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Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.

En Allemagne, dans le land de Saxe-Anhalt, au nord-est du pays, le maire de la ville de Tangerhütte a suscité un tollé national et international. Il a voulu débaptiser une crèche. Une garderie qui ne porte pas n’importe quel nom, puisque qu’elle s’appelle Anne Frank.

Anne Frank, jeune hollandaise juive, morte en déportation à 15 ans à Bergen-Belsen, après avoir documenté dans son journal les persécutions nazies. La crèche porte ce nom depuis les années 70. Mais le maire et le conseil d’administration ont décidé de le changer, pour Weltentdecker, Découvreurs du monde. Colère de la communauté juive de la région, et de ceux qui, en Allemagne, croient à la Erinnerungskultur, la culture de la mémoire de la Shoah.

Pourquoi ce choix de supprimer le nom d’Anne Frank ?

L’idée venait des  des parents et des employés de la crèche. Première raison avancée, ils
voulaient  un nom plus adapté aux enfants. Pour la directrice de la garderie, l’histoire de l’holocauste et d’Anne Frank est trop difficile à comprendre pour eux. Un argument assez nul : les enfants sont, très petits, capable de distinguer l’injustice et mieux, de la trouver intolérable. On n’est pas obligé d’entrer dans les détails pour leur expliquer qu’Anne Frank a été une petite fille qui a eu une enfance difficile et qu’on ne doit pas oublier son nom. Mais c’ets finalement le plus entendable de cette lamentable histoire.

Car la difficulté de parler d’Anne Frank et de la Shoah aux petits n’est pas la seule raison ?

Non. C'est la raison bête, il y a aussi  la raison odieuse et lâche, particulièrement vile dans le contexte de guerre au proche-Orient et de résurgences antisémites en Allemagne. Si la crèche doit changer de nom, c’est aussi parce que les parents issus de l’immigration ne se reconnaissent pas dans le nom d’Anne Frank. Il ne leur parle pas. Pour le maire, il faut quelque chose de plus ouvert, qui reflète la diversité des enfants de la crèche.  Et que pour que ce changement conceptuel soit plus visible de l’extérieur, il faut gommer Anne Frank.

C’est un raisonnement pervers que de penser qu’on peut célébrer l’ouverture et la diversité en effaçant le visage d’une enfant victime, justement, d’un délire de pureté et de la haine la plus fermée. Surtout à un moment où cette haine se déverse de nouveau dans les rues des villes allemandes, à la faveur de la guerre entre Israël et le Hamas.

La directrice a expliqué qu’elle voulait un nom qui n’ait pas d’arrière plan politique.

Quel contresens. Peut-on faire plus politique que de céder ainsi à la pression communautaire, que de refuser de perpétuer les alertes du passé, que de tirer sciemment le rideau sur les années les plus affreuses de l’histoire allemande et européenne ? C’est de la politique, de la très laide politique.

La crèche va-t-elle finalement changer de nom ?

La vague d’indignation a eu raison du projet, mais il aura fallu qu’elle passe les frontières allemandes. Comme il avait fallu, en 2021, un tollé pour qu’une école maternelle Anne Frank de Thuringe ne devienne pas l’école des Lutins. Hier soir, le conseil municipal de Tangerhütte a annoncé qu’il voterait contre la décision. Mais le simple fait que cette idée ait pu être jugée bonne par des adultes chargés d’éduquer des enfants est effrayant. Anne Frank a été assassinée à moins de 200 km de Tangerhütte. Débaptiser la crèche, c’était l’assassiner une seconde fois.