La courbe du chômage "s'est effectivement inversée" : François Rebsamen dit-il vrai ?

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L'ancien ministre du Travail, François Rebsamen, et Myriam El Khomri, qui a pris sa suite. © BERTRAND GUAY / AFP
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L'ancien ministre du Travail François Rebsamen assure que la promesse de François Hollande s’est concrétisée. A raison ? 

C'est le serpent de mer du quinquennat. L’heure du bilan approchant, les regards se tournent vers la courbe du chômage, que François Hollande promettait d’inverser à la rentrée 2012. Quatre ans plus tard, son ancien ministre du Travail l’assure : la mission est accomplie. "Ce quinquennat a été un quinquennat de redressement économique mais cela a été plus long qu'espéré. Mais ce redressement a bien lieu et la courbe s'est effectivement inversée, on va le voir clairement à la fin de l'année", a-t-il déclaré jeudi dans Le Parisien. Ce qui est à la fois vrai et faux, tout dépend de la manière d’observer le chômage.

Pour Pôle emploi, l’inversion n’est pas encore là. Pour vérifier les propos du maire de Dijon, le premier réflexe est de se tourner vers les chiffres que dévoile justement le ministre du Travail chaque mois, c’est-à-dire les statistiques fournies par Pôle emploi. Or, ces dernières montrent une stabilisation et un début de décrue du chômage, mais on est encore loin d’une inversion de la courbe, qui nécessite trois mois consécutifs de hausse. Or, lors de l’hiver dernier comme au printemps, à chaque fois que le nombre de demandeurs d’emploi reculait deux mois de suite, c’était pour repartir à la hausse le mois suivant. Il est donc plus juste de parler d’une phase de stabilisation, marquée par une alternance entre les hausses et les baisses. "Ce n’est pas assez pour parler d’inversion", confirme Eric Heyer, directeur du département Analyse et Prévision de l’OFCE.

Mais pour l’Insee, elle a déjà eu lieu. Pourtant, François Rebsamen comme Myriam El Khomri - qui tient le même discours - ont raison d'une certaine manière. L'ancien et l'actuelle ministres du Travail ont choisi d'utiliser les données fournies non pas par Pôle Emploi mais par l’Insee. Et de ce point de vue-là, nous sommes bien en train de vivre une inversion de la courbe du chômage entamée fin 2015. En effet, cela fait trois trimestres consécutifs que le taux de chômage recule et cette tendance pourrait se poursuivre au cours des trois derniers mois de l’année : l’Insee prévoit que le taux de chômage devrait finir l’année à 9,5%.

Les deux derniers ministres du Travail ont donc raison d’affirmer que la courbe s’est inversée, et ce dès l’été 2016, à condition de se baser sur les chiffres de l’Insee et non sur ceux de Pôle emploi. Ce qu’a évidemment fait le gouvernement.

Pourquoi les courbes sont-elles si différentes ? Si Pôle emploi et l’Insee ne tiennent pas le même discours, c’est tout simplement parce que ces deux organismes observent le chômage d’une manière différente. Pôle emploi indique le nombre de demandeurs d’emplois qui se sont enregistrés dans ses fichiers au cours du mois précédent. L’Insee travaille, lui, en menant une enquête : il suit un échantillon de Français représentatif de la population, une méthode partagée par la plupart des autres Etats et qu’on qualifie de méthode BIT (Bureau international du travail). Et entre ces deux méthodes, Eric Heyer privilégie clairement la seconde : "Les chercheurs ne regardent pas les chiffres de Pôle emploi, le minimum est de raisonner par trimestre. Quand l’OCDE, le FMI ou n’importe quel institut fait des prévisions, c’est à partir des chiffres du BIT".

Choisir les chiffres les plus positifs. Le gouvernement a donc raison d’invoquer les chiffres de l’Insee, sauf qu’en général il a tendance à privilégier au contraire les chiffres de Pôle emploi. D’abord parce que ces derniers tombent tous les mois et sont donc bien plus médiatisés. Ensuite parce que "le gouvernement a une influence plus forte sur les chiffres de Pôle emploi", rappelle directeur du département Analyse et Prévision de l’OFCE : "il peut changer la date limite à laquelle les demandeurs d’emploi doivent actualiser leur situation ou lancer un plan de formation qui permet par exemple de faire passer des demandeurs d’emploi de la catégorie A à D ou E". Pour Eric Heyer, "il est évident que le gouvernement raisonnait au sens de Pôle emploi, et non de l’Insee," lorsqu’il a promis une inversion de la courbe. Mais comme les chiffres de l’Insee sont meilleurs, ce sont ces derniers qu’il invoque depuis plusieurs mois.

Seule certitude : le chômage a augmenté. Il n’y a donc pas une mais deux courbes du chômage, de quoi compliquer un peu plus un sujet déjà complexe. En revanche, quelle que soit la méthode retenue, la tendance est clairement à une amélioration du marché de l’emploi. "Oui, on est dans une inversion mais à un niveau très élevé de chômage. On passe de 10,1% à 9,6%, c’est une baisse sur plusieurs trimestres. C’est indéniable qu’il y a une baisse mais très lente, trop lente pour qu’il y ait un ressenti. Et globalement, on reste à un niveau de chômage très élevé", conclut Eric Heyer. Car qu’on raisonne au sens de Pôle emploi ou de l’Insee, le nombre de demandeurs d’emplois a augmenté sous François Hollande : +600.000 d’après l’un ou +100.000 d’après l’autre.