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Stéphane Bern et Matthieu Noël, entourés de leurs chroniqueurs historiquement drôles et parfaitement informés, s’amusent avec l’Histoire – la grande, la petite, la moyenne… - et retracent les destins extraordinaires de personnalités qui n’auraient jamais pu se croiser, pour deux heures où le savoir et l’humour avancent main dans la main. Aujourd'hui, Joséphine de Beauharnais.

« La bosse ! Vous possédez la bosse de la divination ! Vous serez la plus grande sibylle d’Europe ». Ce n’est pas une diseuse de bonne aventure qui prédit un si beau destin à son amie. Ces mots sont prononcés par l’un des plus grands spécialistes du cerveau de la fin du XVIIIe siècle, le Dr Franz Joseph Gall. Ce médecin allemand a inventé une science qui permettrait d’identifier les caractères humains en identifiant les bosses du crâne. C’est la phrénologie, une pratique aujourd’hui abandonnée depuis longtemps.

Mais ce jour-là, en 1790, à Londres, le Dr Gall palpe la tête d’une certaine Mademoiselle Lenormand. C’est une pythonisse, cartomancienne, devineresse… Autant de qualificatifs pour désigner une voyante. En cette fin de XVIIIe siècle, les sciences occultes sont très à la mode, et tout autant de moyens pour vous annoncer ce que vous réserve votre destin : tarot, marc de café, plomb fondu, blanc d’œuf, mèche de chandelle ou encore laurier et sel… De la poudre aux yeux ? Peut-être, peut-être pas. En tout cas, l’histoire de Mademoiselle Lenormand a de quoi en faire douter plus d’un.

Bien des années plus tôt, Mademoiselle Lenormand a prédit que Louis XVI perdrait sa couronne. S’en est suivie la Révolution. Sous la Terreur, elle annonce une contre-révolution. C’en est trop pour Robespierrequi la fait arrêter et emprisonner à la prison de la Force. Un beau matin de 1793, la voyante reçoit un billet provenant du Luxembourg. C’est une demande d’horoscope qui émane d’une certaine Marie-Rose de Beauharnais.

Joséphine de Beauharnais en prison

Superstitieuse comme le sont souvent les femmes créoles de cette époque, Marie Josèphe Rose Tascher de la Pagerie est née en juin 1763 dans une riche plantation de sucre à la Martinique. Elle est la fille aînée d’une famille de la noblesse française. Cheveux châtains, peau mate, voix suave… La belle créole est surnommée Rose, mais on va très vite l’appeler Joséphine. C’est Napoléon qui décidera de lui trouver un autre nom.

A 16 ans, elle traverse l’Océan et se rend en Métropole pour épouser le vicomte Alexandre de Beauharnais, un officier de 19 ans, lui aussi né en Martinique. Le mariage est célébré le 13 décembre 1779. Le couple s’installe en région parisienne et met au monde deux enfants : Eugène et Hortense. Ils se séparent six ans plus tard, à la suite des infidélités du mari.

Mais cela n’empêche pas Joséphine de s’inquiéter pour lui. Après avoir mené une belle carrière politique sous la Révolution, le vicomte de Beauharnais se retrouve menacé par l’arrivée au pouvoir de Robespierre. Direction la prison. Pour lui, mais bientôt pour elle aussi. C’est à ce moment qu’elle entre en contact avec Mademoiselle Lenormand. Elle reçoit un petit billet en réponse : « Le général de Beauharnais sera victime de la Révolution. Vous survivrez à votre époux. Un second mariage est annoncé avec un jeune officier, que son étoile appelle à de hautes destinées ».

En 1794, Alexandre de Beauharnais est guillotiné. Le 9 Thermidor An II, soit le 27 juillet 1794, Joséphine et Mademoiselle Lenormand sont toutes deux libérées à la chute de Robespierre. Joséphine devient alors une cliente fidèle de la voyante, avec qui elle se lie d’amitié. Et elle n’est pas la seule à fricoter avec l’occulte…

La rencontre de Bonaparte et Joséphine

Quelques années plus tôt, Mademoiselle Lenormand a ouvert un cabinet au numéro 5 de la rue de Tournon, dans le 6e arrondissement de Paris. Dans sa salle d’attente, on a pu croiser (selon ses dires) tous les grands noms de la Révolution : Danton, Camille Desmoulins, Saint-Just, Robespierre… « Voulez-vous une consultation à 10, 40 ou 80 Francs ? », leur demande toujours un garçon boulanger auquel elle est associée. Il les fait ensuite entrer dans la chambre sanctuaire de la devineresse. Une fois le tarif choisi, Mademoiselle Lenormand tire les cartes et examine les lignes de leur main. Elle pose ensuite les mêmes questions : initiale du prénom, lieu, date et heure de naissance, fleur, animal et couleur préférés, première lettre de la ville de résidence. Une fois tous les éléments rassemblés, la voyante revient avec l’analyse psychologique du patient et lui délivre sa prédiction.

En 1795, Mademoiselle Lenormand aurait aussi reçu la visite du plus célèbre des officiers corses. Après avoir maté les rebelles du 13 Vendémiaire, Napoléon Bonaparte est devenu général en chef de l’armée de l’intérieur. Curieux d’en savoir plus sur ce qui l’attend, il se rend chez la voyante. Celle-ci lui prédit alors : « Vous êtes appelé à jouer un grand rôle en France. Une dame veuve fera votre bonheur et vous parviendrez à un rang très élevé par son influence mais gardez-vous d’être ingrat envers elle. Il y va de votre bonheur. ».

Cette même année, Napoléon fait la rencontre de Joséphine, 32 ans, veuve du vicomte de Beauharnais. Le coup de foudre est immédiat et le mariage est célébré quelques mois plus tard. Fou amoureux de sa belle, Napoléon lui écrit des missives enflammées lors de ses campagnes militaires, qui lui permettent de devenir Premier consul pendant la 1ère République.

Une relation très mystérieuse

Le 2 mai 1801, Joséphine reçoit Mademoiselle Lenormand, devenue sa grande amie, en son château de Malmaison. Quelle joie d’entendre sa voyante lui prédire qu’elle va devenir « Plus que reine ». De son côté, Napoléon voit d’un mauvais œil la diseuse de bonne aventure de son épouse. Il craint que Joséphine ne lui fasse trop de confidences.

Et ça ne loupe pas : la voyante annonce à une femme l’arrestation imminente de son mari, une information soufflée par Joséphine elle-même. Et quand elle prophétise l’échec d’un débarquement en Angleterre, à propos du camp de Boulogne, Napoléon enrage. Trop, c’est trop ! Il la fait arrêter et emprisonner en 1803. Elle est libérée l’année suivante, peut-être grâce à l’intervention de Joséphine.

Si Mademoiselle Lenormand est sous étroite surveillance de la police, elle continue d’exercer auprès de sa clientèle préférée. Napoléon est désespéré. Son secrétaire, le baron de Méneval, raconte : « Napoléon n’approuvait pas cette faiblesse de Joséphine et il l’a même souvent ridiculisée. » Joséphine enveloppait du plus profond mystère ses relations avec elle et jamais l’intendant de ses dépenses n’a connu les sommes dont l’impératrice payait les prédictions de la cartomancienne.

La fin de l'impératrice Joséphine

En 1804, Joséphine de Beauharnais devient, comme le lui avait prédit une précédente voyante dans son enfance, « plus que reine », lorsqu’elle prend le titre d’Impératrice des Français. Malheureusement, les années passent et elle ne parvient pas à donner un héritier à l’empereur. La question du divorce avec Napoléon se profile à l’horizon. Joséphine reçoit donc sa voyante le 9 décembre 1809 dans son hôtel parisien. Leur conversation dure plus de deux heures. Quelques jours plus tard, Mademoiselle Lenormand est à nouveau arrêtée. Dans la foulée, le divorce entre Napoléon Ier et Joséphine de Beauharnais est prononcé, pour raison d’Etat.

Tandis que Marie-Louise d’Autriche devient la nouvelle Impératrice des Français, Joséphine finit sa vie à Malmaison en cultivant sa passion pour la botanique et les animaux exotiques. Ayant pris froid alors qu’elle faisait visiter sa maison au tsar Alexandre Ier de Russie, elle meurt d’une pneumonie foudroyante, en mai 1814, à l’âge de 51 ans.

De son côté, Mademoiselle Lenormand reprend son activité sous la Restauration et continue de recevoir des clients célèbres, en la personne du Tsar. Il faut croire que les diseuses de bonne aventure sont dispensées du secret professionnel. La voyante publie en 1820 les Mémoires historiques et secrets de l’impératrice Joséphine, Marie-Rose Tascher-de-la-Pagerie, première épouse de Napoléon Bonaparte. La publication fait s’écrier la reine Hortense : « Une prétendue sorcière a fabriqué sur ma mère les Mémoires les plus absurdes ! ».

Et Napoléon ? Exilé à Sainte-Hélène, il écrit qu’il faut chercher le merveilleux dans la religion, plutôt que chez Cagliostro, Mademoiselle Lenormand, les diseuses de bonne aventure ou les fripons. L’empereur déchu est désormais seul face à son destin, sans personne pour lui dire ce qu’il va se passer.

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