Pourquoi le kérosène des avions n'est-il toujours pas taxé en France ?

Le gouvernement craint d'affaiblir la compétitivité des compagnies aériennes françaises.
Le gouvernement craint d'affaiblir la compétitivité des compagnies aériennes françaises. © JOEL SAGET / AFP
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Antoine Terrel
Alors que Ryanair fait partie des dix plus gros émetteurs de CO2 en Europe, le kérosène des avions demeure le seul carburant issu du pétrole exonéré de taxes.

C’est une première.  Pour la première fois, une compagnie aérienne, Ryanair, a fait son entrée dans le top 10 des plus gros émetteurs de CO2 dans l’atmosphère, selon un rapport de l’ONG belge Transport & Environnement. Selon cette étude qui s’appuie sur les données officielles d’émission de gaz à effet de serre de l’Union européenne, la compagnie irlandaise est 10ème, devancée uniquement par des centrales à charbon, avec une augmentation de 6,9% de ses émissions. Plus inquiétant encore, c’est tout le secteur aérien qui est touché par cette hausse, avec une augmentation de 26,3% depuis 2013.

Pourtant, malgré cet alarmant état des lieux, et alors que la mesure est réclamée par de nombreux acteurs associatifs et politiques, le kérosène des avions reste très peu taxé, et ne l'est pas du tout en France. Europe 1 vous explique pourquoi.

Quelle est la situation actuelle ?

La taxation du carburant des vols internationaux est interdite par la convention internationale de Chicago, signée en 1944. A cette époque, les signataires désiraient par ce texte favoriser le trafic international. Certains pays comme la France ont ensuite appliqué cette exemption à leurs vols intérieurs. En France, aucun vol n’est donc soumis à la TICPE, la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques. Par ailleurs, si le secteur aérien supporte d'autres taxes, en France, les avions internationaux demeurent également exonérés de TVA, tandis que les vols intérieurs doivent supporter une TVA de 10%.

En quoi taxer les carburants aiderait à lutter contre le réchauffement ?

La mise en place d’une taxation française du kérosène est réclamée par plusieurs associations de défense de l’environnement et des formations politiques de gauche, aussi bien La France Insoumise, Europe Ecologie-Les Verts, et Générations. Le sujet est notamment revenu sur la table avec la crise des "gilets jaunes", ces derniers ne comprenant pas la hausse des taxes pour les automobilistes et l’absence d’action politique contre la pollution du secteur aérien, pourtant très importante. Car si, pour l’instant, le secteur du transport aérien ne représente que 2 à 3% des émissions de CO2 au niveau mondial, un rapport de Réseau Action Climat, précise que le "transport aérien émet 14 à 40 fois plus de CO2 que le train par km parcouru et personne transportée". 

Un important manque à gagner économique. De plus, cette exonération coûte cher à la France. Comme le rappelle Réseau Action Climat, si la France décidait de taxer le kérosène de ses vols intérieurs (20% du trafic aérien national), elle pourrait récupérer près de 310 millions d’euros par an, et jusqu’à 3 milliards si elle taxait également les vols à l’arrivée et au départ dans ses aéroports.

Et la situation ne va pas aller en s’arrangeant. En 2017, l’Association international du transport aérien prévoyait un quasi doublement du nombre de passagers aériens d’ici 2036.

Pourquoi le gouvernement hésite ?

Si la France, tout comme les autres pays signataires de la convention de Chicago, ne peut pas taxer les vols internationaux, elle est en revanche libre de le faire pour ses vols intérieurs, comme le font plusieurs pays comme les Etats-Unis, le Japon, le Brésil et la Suisse. Mais jusqu’à présent, le gouvernement n’entend agir, s'il agit, que dans le cadre d’accords européens.

Le 29 mars, au micro de RMC, le ministre de l’Action et des Comptes publics Gérald Darmanin s’est ainsi déclaré favorable à une taxation des carburants maritimes et aériens, qualifiant cette idée de "sympathique sur le papier", mais seulement au niveau européen. "Si on taxe plus les transports maritimes et les transports aériens, il faut le faire sur une assiette européenne", a-t-il martelé.  

Le gouvernement invoque la compétitivité des compagnies. Pour justifier l’absence de taxe française, le gouvernement invoque depuis plusieurs mois la nécessaire protection de la compétitivité des compagnies françaises, notamment face aux compagnies low-cost étrangères. En taxant le kérosène des avions, "on va mettre en difficulté Air France, notre compagnie nationale. Tous les autres feront le plein ailleurs", a rappelé l’ancien maire de Tourcoing. Interrogé par Le Figaro, le spécialiste de l’Énergie Jean-Pierre Favennec présentait en novembre ce refus comme "un choix purement économique".

Le gouvernement met aussi en avant le manque d’efficacité d’une telle mesure, comme le faisait la secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire Brune Poirson sur Franceinfo en novembre. "Les vols intérieurs, ça représente 4% du trafic aérien", expliquait-elle.

La convention de 1944 difficile à modifier. Quoi qu’il en soit, la mise en place d’une taxation du kérosène par les vols internationaux a bien peu de chance de passer par une remise en cause de la convention de 1944. Pour la modifier, il faudrait un vote unanime...des 191 Etats membres de l’OACI, l’Organisation de l’aviation civile internationale. Cette convention peut en revanche être contournée par des accords bilatéraux. "Si des Etats renégocient ces accords de manière bilatérale, on peut imaginer un regroupement de pays d’Europe de l’Ouest, par exemple, lever ces exemptions et imposer une fiscalité sur le kérosène sur les vols entre leurs territoires", explique à Libération Kurt Van Dender, chef de la division des politiques fiscales de l’OCDE.

Au gouvernement, tous n’ont pas toujours écarté l'idée d'une taxation nationale. En 2010, l’actuel ministre de la Transition écologique François de Rugy, alors membre d’EELV, dénonçait un régime de faveur "particulièrement choquant d’un point de vue écologique et d’un point de vue social" et dénonçait "une injustice majeure".