Lactalis ou les limites du culte du secret

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À Laval, siège de l'entreprise, peu d'acteurs du secteur connaissent le visage du PDG de Lactalis. © DAMIEN MEYER / AFP
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Emmanuel Duteil, édité par R.Da. , modifié à
Le gouvernement somme le géant français des produits laitiers, d'habitude très peu loquace sur ses activités, de s'expliquer après le scandale du lait contaminé.

Le gouvernement réclame plus de transparence à Lactalis. "Je crains que nous trouvions des choses étonnantes chez Lactalis", a soufflé Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, invitée vendredi de la matinale d'Europe 1. Alors que le scandale des boîtes de lait contaminées aux salmonelles s'étend désormais aux hôpitaux et aux pharmacies, le gouvernement a ouvert une enquête et somme le géant de l'agroalimentaire de s'exprimer.

Un mystérieux PDG. Car il faut dire que chez Lactalis, le secret est une règle absolue. Il n'existe d'ailleurs que très peu photo d'Emmanuel Besnier, le président du groupe, présenté par Challenges comme la troisième fortune de France. Il ne donne jamais d'interview, au point que même à Laval, siège de l'entreprise, certain acteurs du secteur disent ne pas le connaître. "Il est propriétaire du club de foot, mais sa tribune est en vitres teintées pour qu'on ne le voit pas", relève auprès d'Europe 1 Périco Légasse, journaliste à Marianne et auteur de À table citoyens ! La malbouffe, une affaire politique.

Même chose du côté des ministres, dont plusieurs reconnaissent qu'ils ont toujours eu un mal fou à le convoquer. Et alors qu'il est attendu par Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie, le dirigeant pourrait encore "sécher" ce rendez-vous. "Je ne serai pas étonné qu'il fasse faux bond, qu'il envoie quelqu'un d'autre. Il vit visiblement sur une autre planète, et il n'a pas l'habitude de faire face à ses responsabilités", commente sur Europe 1 Jean-François Arnaud, journaliste à Challenges.

Ne jamais rendre compte. Les salariés eux-mêmes, y compris les syndicats, sont très peu diserts. C'est la même chose pour la publication des comptes : Lactalis ne les présente pas. Impossible, donc, de connaître sa marge. C'est illégal, mais le groupe s'en moque, préférant privilégier la discrétion autour de ses activités. "La famille Besnier a été traumatisée quand l'héritier Peugeot avait été enlevé [en avril 1960, ndlr], comme un certain nombre de familles capitalistes. Je crois savoir qu'ils ont peur de la notoriété, ils ont peur de perdre une insouciance dans la vie quotidienne, mais aujourd'hui ça n'est plus la question : on est obligé de rendre compte quand on est un grand patron !", souligne Jean-François Arnaud." Avec une holding domiciliée à Bruxelles, Lactalis ne paye pas tous ses impôts en France", pointe encore Périco Légasse.

Des libertés que s'octroie Lactalis au regard d'une réussite historique. Partie de rien, l'entreprise est désormais l'un des tous premiers groupes mondiaux dans le lait et les produits laitiers, avec des marques comme Président ou Lactel. Un groupe fondé par le grand-père d'Emmanuel Besnier, et qui s'est construit à coups d'acquisitions, comme il y a quelques années avec le rachat du géant italien du lait, Parmalat. Mais cette culture du secret va peut être trouver ses limites après cette crise inédite pour le groupe.