Sylvain Groux : "Pour la population, la situation est hors de contrôle."

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"Je suis dans le pays à plusieurs reprises depuis 2003 et c'est certainement une des situations les plus dures à vivre pour la population centrafricaine que j'ai pu voir.", raconte Sylvain Groux.

Sylvain Groux, chef de mission MSF, et le général Bertrand Cavallier.

Voici leurs principales déclarations :

Nous sommes en ligne avec la Centrafrique, bonjour Sylvain Groux. Vous êtes chef de mission pour Médecins sans Frontière. On a vraiment besoin de votre éclairage ce matin parce que vous connaissez très bien cette région, depuis longtemps. Avez-vous déjà connu situation aussi tendue que ces dernières semaines ?

"Non, définitivement. Je suis dans le pays à plusieurs reprises depuis 2003 et c'est certainement une des situations les plus dures

à vivre pour la population centrafricaineque j'ai pu voir. Ce n'est pas juste la situation sur Bangui. Cela fait maintenant près d'un an que la population, même à l'extérieur de Bangui, vit en brousse dans des conditions déplorables."

Ces tensions, comment se traduisent-elles dans votre travail au quotidien ?

"Pour nous, dans notre travail, c'est toujours une question de difficultés liée à l'accessibilité, s'il y a des combats ou de la violence à certains niveaux. Donc on doit évidemment faire attention pour que la sécurité de notre personnel ne soit pas mise en jeu."

Vous-même, vous ne vous êtes jamais retrouvé dans une situation délicate ?

"Quand on fait ce genre de travail, dans le genre de pays où on travaille, on se retrouve malheureusement souvent dans des situations délicates. On a des protocoles en place pour pouvoir gérer ces situations délicates et on essaie de minimiser ces situations en ayant de bons contacts avec les affaires armées et toutes la communauté dans les zones où nous travaillons."

Vous avez été confronté à des hommes armés face à vous ?

"Ça fait des années que MSF travaille dans le pays et il y a eu des incidents qui ne remontent pas à quelques semaines ou quelques mois mais bien à quelques années. Dans tous les pays où il y a beaucoup d'armes et beaucoup d'instabilités, malheureusement on est confronté à ce genre de situations."

1600 soldats français sont actuellement déployés en Centrafrique. Comment se passe le contact avec eux ?

"On a un contact avec tous les groupes armés. Que ce soit l'armée française, la Misca, les anti-Balaka, les CDK, peu importe, nous nous assurons toujours d'être en contact avec ces gens-là, pour leur faire comprendre les principes de notre travail et le respect qu'on peut avoir les uns envers les autres."

Sentez-vous que les militaires sont en train de perdre le contrôle ?

"C'est difficile à dire, je ne suis pas un stratège militaire. Ceci dit, la situation est plutôt vue par la population comme étant hors contrôle, si on considère qu'encore aujourd'hui, des milliers de personnes ont dû se déplacer de leur quartier. Et ça continue de jour en jour."

Vous espériez beaucoup de l'arrivée des soldats français ?

"Toute force de maintien de la paix qui arrive apporte de l'espoir à la population pour que cette violence cesse. Malheureusement, il y a encore beaucoup de personnes qui ne se sentent pas en sécurité et qui fuient toujours, encore aujourd'hui, cette violence."

Nous sommes maintenant avec le général Bertrand Cavallier. Vous êtes un expert reconnu en opérations de maintien de l'ordre. Je précise que vous avez quitté le service actif depuis 2011. Vous avez une vision assez inédite de la situation, on va le voir. Vous venez d'écouter le témoignage de Sylvain Groux, qui a évoqué le rôle des forces françaises. Quel est votre décryptage de ce qui se passe aujourd'hui en Centrafrique ?

"Je pense que la France et la communauté internationale sont confrontés à une situation très complexe, mais qui présente des analogies avec d'autres situations qu'il a fallu gérer dans un passé récent, que ce soit en Europe ou en Afrique."

Et comment on a fait, à l'époque ?

"Et bien on a déployé l'ensemble des outils nécessaires pour faire face à ce type de situations : c'était essentiellement, pour ce qui concerne la France, des escadrons de gendarmerie mobile, comme ça a été le cas pendant la crise ivoirienne."

Qu'ont-ils de plus par rapport aux militaires français qui sont actuellement sur le terrain ?

"Ce qu'ils ont de plus, c'est que les militaires, en l'occurrence les parachutistes, ont une culture de combat, tandis que les gendarmes ont une culture de maintien de l'ordre, avec un emploi de la force très gradué, avec toute une logique de médiation, de relation avec la population."

Ce qu'on comprend d'après ce que vous dites, c'est que les jeunes soldats français actuellement en Centrafrique n'ont peut-être pas l'expérience adéquate pour une opération de maintien de l'ordre.

"Il faut une formation de base, mais ils ont une vocation principale de combat. Les escadrons de gendarmerie sont rompus à ce type de situation, de confrontation à des foules parfois violentes, et qui doivent être déployés en premier échelon, c'est leur vocation même. Dès lors que la situation devient trop dégradée, il peut y avoir un désengagement des gendarmes, et c'est l'armée de terre qui intervient. Alors ça, c'est le schéma, c'est le concept, mais c'est cela qui avait mis en place dans de nombreux théâtres, notamment en Côte d'Ivoire et au Kosovo."

Ces derniers jours, certains récits sur place parlent d'enlisement, de piège, de chaos pour l'armée française. C'est aussi votre sentiment ?

"Ecoutez, je connais un peu la région. La France est présente, elle se devait de l'être. Là, je suis une approche très politique, mais je crois que tout citoyen peut avoir son avis. La France devait faire cesser ces crimes, ces massacres. Elle a un rôle qu'elle assume parfaitement. Donc elle peut compléter son dispositif pour rendre plus efficace l'opération qu'elle est en train de mener."

J'imagine que vous êtes en contact avec des gendarmes mobiles : il y a des volontaires parmi eux pour se rendre sur place ?

"Vous savez, les gendarmes mobiles, il y en a plus de 1000 qui ont été engagés en Afghanistan. C'est leur métier, ce sont des troupes très professionnelles, très robustes : la référence au niveau international. Je ne doute pas du tout de leur esprit quant à leur capacité à être déployées dans ce type de contexte."