ferries.  Est-ce que ça a été une source d'inspiration pour vous ? 

Virginie Brac : Totalement. Ça m'a amené à Ouistreham, où je n'ai pas vu du tout la même chose que Florence Aubenas. On n'a pas le même imaginaire, c'est normal. Elle c'était un documentaire, c'était autre chose, un livre absolument magnifique et très puissant. Moi, c'est presque la scénariste de polars qui prend le dessus, et je remarque tout de suite qu'il y a des barbelés pour les migrants. Je pose des questions aux vigils, etc. Et on me dit : "Ah non, mais là, on a mis des barbelés parce qu'en fait, ils font des attaques pour monter sur les ferries." Je tombe des nues. Je suis un peu surprise. Et puis après, j'ai vu où j'allais pouvoir situer mon arène. 

Eva Roque : Donc, vous avez besoin de ce côté un peu réaliste, cette idée d'aller sur place, presque d'enquêter...

Virginie Brac : Oui, j'ai été dans la jungle aussi parce que je travaillais sur une série avec un réalisateur israélien. Un projet de série qu'on avait sur les migrants, justement. Et donc, on est allé passer plusieurs jours dans la jungle. On avait des contacts, etc. Les deux expériences se sont mélangées. Oui, moi, je pars de la réalité pour la transposer. J'ai besoin de savoir comment ça se passe pour savoir dans quelle mesure je raconte n'importe quoi. Je veux savoir jusqu'où je peux aller en partant du réel.

Eva Roque : Votre série possède une autre grande qualité, à mon sens, il y a quelques phrases qui sont assénées avec force, mais des phrases qui font mouche. Je pense à ce passage où Cheyenne a volé des bijoux pour payer une dette à Yannick, qui est un peu l'homme qui tient la région, qui est un peu le caïd. Il fait sa loi. 

Extrait Cheyenne et Lola

J'adore ce passage. C'est juste deux phrases, mais ça veut tout dire. Parce que derrière cette histoire d'amitié entre ces deux femmes, vous racontez aussi la société, vous racontez ce que c'est la bourgeoisie dans les Hauts de France, etc. Tout ça est très écrit et très pensé...

Virginie Brac : Bien sûr, être en décalage et montrer la société. Mais je pense que l'engouement pour les séries c'est là dessus qu'il repose. Pourquoi les gens regardent-ils autant les séries ? Pourquoi la série est-elle maintenant devenue un objet audiovisuel ? On est presque aussi important sociologiquement, mais c'est parce qu'on ne parle que de la société et on en parle beaucoup et de façon très nuancée. 

Eva Roque : Alors justement, ça m'amène à la question que je voulais vous poser parce que vous êtes aussi auteure de romans policiers, est-ce que pour vous, la série est devenue un espace créatif dans lequel vous pouvez tout dire ? Est-ce que vous avez un espace de plus grande liberté avec la série ? 

Virginie Brac : Je ne dirai pas plus ou moins, mais c'est certainement mon espace. C'est certainement ce que je préfère écrire. Je pense qu'il faut effectivement écrire des romans pour avoir le souffle du roman dans la série, vous voyez ? Il faut mener ses personnages, il faut les nourrir et il ne faut pas avoir peur. Et quand j'ai relu il y a 2 ou 3 ans, Guerre et paix, je l'ai lu avec l'œil d'une scénariste. je me suis dis : "Mais c'est une série, c'est complètement une série". C'est écrit comme une série. Donc en fait, on n'a rien inventé. C'est un truisme. Oui, pour moi la série, c'est mon mode d'expression privilégié, certainement. 

Eva Roque : Donc là, ce que vous êtes en train de dire, c'est que si vous n'aviez pas écrit ces romans policiers auparavant, peut-être que vous ne seriez jamais arrivé jusqu'à la série... 

Virginie Brac : Oui, certainement. Oui, j'ai quand même écrit sept romans ou quelque chose comme ça. C'est certainement ça ma formation, parce que je n'ai jamais fait d'école de scénariste. C'est venu presque naturellement. Mais il faut dire que quand j'avais publié au Seuil un roman, ils m'avaient dit : "Vous avez une écriture audiovisuelle". 

Eva Roque : Comment vous l'avez compris... 

Virginie Brac : J'ai compris qu'effectivement, je devrais écrire pour le cinéma, ils me l'ont dit très gentiment. 

Eva Roque : Aujourd'hui, vous continuez à écrire des thrillers ? 

Virginie Brac : Non, pas du tout, je n'ai pas le temps.  

Eva Roque : Et quand vous écrivez une série est-ce que vous écrivez votre histoire avec, les décors en tête, une lumière, quelque chose qui se rapproche de l'image, de ce que vous avez envie de voir ?

Virginie Brac : Oui ! Je pars d'un univers, et je découle logiquement l'histoire. 

Eva Roque : D'où l'intérêt et la nécessité de bien s'entendre avec le réalisateur...

Virginie Brac : Oui. À la première rencontre, j'ai vu qu'il avait compris ce qu'il fallait comprendre et qu'il allait complètement dans notre sens. On n'a pas été trahi. Il a fait au-delà de ce qu'on espérait. 

Eva Roque : Si on revient sur le thème des migrants, qui est le fil conducteur de Cheyenne et Lola, est-ce que vous pensez que vous auriez pu écrire cette série il y cinq ou dix ans ? 

Virginie Brac : Je pense que c'est venu maintenant parce que maintenant, il y a quand même une espèce d'acceptation. Maintenant, on peut parler quasiment de tout dans les séries. Ne serait-ce que parce qu'à l'étranger, on parle de tout. On me fait plus confiance peut-être aussi. 

Eva Roque : Est-ce que vous aviez envie de faire une œuvre féministe en faisant Cheyenne et Lola

Virginie Brac : Oui, j'avais envie de faire une série avec des femmes hors-normes, qui soit décalée et surtout que ça se termine bien et qu'elles réussissent, que ça soit une success story. 

Eva Roque : On ne peut pas spoiler mais vous allez voir que ces femmes-là, effectivement, il leur arrive beaucoup de galères. Mais ce que vous disiez est tout à fait juste que derrière le tragique des situations de ces deux femmes qui s'enfoncent dans une spirale infernale. L'humour n'est jamais très loin. Ou en tout cas, il y a une forme d'ironie que je trouve en permanence. Le personnage de Mégane, la sœur de Cheyenne, incarnée par Sophie Marie Larrouy, en est l'exemple parfait. Et puis, il y a cet échange que j'aime beaucoup entre Lola et Esperance.

Extrait Cheyenne et Lola

Qu'est ce que j'aime ce passage. On sent que vous vous amusez des préjugés et des stéréotypes... 

Virginie Brac : Exactement. Elles sont confrontées chacune aux stéréotypes sur l'autre, avec un brin de caricature, mais qui, en fait, révèlent toute l'ambiguïté des rapports qu'elles peuvent avoir. Charlotte Le Bon est absolument exceptionnelle dans le rôle de cette blonde. Alors, je ne sais pas comment vous l'avez construit, mais c'est quand même un des personnages qui évolue le plus au fur et à mesure des épisodes, à mon sens. En tout cas, le regard du téléspectateur change énormément à son égard et elle en devient extrêmement attachante. 

Eva Roque : Elle est même horripilante ! Au début, j'ai pris la fille qui est trop jolie, qui arrive dans une soirée, etc. Celle qui vous énerve parce qu'elle est là. C'est très difficile en France de trouver quelqu'un qui a la plastique de Charlotte Le Bon quand même, qui est aussi parfaite. Cette poupée Barbie a beaucoup de problèmes. Je joue beaucoup sur le stéréotype de la blonde idiote et elle-même joue à la blonde idiote puisque c'est comme ça qu'elle s'en sort. Et c'est comme ça qu'elle manipule tout le monde. Mais en fait, elle est très intelligente et elle est prise au piège de la profondeur de ses sentiments pour Cheyenne. Et en fait, elle abandonne tout pour Cheyenne. Elle est ravie d'être là. Elle n'a pas d'univers à elle. C'est un personnage très intéressant, très attachant. 

Eva Roque : Vous aviez pensé à Charlotte Le Bon tout de suite ? 

Virginie Brac : Non ! Je ne connaissais pas Charlotte Le Bon au début. 

Eva Roque : Et quand vous la voyez en casting ... 

Virginie Brac : Ah bah là oui c'était sûr que c'était elle. 

Eva Roque : Vous vous souvenez de la scène qu'elle a joué au casting ? 

Virginie Brac : Oui, c'était une scène beaucoup plus longue. Malheureusement, elle a été coupée. C'est quand elle fait du coaching de migrants. En fait, la scène est plus longue, elle est plus drôle, mais c'est mal tombé le jour du tournage, j'étais là. Ils étaient en retard. Il faisait froid. Il aurait fallu mieux coacher les figurantes qui jouaient les migrantes. Bref. Finalement, on a été obligé de couper un peu la scène. 

Eva Roque : Ça tient à pas grand chose de couper une scène ! Je vous la conseille, elle fait quand même un petit bout de coaching avec ces migrantes. C'est extrêmement drôle, parce qu'on sent qu'elle est totalement décalée. La fin de la série reste ouverte. Bon, vous m'avez déjà un peu dit en début d'entretien, il y a déjà une saison 2 qui est dans votre tête, même une troisième. 

Virginie Brac : Oui, bien sûr. 

Eva Roque : Et tout le monde est d'accord ? Les comédiens, le réalisateur, etc. 

Virginie Brac : Je ne sais pas ! Je ne leur en parle pas. Non, parce que comme je suis une très mauvaise pitcheuse, donc je suis à peu près sûr que si je commence à leur en parler, ils vont me dire que c'est pas bien. 

Eva Roque : Il faut donc avoir écrit...

Virginie Brac : Oui, c'est comme ça que je combats. C'est en écrivant. 

Eva Roque : Je vous recommande vraiment de regarder jusqu'au huitième épisode et jusqu'à la dernière scène. Est-ce que vous avez dit un petit peu au revoir à vos personnages ? Ou sont-ils encore en vous aujourd'hui ?

Virginie Brac : Non, ils sont toujours là. Ils sont toujours là parce que si je commence bientôt (dans un mois) à écrire la saison 2, je vais l'écrire sans doute avec une jeune scénariste, Fanny Talmone. Ils ont intérêt à être là. Je ne peux pas les laisser se balader. 

Eva Roque : Pourquoi vous faites appel à une co-scénariste avec vous ? 

Virginie Brac : Parce que j'ai trop de boulot et j'ai trop écrit toute seule. J'écris tout le temps, toute seule, et maintenant, je cherche à créer des partenariats avec des scénaristes que j'aime bien et avec qui je me suis bien entendu. Et j'ai fait rentrer Fanny sur l'épisode 8 qu'on a construit ensemble, etc. Et j'ai vu qu'on fonctionnait très bien. Donc j'aimerais bien qu'elle écrive. 

Eva Roque : Ça fait du bien de travailler un peu en équipe ! 

Virginie Brac : Oui, ça fait du bien.

Eva Roque : Mais d'ailleurs, Virginie Brac, on vous doit le scénario de la saison 2 d'une série qu'on adore à SERIELAND. 

Extrait Engrenages

Vous avez écrit la saison 2 toute seule. Quels souvenirs en gardez ? 

Virginie Brac : Très bon, parce qu'ils ne savaient pas où j'allais. Ni le producteur, ni le Canal, mais ça avançait épisode après épisode. Et puis, j'étais le dernier recours. Ils avaient épuisé plusieurs équipes de scénaristes. Ils ne savaient pas ce qu'ils voulaient. Moi, je savais ce que je voulais. J'avais regardé, j'avais vu que les deux comédiennes qui, dans la saison 1, ont des petits rôles : Caroline Proust et Audrey Fleurot. J'ai tout de suite vu qu'elles dégageaient quelque chose de génial et qu'on pouvait travailler sur une opposition. On pouvait vraiment travailler sur deux femmes dans un monde d'hommes. Donc moi, je fais mon truc avec l'auteur de l'Arche qui est Eric Barahir et qui était policier. 

Eva Roque : J'aime bien quand vous dites ça avec une grande humilité. On imagine quand ça représente des heures de visionnage et de plaisir, on se dit y a un boulot de dingue derrière. Ça vous paraît facile ? 

Virginie Brac : Facile, non parce que je travaille beaucoup. Mais j'écris pas dans la souffrance. Pas du tout. J'écris naturellement, donc ça ne m'a pas paru extraordinaire. D'ailleurs, quand c'est sorti, personne, n'a trouvé ça extraordinaire. 

Eva Roque : Et vous auriez imaginé un tel succès ? 

Virginie Brac : Pas du tout. 

Eva Roque : Ce sont les bonnes surprises... 

Virginie Brac : J'étais contente quand je l'ai vu. Parce que là aussi, c'était bien réalisé. Gilles Bannier a fait un boulot extraordinaire. Je me suis dit : "C'est bien, on fait comme les Américains." Puis après, les Américains m'ont dit : "Oh, c'est formidable, ce que vous avez fait sur Engrenages." Moi, j'avais envie de dire, que j'ai tout copié !

Eva Roque : Quand vous dites les Américains, vous avez rencontré des scénaristes américains ? 

Virginie Brac : Oui, plein, des producteurs américains. 

Eva Roque : Ça a changé quelque chose pour vous dans votre vie ? 

Virginie Brac : Ah oui, si je suis connue à l'étranger, c'est grâce à la saison 2 d'Engrenages. 

Eva Roque : Pardon pour la question mais quand vous me dites des Américains, c'est quoi ? Ce sont des producteurs qui vous appellent et qui vous demandent de venir écrire pour eux ? 

Virginie Brac : Oui, ils me le demandent, mais ça ne m'intéresse pas du tout. Je n'aime pas du tout la façon de travailler des Américains. Je suis très poli à chaque fois, mais c'est non. 

Eva Roque : Mais ça doit quand même être impressionnant. J'imagine, vous recevez un coup de fil des Etats-Unis qui vous dit : "On aimerait bien travailler avec vous" ... 

Virginie Brac : Oui, ça se passe souvent dans les festivals où les producteurs vous invitent à prendre un pot. J'ai été à Los Angeles plusieurs fois. 

Eva Roque : Mais vous êtes bien en France ? 

Virginie Brac : Bien sûr. En France, on ne travaille pas à la chaîne. Alors maintenant, par contre, je commence à avoir des coups de fil grâce à Cheyenne et Lola. Aux Etats-Unis on me dit : "On veut un travail à l'européenne. Vous resteriez en Europe. Nous voulons un show européen." 

Eva Roque : C'est étonnant ! 

Virginie Brac : C'est tout à fait nouveau. 

Eva Roque : Alors j'imagine pour des séries qui s'adressent plutôt pour HBO, par exemple... 

Virginie Brac : Ce sont des gros producteurs qui travaillent pour tout. Je ne sais pas à quoi ils pensent, mais ils avaient des sujets pour moi qui m'ont envoyé et j'ai dit : "Mais vous savez, moi, je ne vais pas aller vivre à Los Angeles et je n'aime pas la façon de travailler des Américains. Et je pense que vous n'avez besoin de personne." Je brosse bien dans le sens du poil quand même parce que c'est très gentil, je ne veux pas cracher dans la soupe. 

Eva Roque : Et Cheyenne et Lola ils l'ont vu lors des festivals j'imagine. 

Virginie Brac : Voilà, comme Cannes Séries. 

Eva Roque : Comme quoi ça joue aussi, ces petits moment-là. Juste pour revenir un tout petit peu sur Engrenages, si vous deviez garder une scène en particulier, que vous aviez écrite pour Engrenages, ce serait laquelle ? 

Virginie Brac : Une scène qui est très féministe d'une certaine façon, c'est Audrey Fleurot, avocate qui crève de faim, qui coache une femme qu'elle doit défendre et qui se victimise. La façon dont elle la coache, je l'ai écrite, elle la joue d'ailleurs très bien, on a l'impression qu'elles sont désespérées toutes les deux. C'est sur le problème des victimes, c'est sur comment se défendre soi-même. 

Eva Roque : C'est marrant parce que si je ne savais pas qu'on me parlait d'Engrenages, je pourrais dire qu'on parle de Cheyenne et Lola. 

Virginie Brac : Mais oui, absolument, il y a un lien ! Quand je vous dis deux femmes dans un monde d'hommes, ça a commencé là. 

Eva Roque : Vous voyez que les hommes sont présents. 

Virginie Brac : Bien sûr je ne dis pas qu'ils sont absents !

Eva Roque : Dans la saison 2, ne me dites pas qu'ils vont prendre le pouvoir... 

Virginie Brac : Non, mais c'est certainement quelque chose que je voulais travailler. Leur relation aux hommes. Là, pour le coup, amoureux. 

Eva Roque : Alors, vous êtes l'auteure d'autres séries comme Paris. Et puis, il y en a une que j'ai particulièrement aimé. 

Extrait Les beaux mecs 

Extrait d'une formidable série qui s'appelle Les beaux mecs qui avait été diffusée sur France 2 et qui est disponible aujourd'hui sur Salto. Il y avait aussi quelques personnages féminins forts dans Les Beaux Mecs. 

Virginie Brac : Oui mais là, c'était difficile parce que la commande, c'était 50 ans de grand banditisme en France. 

Eva Roque : Et vous avez réussi à travers plusieurs générations de bandits... 

Virginie Brac : Oui, voilà en déconstruisant pour pas faire du chronologique. C'était bien de mélanger les deux : l'Ancien Monde et le Nouveau Monde. 

Eva Roque : Mais je me suis même demandé si Cheyenne et Lola, n'étaient pas le pendant féminin des Beaux mecs. 

Virginie Brac : Il n'y a pas l'Ancien monde, et l'Ancien monde pèse quand même très lourd Les Beaux Mecs. 

Eva Roque : Formidable série à voir sur Salto. Quels sont vos prochains projets en dehors de Cheyenne et Lola saison 2 ?

Virginie Brac : J'en ai beaucoup. Le problème, c'est que l'on n'a pas le droit d'en parler. J'ai appris ça. 

Eva Roque : C'est possible pour des raisons de confidentialité, et pour ne pas vous faire piquer vos idées... 

Virginie Brac : Non ce n'est pas pour ne pas me faire piquer mes idées ! 

Eva Roque : Est-ce que vous vous êtes déjà fait piquer une idée de scénario ? 

Virginie Brac : Non, je n'y crois pas beaucoup. D'abord, les idées sont dans l'air, donc il ne faut pas se croire original. Il faut travailler juste plus vite que les autres parce que si vous avez une idée, vous pouvez être à peu près sûr qu'il y a plusieurs personnes qui l'ont à peu près en même temps. L'originalité, ça n'existe pas. La singularité peut être, mais l'originalité, je n'y crois pas beaucoup. Et puis peut-être qu'il y a des plagiats quelquefois. Peut être. Moi, ça ne m'est pas vraiment arrivé, non. 

Eva Roque : Alors, vous travaillez sur plusieurs séries et vous arrivez à jongler entre vos personnages ? 

Virginie Brac : C'est très douloureux. C'est bien le truc que je déteste par excellence. Ça m'est arrivé il y a trois ans, où je n'avais aucune série signée, ce qui fait que je continuais d'accepter d'écrire des projets. Les producteurs m'appellent pour que j'écrive des traitements, que je leur soumette des idées. Et comme rien n'était signé, j'acceptais forcément. On ne sait pas. Et puis, on a besoin d'argent. Mais c'était horrible. C'était vraiment très difficile. 

Eva Roque : Comment on s'organise, c'est votre journée qui est divisée ?

Virginie Brac : C'est par semaine. C'est-à-dire une semaine je vais travailler sur une série pour pouvoir plonger dans l'univers, une autre semaine sur une autre série, une autre semaine sur une autre série. Je déteste ça. 

Eva Roque : En plus, avec ce besoin de vous documenter parce que vous nous racontiez tout à l'heure que vous avez besoin de ce côté réaliste.

Virginie Brac : Oui, bien sûr. Et puis, on appelle les gens, on a des rendez vous, on va les voir dans des cafés, surtout les séries policières. Je fais très attention, donc j'ai souvent des rendez vous avec des policiers, des déjeuners ou je demande pour ne pas être ridicule. Évidemment, je ne fais pas dans la réalité, mais il ne faut pas être ridicule. 

Eva Roque : Vous auriez pu être journaliste ? 

Virginie Brac : Le nouveau journalisme, oui. Des journalistes comme Florence Aubenas. Si tenté que j'ai le talent. J'ai écouté un podcast de récemment sur France Inter, qui était absolument génial avec Fabrice Arfi un journaliste de Mediapart. J'ai acheté ces bouquins. 

Eva Roque : Vous aimez l'enquête donc ! 

Virginie Brac : Oui mais c'est l'enquête sériel. Parce qu'on va au fond des gens. On va au fond des personnages, on va au fond des situations. Les journalistes qui me présentent des faits soi-disant sous prétexte d'objectivité, sans les relier à des personnes et à des drames humains, pour moi, ce n'est pas du bon journalisme. 

Eva Roque : Et quand vous étiez enfant, vous rêviez de faire quoi comme métier ? 

Virginie Brac : Je n'en avais pas la moindre idée. 

Eva Roque : Écrire des histoires, ça arrive à quel âge ? 

Virginie Brac : Je viens d'un milieu où les femmes ne travaillent pas du tout. Jamais. Donc, enfant, on a grandi sans projet professionnel. 

Eva Roque : C'est-à -dire que les femmes restaient à la maison ? 

Virginie Brac : C'étaient des bourgeoises... 

Eva Roque : A quel moment vous commencez à écrire des histoires ? 

Virginie Brac : J'ai commencé très tôt. Mais l'idée que ça devienne un projet professionnel, c'est venu plus tard. 

Eva Roque : Merci infiniment Virginie Brac pour ce grand entretien. Les 8 épisodes de Cheyenne et Lola sont à savourer sur OCS. Ne manquez pas cette nouvelle création originale. 

 

 

 

"SERIELAND" est un podcast Europe 1 studio

Autrice et présentation : Eva Roque
Réalisation : Christophe Pierrot
Cheffe de projet édito : Adèle Ponticelli
Diffusion et édition : Clémence Olivier, Magali Butault et Tristan Barraux
Graphisme : Karelle Villais
Direction d'Europe 1 Studio : Olivier Lendresse