Faut-il revoir les méthodes de calcul des chiffres du chômage ?

© .PHILIPPE HUGUEN / AFP
  • Copié
, modifié à
EMPLOI - Les chiffres mensuels de Pôle emploi, attendus mardi, sont de plus en plus contestés.

Déjà très attendus en cette période de chômage de masse et de faible croissance, les chiffres de Pôle emploi sont actuellement au cœur de toutes les préoccupations. D’abord parce que la France est entrée en période préélectorale, ensuite parce que le président de la République a lui-même conditionné son avenir à une inversion de la courbe du chômage. Mais les statistiques fournies par Pôle emploi sont-elles représentatives de la réalité ? La question se pose de manière de plus en plus insistante car, outre les classiques accusations de manipulations venues de l’opposition, même l’ancien ministre du Travail François Rebsamen a déclaré jeudi qu'"on ne peut pas faire confiance" aux chiffres des demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi. Des chiffres qu’il a pourtant lui-même dévoilés durant 17 mois. Les appels à réformer cet outil statistique se multiplient.

Quelles sont les limites des données fournies par Pôle emploi ? Face à ce flot de critiques, le Sénat a décidé de former une commission d’enquête sur les chiffres du chômage en France. La conclusion de son rapport, publié le 5 octobre, est limpide : "À eux seuls, les chiffres mensuels des DEFM (ceux de Pôle emploi, ndlr) ne sont pas un indicateur fiable ni pertinent du chômage". Les chiffres fournis par Pôle emploi ont en effet leurs limites, puisqu’ils se basent sur le nombre de demandeurs d’emplois qui se sont enregistrés dans ses fichiers au cours du mois précédent. C’est donc une statistique administrative qui a plusieurs défauts. Certains chômeurs disparaissent de ces données s’ils n’ont pu réactualiser leur statut à temps, alors même qu’ils recherchent toujours un emploi. De même, la plupart des moins de 25 ans et une partie des bénéficiaires du RSA ne sont pas pris en compte alors que parmi eux se trouvent de nombreux demandeurs d’emplois.

S’il oublie en route de nombreux chômeurs d’un côté, Pôle emploi en rajoute de l’autre : la catégorie C comprend ainsi des personnes qui travaillent régulièrement mais continuent à être en recherche d’emploi car elles n’ont pas encore trouvé de CDI. Résultat, des personnes qui ont un travail (souvent précaire) sont comptabilisées comme n’en ayant pas et gonflent les chiffres du chômage. En juillet 2016, elles étaient tout de même près de 470.000.

Enfin, la moindre décision prise par le gouvernement peut avoir un impact important sur ces statistiques : le plan de 500.000 formations initié par le gouvernement a permis de faire disparaître des radars de nombreux chômeurs. A l’inverse, la suppression de la dispense de recherche d’emploi pour les plus de 58 ans a fait gonfler le nombre de chômeurs : auparavant, ces deniers étaient autorisés à ne pas rechercher d’emploi, le temps d’atteindre l’âge de la retraite. Depuis que cette dérogation a été progressivement supprimée en 2008, le nombre de seniors en recherche d’emploi a bondi de 430%. Enfin, le moindre bug technique, comme celui commis par SFR à l’automne 2013, peut totalement parasiter les chiffres officiels sans que Pole emploi y soit pour quelque chose.

Les chiffres de l’Insee, la solution ? Toutes ces limites font que "les chercheurs ne regardent pas les statistiques de Pôle emploi et lui préfèrent celles de l’Insee. Quand l’OCDE, le FMI ou n’importe quel institut fait des prévisions, c’est à partir des chiffres de l’Insee", assure Eric Heyer, directeur du département Analyse et Prévision de l’OFCE. Car oui, il n’existe pas un mais plusieurs chiffres du chômage : ceux de Pôle emploi mais aussi ceux de l’Insee, calculés selon les règles édictées par le Bureau international du Travail (BIT)". Résultat, selon la méthode choisie, la France compte 2,8 millions (Insee) ou 3,5 millions (Pôle emploi) de chômeurs.

Ces statistiques élaborées par l’Insee à partir d’enquêtes sur un échantillon, et non sur les demandes d’indemnisation, ont plusieurs mérites : publiées tous les trois mois, elles permettent de mieux observer les tendances sur le marché de l’emploi. De plus, elles reposent sur une méthode validée par de nombreux pays et sont donc plus difficilement manipulables et, surtout, elles permettent de comparer le niveau du chômage entre plusieurs Etats.

Les données de l’Insee ont néanmoins aussi leurs limites. Les personnes qui recherchent un emploi mais ne sont pas disponibles sous 15 jours ne sont pas décomptées. De même, les demandeurs d’emploi les plus proches de l’âge de la retraite ne sont pas comptabilisés car leur chance de retrouver un emploi est quasi nulle. Enfin, cette méthode ne tient pas compte du temps partiel contraint et occulte donc tous les travailleurs ayant un petit boulot mais recherchant un emploi à temps plein. "La vision du BIT est sans doute trop restrictive et le nombre de chômeurs est probablement plus élevé en réalité", résume Eric Heyer, avant d’ajouter que, malgré ces limites, le monde de la recherche a clairement tranché en faveur des statistiques de l’Insee.

Vers un indicateur qui englobe tout ? Le rapport de la commission d’enquête sur les chiffres du chômage propose donc de mettre fin aux polémiques en fusionnant ces deux méthodes de décompte. L’idéal serait de reprendre le rythme mensuel de Pôle emploi, mais avec la méthode de calcul de l’Insee. Ce chiffre mensuel serait alors complété par une analyse plus poussée des personnes inscrites en catégorie C et qui se retrouvent donc à la marge entre chômage et petits boulots contraints. Une telle réforme aurait néanmoins un coût, reconnaissent les auteurs du rapport, évoquant une facture qui passerait de 20 à 60 millions d’euros, bien que certains jugent cette estimation exagérée. Dans tous les cas, ce coût serait néanmoins dérisoire au regard des enjeux.