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SAISON 2019 - 2020, modifié à

Comme les plus beaux esprits du 18ème siècle, Wolfgang Amadeus Mozart était franc-maçon. Les valeurs maçonniques vont imprégner son œuvre toute entière, jusqu’à son dernier opéra, La Flûte enchantée. Alors que son goût du luxe et ses extravagances le plongeront régulièrement dans le malheur, la franc-maçonnerie lui sera d’un grand secours. Dans cet épisode de la série spéciale de "Au Cœur de l’Histoire" dédiée aux liens surprenants entre la musique et la politique, produit par Europe 1 Studio, Laure Dautriche vous raconte une facette moins connue de la personnalité de Mozart.

A l'âge de 28 ans Mozart rejoint le cercle des francs-maçons. Cette intégration va avoir une forte influence sur ses oeuvres. Dans ce nouvel épisode de cette série spéciale de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Laure Dautriche vous raconte l'attachement de Mozart à la franc-maçonnerie.

 

Mozart boite. On lui a retiré le soulier gauche. On lui a aussi enlevé ses bijoux. Et on a placé un bandeau sur ses yeux. Dépouillé d’une partie de ses vêtements, la poitrine découverte et une jambe de pantalon relevée, il attend, seul, dans une chambre de réflexion où ont été placés quelques symboles maçonniques. Dans la pénombre, il a réussi à distinguer un crâne humain, un sablier, une faux, deux tibias croisés. Des allégories de la mort. Le crâne se rapporte à la mort. Nul ne peut entrer dans une nouvelle vie sans mourir au préalable. On lui tient maintenant les deux mains pour le guider vers la porte du temple. Sur l’honneur, il promet de garder inviolablement tous les secrets de la franc-maçonnerie. De ne révéler aucun de ses mystères. On lui retire le bandeau. La flamme du chandelier près de ses yeux l’éblouit. Mozart commence son chemin vers la lumière. En ce 14 décembre 1784, à six heures et demie du soir, Wolfgang Amadeus Mozart s’apprête à rejoindre le cercle des francs-maçons. 

Ce soir-là, élevé au grade d’apprenti, Mozart se sent fier et très à l’aise. Dans cette loge petite mais prestigieuse, il rejoint des amis et des artistes qu’il admire : le baron van Swieten qui lui a fait découvrir l’œuvre de Jean-Sébastien Bach, le baron Gemmingen, traducteur des œuvres de Jean-Jacques Rousseau, ou encore le riche marchand Puchberg. Ce sont presque tous des gens issus de l’aristocratie et du monde des arts. Ils se retrouvent dans un esprit rationaliste et politiquement pré-révolutionnaire. Mozart y est sensible, lui qui est passé par les capitales de l’Europe des Lumières. Que représente la franc-maçonnerie pour Mozart ? Ce sont des idées chrétiennes où les notions d’amour et de lumière sont omniprésentes. Il faut dire que depuis plusieurs années, même s’il continue d’aller à la messe, la religion catholique lui inspire une certaine froideur. Il vient enfin de trouver sa voie. Dans les loges, il découvre un monde nouveau : la tolérance religieuse et la fraternité. Il croit dur comme fer qu’en participant à ce travail commun au sein de la franc-maçonnerie, il participera à faire progresser l’humanité.

Dans les loges, on chante et on organise aussi de véritables concerts. La franc-maçonnerie a besoin de musiciens et Mozart connaît une ascension rapide. Un mois après son entrée dans la loge, il devient compagnon, avant d’accéder au printemps 1785 au grade de maître. Mozart a une telle foi dans ce qu’il fait qu’il réussit à entraîner au même moment les deux hommes qui lui sont le plus cher : son propre père, Léopold, et son meilleur ami, le célèbre compositeur Joseph Haydn. L’admiration est réciproque.

Ecoutez ce qu’écrit à l’époque Joseph Haydn au père de Mozart :"Je vous le dis devant Dieu, en honnête homme, votre fils est le plus grand compositeur que je connaisse, en personne ou de non. Il a du goût, et en outre la plus grande science de la composition". 

À l’époque, tout le monde n’est pas du même avis. Le public viennois s’est lassé de lui. Il juge ses opéras trop compliqué. Mozart en est affecté. Alors imaginez sa joie cela quand il écrit sa première pièce de maçon. On demande à Mozart d’écrire une musique relativement facile à chanter. Pour lui, c’est un jeu d’enfant. Au milieu de ses Frères, il trouve le réconfort qu’il n’a plus à Vienne.  Le Voyage du compagnon, voit le jour en mars 1785. On y retrouve la simplicité, la pureté et la beauté si lumineuse de la musique de Mozart. Cette musique est solennelle et lumineuse, comme une douleur qui ne se referme pas sur elle-même.

 

Un enrichissement pour Mozart

Mais une menace plane sur le bonheur de Mozart. Sa loge maçonnique, comme toutes les autres de l’époque est prise pour cible. Elles fourmillent à Vienne et ont acquis beaucoup de pouvoir. L’une d’entre elles a même été soupçonnée d’avoir conspiré contre l’empereur Joseph II. Comment garder le contrôle sur ces sociétés secrètes ? Il faut légiférer. Joseph II ordonne par décret que les huit loges de Vienne fusionnent en deux loges seulement. Et elles seront désormais surveillées par la police. La loge de Mozart doit se fondre avec d’autres, pour former "La Nouvelle espérance", qui devient alors la loge la plus importante de l’époque.  

La vie maçonnique reprend son cours. Pendant ces réunions qui ont lieu deux fois par mois, Mozart s’enrichit aux côtés de ses frères. L’un de ses proches amis s’appelle Anton Stadler. C’est un clarinettiste virtuose, l’un des meilleurs interprètes de son temps. Farceurs l’un et l’autre, ils ont l’air de deux adolescents lorsqu’ils sont ensemble. Quand ils ne font pas des parties de billard ou de quilles, ils passent des heures le soir à expérimenter diverses combinaisons sonores autour de la clarinette…. Mozart écrit pour lui parmi ses plus belles pages, des œuvres dans lesquelles il met en valeur le timbre chaud et délicat de cette clarinette semblant imiter la voix humaine, comme dans son célèbre concerto pour clarinette.

 

Les dettes de Mozart s'accumulent

C’est à ce moment précis, que Mozart est rattrapé par son principal défaut. Mozart est, si je puis dire, un flambeur. Et désormais son horizon s’appelle l’argent. En 1787, les dettes s’accumulent. Car s’il gagne beaucoup, il dépense davantage encore. Pour paraître convenablement à la cour, il s’offre plusieurs paires de souliers, des bas de soie. Il éprouve une envie irrésistible d’acheter et regrette ses achats après coup. Pour voyager, il s’offre une voiture si belle qu’il avoue vouloir la couvrir de baiser. 

Tantôt, il est très bien payé pour un travail facile, tantôt il est déprimé, sans le sou, forcé à composer pour se nourrir. Les commandes d’opéras ne sont jamais aussi payantes qu’il l’espère. Mozart a aussi des dettes de jeu, et à l’époque, ce sont évidemment des dettes d’honneur. Mozart se tourne alors vers ses frères francs-maçons. Dont le riche marchand Puchberg, qu’il supplie à plusieurs reprises de lui venir en aide  : "Vénérable Frère, Très cher,  excellent ami !  Je n'aurais maintenant pas le coeur de me présenter devant vous car je dois vous avouer franchement qu'il m'est impossible de vous rembourser si vite ce que vous m'avez prêté,  et je suis contraint de vous prier de patienter à mon égard !  J'ai grand souci à cause de ces circonstances et aussi parce que vous ne pouvez me soutenir comme je le souhaite !   Ma situation est telle que je suis obligé d'emprunter immédiatement de l'argent.  Mais  grand Dieu,  à qui puis-je me confier ? A nul autre que vous,  mon cher !  Si vous pouviez au moins me faire l'amitié de me procurer l'argent par un autre moyen !  Je paie volontiers les intérêts,  et celui qui me prête a suffisamment de garantie de par mon caractère et mes appointements.   Je regrette vraiment d'être dans cette situation,  et c'est justement pour cette raison que j'aimerais obtenir une somme un peu plus importante sur une période un peu plus longue pour éviter que ça se reproduise. Si vous,  très cher Frère,  ne m'aidez pas dans cette situation,  je perds mon honneur et mon crédit, qui sont les deux seules choses que je tiens."

Puchberg va l’aider. Mais pas autant que Mozart l’espère. Plusieurs lettres de Mozart resteront sans réponse. Au pied du mur, Wolfgang doit mettre en gage des objets de valeur.  

 

En deux mois, trois grandes symphonies

Alors que Mozart est au plus bas et nourrit des idées noires, il se produit l’un des moments les plus magiques, les plus étonnants de sa vie. D’une certaine manière, c’est son génie va le sauver. Il continue de travailler sans relâche. Il a tout dans la tête. Les idées viennent, il les fredonne, et d’un seul trait, il les couche alors sur le papier. Malgré l’instabilité financière, il réussit à écrire pendant l’été 1788 trois de ses plus grandes symphonies. En deux mois à peine, Mozart écrit les symphonies n°39, 40 et 41. Où trouve-t-il la force de déployer cette énergie titanesque ? Mystère. Dans ces œuvres éclate une harmonie parfaite, une joie puissante. Au plus bas matériellement et moralement, Mozart écrit des pièces toutes plus éblouissantes les unes que les autres. L’idéologie franc-maçonne a-t-elle une influence sur lui ? Peut-être. C’est au bord des ténèbres qu’il réussit à toucher la Lumière. 

Grâce à son réseau franc-maçon, Mozart reçoit au printemps 1791 l’une des plus belles propositions de sa vie ! Au printemps 1791, Emanuel Schikaneder, directeur d’un théâtre à Vienne et ancien franc-maçon, lui propose de composer un opéra sur un thème inspiré par la Franc-maçonnerie, un opéra à la gloire de la confrérie. Ce sera La Flûte enchantée. Alors que la franc-maçonnerie est directement menacée, le moment est bien choisi, pense sans doute Mozart, pour faire comprendre que la franc-maçonnerie prône le vrai bonheur de l’humanité. 

La première représentation de la flûte enchantée a lieu à Vienne, six mois plus tard, en septembre 1791. Bourgeois, commerçants, valets et servantes se pressent dans le théâtre. La salle est pleine. L’encre de la partition est encore fraîche, Mozart a terminé d’écrire l’ouverture dans la nuit. A 19 heures, le compositeur paraît sur scène pour diriger son œuvre depuis le clavecin. Le rideau se lève et on aperçoit un temple maçonnique. Les héros, Pamina et Tamino, doivent traverser ensemble une série d’épreuves initiatiques qui sont des références à peine voilées au rituel des loges. 

L’occasion n’a jamais été si belle pour Mozart de montrer sa propre vision de la franc-maçonnerie. Une chose lui tient particulièrement à cœur : l’égalité entre les hommes et les femmes. Et oser formuler qu’une femme puisse être maçonne est une révolution en Autriche. A l’époque, il n’y a qu’en France qu’elles sont acceptées dans la franc-maçonnerie.

 

Des références à la franc-maçonnerie nombreuses

Les références à la franc-maçonnerie sont partout, discrètement. Mozart fait la part belle aux instruments à vent graves : cors de basset, bassons, trombones. Autant d’instruments que l’on retrouve dans les réunions des loges. Le chiffre trois, symbolique pour les francs-maçons, apparaît souvent. Un triple accord, puissant et solennel, ouvre l’opéra. Il y a aussi trois dames, trois enfants, trois épreuves : du silence, de l’eau et du feu. Et le chœur final s’achève sur les mots "force", "sagesse" et "beauté", c’est-à-dire sur les trois vertus cardinales des francs-maçons. 

Dans la salle, on imagine les francs-maçons étonnés de voir leur symboles dévoilés à la vue de toutes et tous. Bien sûr, le rituel exact n’apparaît pas, mais de nombreuses scènes, si elles semblent anecdotiques pour la plupart du public, sont immédiatement comprises par les initiés. Ils viennent d’assister au premier opéra maçonnique de l’histoire. 

Mais la force de cet opéra est ailleurs. On y trouve plusieurs niveaux de lecture, et il peut être compris parfaitement sans être francs-maçons. Sa musique mélange gravité et légèreté, sacré et profane, comique et tragique. C’est un triomphe. Voilà ce qu’écrit Mozart à sa mère Constance après la première représentation, c’est la dernière que nous ayons de Mozart : "À six heures, je suis passé en voiture prendre Salieri et la Cavalieri et je les ai accompagnés à la loge. Tu ne peux pas imaginer combien les deux ont été aimables ; comme non seulement la musique, mais également le livret et tout ensemble, leur ont plu. Ils disent tous deux que c’est un opéra digne d’être interprété dans les plus grandes festivités, devant le plus grand des monarques".

Mais le succès n’a pas fait disparaître ses problèmes d’argent. Sa situation ne s’améliore guère. Le cercle de Mozart peu à peu se rétrécit. Dans la journée, Wolfgang fait des parties de billard, seul. Il prend le café, seul. Il fume la pipe, compose, fait chaque jour une promenade et se rend à pied au théâtre le soir. Il doit vendre son cheval deux mois avant sa mort. Au début du mois de novembre, il est condamné à donner la moitié de son salaire pour rembourser une dette de plus de 1400 florins. Mozart ne prête guère attention à sa santé. Il est parfois pris de malaises. 

 

Sa dernière oeuvre : une cantate maçonnique

A l’automne 1791, il se met à composer le Requiem, qui lui a été commandé au mois d’août. Mais il s’interrompt. Parce qu’on vient de lui proposer un travail qui l’intéresse nettement plus : une cantate maçonnique, pour l’inauguration du nouveau lieu de réunion de sa loge !

Ce sera la Petite cantate maçonnique K.623, qu’il nomme « L’éloge de l’amitié ». Le Requiem restera inachevé, et cette œuvre est la dernière œuvre à laquelle Mozart met un point final. Dans sa correspondance, l’inclinaison de plus en plus marquée des lignes vers la droite trahit un état dépressif. Mais dans ses partitions, le geste est toujours clair, chaque note parfaitement maîtrisée. Le jour de l’inauguration, ses frères lui réservent un triomphe :

L’écriture pour l’orchestre dans la tonalité de do majeur est lumineuse. Surprenant Mozart, qui, malgré les dettes et la fatigue physique, chante sa joie et l’espoir d’un avenir plus fraternels. Il n’a pourtant plus que vingt jours à vivre.

Dès le lendemain, il ressent une fatigue brutale. A partir de cet instant, tout ne sera plus pour Mozart que souffrance. Assis à la table d’une brasserie où il a ses habitudes, il se trouve incapable de boire son verre de vin. En rentrant chez lui, il devra s’aliter définitivement. Sa maladie s’aggrave de jour en jour. Les médecins se consultent, cela n’y change rien. 

Mozart meurt le lundi 5 décembre 1791 à 0h55. L’acte de décès indique : « fièvre militaire aigüe ». Wolfgang est mis en bière, dans son appartement, avec un manteau noir à capuche, selon le rituel maçonnique. Vu les finances de la famille Mozart, l’un de ses amis franc-maçon conseille Constance, sa femme, l’enterrement le moins coûteux. Pour la somme de 8 petits florins, ce sera donc un convoi de troisième classe et la fosse commune. L’enterrement des pauvres. Le génie du 4e art n’aura droit qu’à un bref service funèbre à la cathédrale Saint-Etienne, sans messe et sans une seule note de musique...

 

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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Laure Dautriche

Cheffe de projet  : Adèle Ponticelli

Réalisation : Sébastien Guidis

Recherches musicales : Benoît Valentin

Diffusion et édition : Clémence Olivier

Graphisme : Europe 1 Studio

Bibliographie : "Ces musiciens qui ont fait l'histoire", Laure Dautriche (Tallandier)

 

 

Références musicales :

1'04 : Wiener Volksopeernchor / maurerische trauermusik K477

2'27 : Zur eroffnung der Freimaureloge zerfliesset heut K 483

3'03 : Paul Roczek / adagio & fugue in C minor / K 546 (version for string Quartet )

3'20 : Die mauerfreude K471

4'47 : Gesellenreise K 468

6'13 : Serenade for wind K 361 (3eme mouvement )

7'12 : Concerto pour clarinette et orchestre en la majeur kv 622 (Adagio )

8'39 : Laudate Dominum

10'09 : Symphonie numéro 40

11'53 : La flûte enchantée (ouverture )

13'40 : Air de la reine de la nuit

15'03 : Adagio pour cordes en do mineur K546

16'01 : Requiem en re mineur (lacrimosa )

16'36 : Cantate maconique K623

17'38 : Ave  verum corpus

18'13:  Zur eroffnung der Freimaureloge zerfliesset heut K 483

 

Lectures :

Julien Tharaud, Alain Cirou et Jean-Luc Arblade