"Paradise Papers" : Appleby, le cabinet d'avocats au cœur du scandale

La société est implantée dans dix paradis fiscaux, dont les îles Caïman et Hong Kong (photo).
La société est implantée dans dix paradis fiscaux, dont les îles Caïman et Hong Kong (photo). © AFP
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M.L , modifié à
Créé il y a plus de 100 ans aux Bermudes, le groupe conseille entreprises et grandes fortunes à la recherche de placements offshore.

Peu connu du grand public, Appleby s'est brusquement retrouvé sous le feu des projecteurs dimanche, avec la publication des "Paradise papers". Sur les 13,5 millions de documents examinés par le consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), 6,8 proviennent en effet d'un "leak" (une fuite) issu du cabinet d'avocats, spécialisé dans les stratégies d'optimisation fiscale. La firme ne cesse depuis de rappeler que ses services, fussent-il peu moraux, n'ont rien d'illégaux. Décryptage.

470 employés dans dix places "offshore". "Appleby" tient son nom de celui de son fondateur, Reginald Woodfield Appleby, avocat britannique implanté aux Bermudes à la fin du 19ème siècle. Son cabinet a depuis connu une impressionnante expansion, dans neuf autres États ou villes, dont plusieurs sont connus comme étant des paradis fiscaux : Hong Kong, les Caïmans, Guernesey, Jersey, l'île de Man, l'île Maurice, les Seychelles, les îles Vierges et Shanghai. Il emploie désormais 470 personnes selon Le Monde, média membre de l'ICIJ.

Concrètement, le cabinet propose les services de spécialistes parfaitement au fait des règles en vigueur dans chacun de ces lieux, et de leur évolution. Le but : proposer à chaque client la meilleure stratégie d'optimisation fiscale, en profitant des "souplesses" des différentes places offshore.

Un acquéreur d'avions privés est ainsi orienté vers l'île de Man, tandis qu'un opérateur de jeux en ligne se voit conseiller de placer son argent à Jersey, rapporte ainsi Franceinfo, qui a également participé à l'enquête. "Du conseil à l'accompagnement sur mesure, la palette est large : création de sociétés en cascade afin de faire bénéficier les clients d'accords binationaux parfaitement avantageux, montage de sociétés écran pour bénéficier d'exemption de TVA, constitution de trusts familiaux pour gérer des fortunes ou des héritages hors impôt, montage de sociétés destinées à la perception de droits d'auteurs hérités, loin des radars du fisc…" énumère le site français.

Le droit et la transparence. Selon les révélations des "Paradise papers", le cabinet est notamment à l'origine d'un complexe montage de sociétés écrans destiné à réduire les impôts de Charles et David Koch, importants donateurs du parti républicain américain. Il est aussi à la manœuvre dans la création d'une société offshore aux îles Caïmans, détenue par Stephen Bronfman, proche conseiller du Premier ministre canadien Justin Trudeau.

Est-ce illégal ? Pas vraiment : grâce à un suivi très poussé de l'évolution du droit dans ces paradis fiscaux, le cabinet permet justement à ses clients de se mettre à l'abri du point de vue du droit, même si certains se voient aujourd'hui reprocher leur manque de transparence. Dans un communiqué publié sur son site internet après la parution des "Paradise papers", Appleby souligne d'ailleurs cette différence entre illégalité et arrangements moraux : "Nous sommes un cabinet d'avocats qui conseille ses clients sur les moyens légitimes et légaux d'optimiser leurs affaires. Nous opérons dans des juridictions soumises aux standards internationaux les plus stricts. (...) Les journalistes ne prétendent pas qu'Appleby a fait quoi que ce soit d'illégal, et d'ailleurs, ils ne le peuvent pas."

Peu de contrôles en amont.Le Monde souligne cependant que des règles de "conformité" s'appliquent aux firmes spécialisées dans l'optimisation fiscale : celles-ci doivent se renseigner sur leurs clients, leur véritable identité et la provenance des fonds qu'ils souhaitent investir. Le quotidien soulève plusieurs cas dans lesquels Appleby semble avoir dérogé à ces règles. Dès 1993, un rapport d'une commission d'enquête du Sénat américain soupçonnait par exemple la société pétrolière Crescent Petroleum d'être "une façade pour le pouvoir de Bagdad", tandis que le cabinets d'avocats, en charge des affaires de l'entreprise depuis 1984, ne s'en est éloigné qu'en 2013.

Selon l'ICIJ, le cas est loin d'être isolé : aux Bermudes, en 2014, la moitié des dossiers clients d'Appleby ne comportait pas les informations exigées sur le véritable propriétaire du trust ou de la société offshore. Un laxisme ouvrant la porte à des activités illégales, comme le blanchiment ou le financement du terrorisme. Et d'après Le Monde, la société a pleinement conscience de ce risque : "Des documents internes montrent que la firme a provisionné 500.000 dollars pour régler une éventuelle amende." "Nous ne tolérons aucun comportement illégal et réitérons notre attachement à des pratiques de business responsables", répond simplement l'entreprise dans son communiqué, lundi. Et de marteler : "C'est ce que nous défendons et notre engagement reste sans équivoque."