Laurent Berger : "Il faut que le patronat s'engage et qu'il arrête de geindre"

11:05
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SAISON 2013 - 2014, modifié à

"Nous soutenons le pacte de responsabilité dans la mesure où c'est une mesure faite pour aider les entreprises. Je répète que les entreprises, ce n'est pas que le patronat", rappelle le secrétaire général de la CFDT.

Ce matin à 8h45, Europe 1 recevait Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT.

Voici ses déclarations :

 

Le mois de mai est un mois truffé de week-ends, de loisirs et de voyages. Je ne vais pas vous demander où vous allez aller pendant tous ces week-ends, Laurent Berger, mais est-ce que vous demandez aux syndicats de pilotes qui ont déposé un préavis de grève du samedi 3 mai au 30 mai d'éviter la grève ?

"J'ai pas à demander quelque chose à un autre syndicat que la CFDT mais je pense que c'est pas une bonne chose pour les usagers. Mais vous savez, je me méfie de ces syndicats corporatistes au sein d'Air France. La CFDT est le premier syndicat aux élections des conseils d'administration des personnels au sol au sein d'Air France. Moi, j'ai une autre conception du dialogue social que la menace."

Vous dites que les vacanciers du mois de mai n'ont pas envie d'être menacés et punis de cette façon ?

"J'imagine, et ils ne le méritent pas."

Récemment, vous avez déclaré que vous étiez en désaccord avec ce syndicalisme qui privilégie les grèves. Il vaut mieux négocier que faire la grève ?

"La grève, c'est une possibilité, et la CFDT le fait quand c'est nécessaire. Moi je suis pour un syndicalisme qui s'insurge contre les inégalités et qui proteste. Mais je suis aussi un syndicaliste qui propose et qui s'engage pour obtenir des résultats."

Là, vous souhaitez qu'il n'y ait pas de grève, dans l'intérêt des citoyens...

"De toute façon, la grève est toujours l'ultime recours. Donc là, il faut discuter. Mais à Air France, ça ne se justifie pas."

Le mois de mai a un parfum de vacances, comme toujours. Mais cette fois, 16 jours sont ouvrables sur 31. Plus de la moitié du mois. C'est un record parmi nos voisins européens. Un record qui coûte cher. Est-ce que c'est la meilleure solution pour la croissance et l'emploi en France ?

"Non, mais on n’est pas en train de découvrir qu'au mois de mai, il y a des jours fériés. Ça fait un certain temps que ça dure et c'est pas anormal. Je vous rappelle que des fois, le 1er mai tombe un samedi ou un dimanche. Là, cette année, ça tombe des jeudis. Mais je crois pas qu'il faut pas faire tourner le débat sur la croissance, qui mérite beaucoup plus d'explications que simplement la question autour du nombre de jours fériés."

Vous dites : "C'est normal, c'est une tradition, on n'y touche pas, même si ça a des effets sociaux."

"Non, mais moi je ne suis pas de ceux qui prennent les choses par le petit bout de la lorgnette, à dresser des épouvantails : une fois, c'est les jours fériés, une autre fois, le SMIC, et on dit que si tout va mal dans notre pays, c'est à cause de tout ça. Non, c'est pas à cause de ça, c'est parce qu'on a un déficit de compétitivité, de croissance... Parce qu'on regarde pas la réalité en face."

Ah, et qu'est-ce que c'est, la réalité ?

"La réalité, c'est qu'il faut une politique économique, qu'il faut aider la croissance en emplois, et qu'il faut regarder la situation qu'est celle du chômage de masse."

Sans illusion. Aujourd'hui 1er mai, il y a plusieurs défilés en ordre dispersé : la CGT avec le Front de gauche et quelques FO, et vous, vous faites un rassemblement sur l'Europe - on en reparlera tout à l'heure. Qu'est-ce qui vous distingue de la CGT de Thierry Lepaon ?

"D'abord, il n'y a pas de guerre syndicale, je tiens à le dire. Parce que ce matin, tout le monde dit qu'il y a désunion... Oui, il y a désunion mais pourquoi ? Parce que nous ne partageons pas la même vision de ce qu'est la démocratie sociale, soit la place des syndicats. La place des syndicats, c'est de contester quand la situation n'est pas bonne. Mais c'est aussi de proposer, de nous engager, de faire des propositions concrètes. Et de regarder la réalité en face. Ça fait 30 ans qu'on a un chômage de masse. On a une tolérance au chômage très forte dans notre pays. Trop forte. Et du coup, on n’a pas traité ces questions-là suffisamment..."

Vous dites : "Contester, contester, ça sert à rien. Ce sont des incantations sans résultat."

"… ce que nous faisons depuis plusieurs années. En 2013, nous avons obtenu des résultats concrets pour les salariés. Nous avons obtenu la complémentaire santé, les droits rechargeables..."

Donc, vous dites à Thierry Lepaon de la CGT... parce qu'on voit bien que vous ne réussissez pas à la convaincre, mais est-ce que lui peut vous convaincre ?

"Sur la posture qui est la sienne aujourd'hui, non. Moi, je regarde sur quoi on peut peser, en quoi les syndicats peuvent être utiles, vous en parliez ce matin sur votre antenne. Pour être utile, il faut obtenir des résultats concrets pour les salariés. Pas simplement relayer leur mécontentement. Il faut relayer le mécontentement, mais il faut aussi leur dire : "Il y a d'autres choix possibles.""

Oui, mais il y a de la contestation à l'intérieur de certains syndicats. On va vous reprocher peut-être de n'être pas assez dur. Par exemple, Thierry Lepaon parle beaucoup en ce moment, mais est-il assez fort pour être un réformateur à son tour ?

"Mais la question n'est pas d'être dur ou pas dur. La question est d'être efficace ou pas efficace. Moi, j'ai un bilan. La CFDT a un bilan en termes de droits pour les salariés. Elle a un bilan dans les entreprises, où elle obtient des résultats sur les conditions de travail, les salaires, sur l'emploi."

Les autres syndicats n'ont pas de bilan ?

"Dans les entreprises, si. Au niveau interprofessionnel, depuis un an, non."

Dans 5 jours, le 6 mai, 2e anniversaire de François Hollande à l'Elysée. Comment qualifiez-vous ces deux années ?

"Difficiles. Des années difficiles."

Pour les Français ou pour l'exécutif ?

"Pour les Français. Mais vous savez, moi, je n'ai pas d'échéance à deux ou trois ans. La durée du quinquennat, qui est à la tête de l'exécutif, c'est pas mon problème. Mon problème, c'est ce que vivent les salariés. Ils ont vécu 2 années difficiles, qui succèdent à 5 ou 6 ou 10 années difficiles, et c'est ça, mon problème. C'est ça qui m'intéresse. C'est pas le destin de tel ou tel homme politique, c'est le destin des Français."

Si vous deviez donner une note à ces deux ans..?

"Je donne pas de notes. J'ai de très mauvais souvenirs de mes notes à l'école me concernant donc j'en donne pas aux autres."

Maintenant, François Hollande défend davantage les entreprises car elles créent l'emploi. Ne croyez-vous pas qu'il y a un tournant que vous pourriez soutenir ?

"Nous, nous soutenons le pacte de responsabilité dans la mesure où c'est une mesure faite pour aider les entreprises. Je répète que les entreprises, ce n'est pas que le patronat. C'est tous ceux qui travaillent au sein de l'entreprise, y compris les salariés. Mais ce que je veux dire, c'est que ces aides dont vont bénéficier les entreprises, il faut que le patronat s'engage, maintenant, qu'il arrête de geindre et qu'il s'engage concrètement en matière de création d'emplois, d'engagement de jeunes en apprentissage..."

Mais ça se négocie dans les branches.

 

"Dans les branches et dans les entreprises. Parce que je rappelle qu'en ce mois de mai, avec les jours ouvrés, les entreprises vont recevoir le CICE. Nous, nous avons demandé à nos équipes d'aller voir les chefs d'entreprise pour leur demander : "A quoi utilisez-vous le CICE ?" Est-ce qu'il sert à l'emploi, à l'investissement, à l'apprentissage, à l'amélioration des conditions de travail. C'est ça, concrètement. Et il faut donc que le patronat s'engage, ce qu'il ne fait pas, aujourd'hui."

Eh bien, Pierre Gattaz écoute. Manuel Valls a fait adopter son pacte de responsabilité avec une majorité relative, mais une majorité quand même... Est-ce que vous lui demandez d'accélérer l'application du plan ?

"Moi, ce que je demande, c'est, que, sur la partie du pacte de responsabilité, Manuel Valls exige plus du patronat. Sur la partie des dépenses, il y a un gros problème qui demeure, c'est le gel pour les fonctionnaires. C'est inacceptable. 5 ans de gel du point d'indice..."

Oui, mais les élus, qui sont les représentants de la nation, l'ont voté.

"Oui, mais moi, le 15 mai, vous voyez, parce que c'est toutes les composantes de l'action syndicale pour la CFDT, je serai dans la rue pour dire que c'est pas normal. Parce qu'il y a un problème de pouvoir d'achat et de reconnaissance de ceux qui rendent un service au public."

Oui, mais les fonctionnaires sont de plus en plus nombreux, leur pouvoir d'achat n'a pas baissé. Dans la fonction publique territoriale, la Cour des comptes vous le dit, le gouverneur de la Banque de France vous le dit, il y a pléthore.

"Au global, dans la fonction publique, le pouvoir d'achat baisse. Il y a du discernement à faire dans la réduction de la dépense publique. Nous, nous sommes pour la maîtrise des dépenses publiques, mais on a obtenu deux inflexions du gouvernement pour les basses retraites et sur le plan pauvreté. Il y en a une troisième : c'est pour les fonctionnaires, qu'il n'y ait pas de gel du point d'indice et que les plus fragiles des fonctionnaires, les catégories C, qui sont au niveau du SMIC, soient augmentés."

Alstom ! A l'unanimité, ils ont choisi l'offre de General Electric pour sa branche énergie. D'ici la fin de l'année, ils vont pouvoir, sans être sollicités, faire des propositions. A votre avis, qui va sauver Alstom et ses salariés : Siemens ? General Electric ? Ou y a-t-il une autre alternative ?

"D'abord, je voudrais dire une chose qui m'a indignée. C'est que les représentants des salariés à Alstom aient appris ce qui se passait par la presse."

Comme le gouvernement.

"Oui mais le gouvernement, c'est pas mon problème. C'est indigne du dialogue social tel qu'on le conçoit."

Et la CFDT, qui est très forte à Alstom, n'a rien vu ? Votre représentant, qu'on entend très fort partout, il n'a rien vu ?

"Non. C'est un scandale."

Ça, c'est Patrick Kron, c'est pas le gouvernement.

"Bien sûr. L'autre sujet, ce sont les enjeux qui sont sur la table : c'est un enjeu d'emplois, d'indépendance technologique et industrielle. Nous, ce que nous demandons, c'est une logique d'alliance, qui consolide l'emploi et l'activité industrielle d'Alstom. C'est pour ça qu'il fallait du temps."

L'opération avec General Electric, vous l'acceptez, vous la soutenez si on vous donne des garanties sur l'emploi, l'avenir, la localisation des centres de décision ?

"Je n'ai pas à soutenir telle ou telle activité pour l'instant. Je pose deux problèmes : celui de l'emploi, qui serait menacé par un achat par Siemens, parce qu'il y aurait des doublons. Et puis celui de l'indépendance technologique, menacée par un rachat par General Electric. La question c'est : regardons comment, plutôt que de découper Alstom, on peut créer des alliances qui préserveraient aussi bien l'emploi que l'indépendance technologique."

Vous reconnaissez qu'Alstom ne peut pas continuer à avancer tout seul, avec un marché qui est limité. C'est Patrick Kron qui disait dans Le Monde d'hier, comparant les appétits et les différences de marché : "Alstom a vendu 10 turbines à un gaz en un an, General Electric, 30 en un trimestre et 150 en un an."

"Mais ça, il faut qu'il en parle dans le dialogue économique avec les représentants des salariés dans l'entreprise."

Ce qui arrive à Alstom et ce qui menace d'autres groupes, est-ce que ce n'est pas la faiblesse en France de l'innovation, de l'anticipation et de la compétitivité ?

"Il y a évidemment un problème de compétitivité. Mais il faut arrêter d'être dans le déclin, aussi, de dire que tout va mal en France."

Ce n'est pas le jeu d'Europe 1. On croit aux forces du pays.

"Alstom s'est aussi positionné autour des turbines, notamment autour de l'énergie marine renouvelable, il faut consolider ça, et c'est pas en 3 jours, week-end compris, qu'on peut régler un problème comme ça."

Sinon, ces turbines partiraient dans l'autorité des Américains.

"Le problème, c'est que ce soient eux qui décident de les placer dans le nucléaire ou dans les énergies renouvelables."

Un dernier mot, Laurent Berger : vous allez vous rassembler aujourd'hui pour défendre l'Europe face aux eurosceptiques et aux populistes. Vous êtes inquiet ? Par exemple, ce qu'on entendait aujourd'hui sur Europe sur le Front national, qui va manifester..? Ou est-ce que vous défendez l'Europe comme la meilleure protection, comme bouclier contre la guerre et les fanatismes ?

"Moi, comme Européen, je suis exigeant avec l'Europe. L'Europe, aujourd'hui, ne me va pas telle qu'elle fonctionne, mais je crois qu'une partie de la solution à nos problèmes n'est pas notre problème. Je suis Européen, et aujourd'hui, je vais dire qu'il faut une autre Europe, notamment une Europe de l'investissement. C'est ainsi qu'on réglera une partie des problèmes, notamment concernant Alstom."