Plafonnement des indemnités prud'homales : quand les juges se rebiffent

© PHILIPPE HUGUEN / AFP
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Olivier Samain, édité par Anaïs Huet , modifié à
Plusieurs conseils des prud'hommes ont récemment rendu des décisions contournant le plafond d'indemnités en cas de licenciement abusif, emblématique des ordonnances Macron.

Ce ne sont pour l'instant que trois jugements, rendus ces toutes dernières semaines par les conseils de prud'hommes de Troyes, d'Amiens et de Lyon, mais ils font couler beaucoup d'encre. Et pour cause, ils contournent l'une des mesures emblématiques des ordonnances "travail" d'Emmanuel Macron : celle qui instaure un barème à ne pas dépasser en matière de dommages et intérêts pour licenciement abusif.

"Je n'espérais pas tant". Il y a un an, le patronat avait salué ce plafonnement qui, disait-il, allait mettre fin à la loterie des condamnations aux prud'hommes, et qui allait protéger les petites entreprises parfois incapables de faire face aux montants des dommages-intérêts décidés par les juges. Ces trois jugements ont donc créé un choc dans leurs rangs.

Mais à Lyon, la première à être surprise a été Linda, la salariée qui, au vu du plafonnement, pensait ne toucher qu'un mois de salaire, et qui en a finalement obtenu trois. "J'ai eu à peu près 5.000 euros. J'ai quand même deux ans et demi d'ancienneté, et plus de 140 contrats. Ce n'est pas comme si je venais d'arriver dans cette structure. Mais je n'espérais pas tant, c'est une bonne surprise", a-t-elle réagi au micro d'Europe 1.

Des traités internationaux ratifiés par la France. Pour écarter le plafonnement des dommages et intérêts, le conseil des prud'hommes de Lyon, ainsi que ceux de Troyes et d'Amiens se sont appuyés sur des traités internationaux, ratifiés par la France : l'article 10 de la convention 158 de l'OIT et l'article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996. Ces derniers disposent qu'en cas de licenciement abusif, les tribunaux sont habilités à verser une indemnité "adéquate" ou "toute autre forme de réparation considérée comme appropriée". En clair, on ne peut pas brider les juges dans leur pouvoir de fixer le quantum. C'est ce que pense le président CGT du conseil des prud'hommes de Lyon Bernard Augier qui, aujourd'hui, parle clairement d'acte de "résistance".

"On nous enlève le droit d'avoir à apprécier, dossier par dossier, quel est le montant du préjudice réellement subi par le salarié. Mettre un barème pour dire que les employeurs qui licencient abusivement leurs salariés sont trop lourdement sanctionnés par les prud'hommes, c'est faire peu de cas de l'activité des conseillers qui apprécient le préjudice et condamnent l'entreprise à des dommages et intérêts", dénonce-t-il.

Des "juridictions jusqu'au-boutistes" selon le patronat. Dès lors, faut-il voir dans ces trois jugements l'amorce d'une jurisprudence ? Interrogé par Europe 1, le ministère du Travail ne se dit pas inquiet… simplement agacé. Il rappelle que le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel ont validé le plafonnement Macron, et qu'à l'intérieur du barème, les juges gardent leur pouvoir d'appréciation.

Le patronat, lui, est un peu plus fébrile, à commencer par la CPME, dont le plafonnement est un peu le bébé. "Pour l'instant, ce sont plutôt des actes isolés. Il ne faut pas parler d'une lame de fond. Néanmoins, il faut rester vigilant", prône le président de la CPME, François Asselin. "Ça donne quand même un signal plutôt négatif. On avait une mesure équilibrée, qui permettait la juste réparation. On sent qu'il y a certaines juridictions jusqu'au-boutistes. Peu importe les capacités financières de l'entreprise, et tant pis si l'outil de travail périclite, il faut apporter réparation. C'est un petit peu absurde", considère-t-il.

Par ailleurs, dans chacune des trois affaires, au moins l'un des juges employeurs s'est aligné sur la décision des juges salariés. Ce qui, selon les informations d'Europe 1, a provoqué des remous dans les rangs patronaux. À Lyon notamment, il y a eu du remontage de bretelles.

Vers une multiplication de ces décisions. Précisons enfin que les prud'hommes sont le premier niveau. Au dessus, il y a les cours d'appel qui vont être saisies, et dans deux ou trois ans probablement, la Cour de Cassation qui tranchera dans un sens ou dans l'autre. Le Syndicat des avocats de France (SAF), classé à gauche, a diffusé un argumentaire "clés en mains" à ses membres qui plaident aux prud'hommes. Ils espèrent qu'ainsi, la contestation juridique du plafonnement Macron va monter.

"La jurisprudence pousse par les racines. Les décisions de justice vont se multiplier aux quatre coins de la France, et petit à petit vont monter vers les cours d'appel. Les premières décisions rendues sont les premières brèches, et elles ne resteront pas isolées. Il y aura de plus en plus de décisions avec des motivations intéressantes sur lesquelles s'appuyer pour les dossiers qui vont se succéder", assure Isabelle Taraud, porte-parole du SAF.

Un autre jugement, rendu un peu plus tôt aux prud'hommes du Mans, a rejeté, lui, l'argument du droit international, validant donc le plafonnement Macron.