Licenciements chez Nokia : les ingrédients d’un dossier social explosif

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L'intersyndicale de Nokia est remontée contre la direction du groupe. © Damien MEYER / AFP
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avec AFP
La direction de Nokia veut supprimer près de 600 postes en France. Les syndicats s’insurgent, arguant que la direction n’a pas tenu les engagements pris auprès du gouvernement en 2016.

A peine les dossiers GM&S et Whirlpool bouclés, avec dans les deux cas une issue conforme à la volonté de Bercy (mais contestée par les salariés dans le cas de GM&S), le gouvernement doit de nouveau s'occuper d'un dossier social brûlant. Nokia a en effet annoncé la suppression de 597 emplois en France d’ici 2019. Une décision qui provoque la colère des syndicats et embarrasse Emmanuel Macron, lié au dossier depuis le rachat d’Alcatel-Lucent par Nokia, en 2016. Le secrétaire d’État à l’Économie Benjamin Griveaux reçoit les syndicats, la direction et les élus locaux jeudi, à Bercy, pour tenter de désamorcer un dossier potentiellement explosif, ce pour plusieurs raisons.

  • Parce que les suppressions d’emplois sont conséquentes

Chez Whirlpool, 290 emplois étaient dans la balance, pour 277 maintenus au final. Chez GM&S, 276 emplois étaient menacés et 120 ont été sauvés. Cette fois, ce sont près de 600 emplois qui sont en passe d’être supprimés chez Nokia, en 2018 et 2019, dans deux filiales du groupe : Alcatel-Lucent International et Nokia Solutions and Networks. Elles emploient un total de 4.200 personnes, donc un emploi sur sept est menacé, précisément sur les sites de Paris-Saclay (Essonne) et Lannion (Côtes-d’Armor). Selon l'intersyndicale, les 597 emplois voués à disparaître représentent "30% des emplois hors recherche et développement". "Le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) qui vient de nous être présenté est complètement inacceptable", a déclaré Bernard Trémulot, délégué CFDT chez Nokia, sur Europe 1.

Ces suppressions de postes s’inscrivent, selon la direction de Nokia, dans le cadre d’un plan d’économies de 1,2 milliard d’euros décidé par la maison-mère finlandaise. La répartition des coupes entre Paris-Saclay et Lannion "n'est pas encore décidée à ce stade" et le plan sera présenté le 18 septembre aux instances représentatives du personnel des deux filiales concernées. Seule certitude, le secteur de la recherche et développement n’est pas concerné puisque Nokia a choisi de repositionner la France en pôle d'excellence en matière de R&D sur trois technologies clé : la 5G, la cybersécurité et l'Internet des objets.

  • Parce que la direction n’a pas tenu ses engagements

Pour l’intersyndicale de Nokia, ces suppressions de postes sont la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Suite au rachat d’Alcatel-Lucent, Nokia avait déjà supprimé environ 400 emplois en France l’an dernier. Par ailleurs, le groupe finlandais s’était engagé à recruter 500 diplômés pour atteindre le chiffre de 2.500 chercheurs en R&D. Or, selon la CGT, "seulement 20% des 500 recrutements nécessaires ont été réalisés à ce jour". Ce qui fait dire à l’intersyndicale que "depuis le rachat d'Alcatel-Lucent par Nokia en 2016, c'est plus de 1.000 disparitions d'emplois réalisées ou en cours de réalisation en France". En revanche, Nokia a bel et bien créé Nokia Growth Partners, son fonds d’investissement pour les start-up françaises, comme il s’y était engagé.

Autre point noir pour les syndicats : Nokia licencie alors que d’autres économies seraient possibles. Selon la CGT, Nokia a récemment distribué "4,4 milliards d’euros aux actionnaires en dividendes et rachat de ses propres actions" et "a perçu beaucoup d’argent public en France, en crédit-impôt recherche (CIR) et CICE, l’an passé". La direction de Nokia, pour l’instant discrète, a réservé sa défense pour l’entretien avec Benjamin Griveaux. Le secrétaire d’État s’est montré très offensif sur ce dossier, invitant les dirigeants à "s’expliquer" sur ses engagements car "le compte n’y est pas". Il n’a pas totalement exclu de couper, en cas d’échec des négociations, les subventions accordées à Nokia.

  • Parce qu’Emmanuel Macron est au cœur du dossier

Le dossier est d’autant plus sensible que les engagements de Nokia avaient été garantis par Emmanuel Macron. Alors ministre de l’Économie, c’est lui qui avait manœuvré pour autoriser le rachat de l’entreprise française Alcatel-Lucent par le géant finlandais. Une opération qu’Emmanuel Macron avait à l’époque qualifiée de "message rassurant" pour les salariés, les mêmes qui sont aujourd’hui confrontés aux suppressions d’emplois. Autre promesse un peu trop vite faite par celui qui est depuis devenu président de la République : "le nombre d'emplois total sera le même, voire davantage", après le rachat. Un engagement visiblement pas tenu par Nokia : "on n’a même jamais été 4.200", assure Bernard Trémulot.

Rajeev Suri, PDG de Nokia et Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie, en 2015 © ERIC PIERMONT / AFP

C’est donc l’autorité économique d’Emmanuel Macron qui est en jeu, sa capacité à imposer sa vision aux entreprises de France. "On ne peut pas dire, il y a moins de deux ans, au ministre de l'Économie et des Finances, qu'on va procéder à des embauches et deux ans plus tard, supprimer 600 emplois et ne pas avoir procédé aux embauches nécessaires", a lancé Benjamin Griveaux, lundi sur France Inter, à l’adresse du PDG de Nokia, Rajeev Suri. "Emmanuel Macron se serait-il fait duper par la direction du groupe Nokia lors du rachat ?", complète l’intersyndicale dans un communiqué.

  • Parce que Nokia est une marque familière

Géant du téléphone mobile au début des années 2000, Nokia est en difficulté depuis quelques années. Le groupe a accusé une perte nette de 766 millions d'euros en 2016, et son exercice 2017 s'annonce tout aussi compliqué, avec une perte nette cumulée dépassant 900 millions d'euros au cours du premier semestre. Mais Nokia reste une marque populaire, associée dans l’esprit de beaucoup de gens au légendaire "3310", d’ailleurs récemment réédité.

Un atout au moment d’attirer l’attention de l’opinion publique sur les suppressions d’emplois en France, les syndicats en sont conscients. L’exemple de Whirlpool, et sa très forte médiatisation, est encore dans toutes les mémoires. Les syndicats ont également un autre atout dans leur manche : le patriotisme. En effet, comme souvent dans les dossiers sociaux explosifs, il est question de délocalisation. "Ces emplois vont être délocalisés dans des pays à bas coûts, l'Europe de l'Est essentiellement", selon la CGT. Soit le même problème qui avait poussé le gouvernement à s’investir pleinement dans le dossier Whirlpool, avec les résultats que l’on sait.