Ce que la justice japonaise reproche vraiment à Carlos Ghosn

L'"affaire" Carlos Ghosn est alimentée quotidiennement par les médias japonais. © Toshifumi KITAMURA / AFP
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avec AFP

Le patron déchu de l’alliance Renault-Nissan est toujours en détention au Japon. Le procureur ne communique que peu d’informations officielles mais la presse en fait ses choux gras.

Voilà désormais une semaine que Carlos Ghosn a été arrêté avec fracas au Japon. Déchu de ses fonctions de président du conseil d’administration de Nissan et Mitsubishi, et écarté temporairement de son poste de PDG de Renault, le dirigeant fait face à de multiples soupçons de malversations mais seul celui de sous-évaluation de ses salaires a pour l’instant été confirmé par le bureau du procureur à Tokyo. Ce qui n’empêche pas les médias nippons de multiplier les révélations officieuses sur un dossier qui reste toujours très mystérieux.

Validation de rapports financiers faussés

Contrairement à ce qui avait été avancé par les médias japonais dans les jours ayant suivi son arrestation, Carlos Ghosn n'est pas soupçonné de fraude fiscale. Les fausses déclarations dont est soupçonné le dirigeant déchu n'ont aucun rapport avec ses revenus déclarés au service japonais des impôts, mais concernent un rapport annuel sur l'état de l'entreprise, appelé "yukashoken hokokusho". Ce document comprend toutes les informations financières de l’entreprise ainsi que la rémunération totale des dirigeants, avec une individualisation au-delà de 100 millions de yens (770.000 euros).

Carlos Ghosn est soupçonné d'avoir certifié, en tant que PDG de Nissan, ces rapports financiers tout en sachant qu'ils comportaient des inexactitudes concernant ses propres revenus. Il les aurait minimisés d'un milliard de yens par an (7,7 millions d'euros) durant cinq années, selon le bureau du procureur, soit la moitié de ses revenus. Si ces soupçons étaient avérés, Carlos Ghosn, qui nierait actuellement les faits, serait alors pénalement responsable. En cas de découverte de manquement à cette législation, la peine est en théorie sévère, car elle peut fausser le jugement des investisseurs. Mais le salaire de Carlos Ghosn n’entre pas directement dans cette catégorie (contrairement aux bénéfices par exemple).

Des abus de biens sociaux à confirmer

Ce soupçon de malversation est par ailleurs le seul ayant conduit à l’arrestation de Carlos Ghosn. Les éventuels abus de biens sociaux dont il est accusé dans la presse ne font pas partie des motifs d'interpellation. Seul jusqu'à présent le PDG de Nissan, Hiroto Saikawa, a mentionné des faits d'abus de biens sociaux "très graves", s'ajoutant aux fausses déclarations. En revanche, il n'a donné aucun exemple concret. Tous les cas précis apparus par la suite ont été dévoilés par les médias japonais. La source n'est jamais mentionnée mais il s'agit probablement de fuites émanant de l'enquête interne conduite par Nissan et transmise à la justice.

D'après les dernières révélations, les revenus non déclarés de Carlos Ghosn proviennent d'une filiale basée aux Pays-Bas. Ces revenus seraient placés et l’ancien président du conseil d’administration ne les auraient pas matériellement encaissés. Il devait les toucher lors de son départ de l'entreprise. Il aurait néanmoins dû faire figurer chaque année dans les documents de Nissan la part correspondante.

Carlos Ghosn aurait par ailleurs eu l'usage exclusif de quatre résidences de luxe dans quatre pays, maisons payées par la même filiale créée en 2010 et dont le but initial était d'investir dans des start-up. Il aurait aussi offert un emploi fictif à sa sœur et payé avec des fonds de Nissan plusieurs voyages en famille. Autant d’informations qui n’ont pas été confirmées par le bureau du procureur.

 

 

 

Vers une détention à rallonge ?

Carlos Ghosn est actuellement en détention sous un régime qui correspond à peu près à la garde à vue française. Il ne s'agit pas de détention provisoire dans la mesure où il n'a pour le moment pas été inculpé. Pour le seul motif d'accusation pour lequel il a été arrêté (dissimulation de revenus), il peut rester en détention 22 jours (sept se sont déjà écoulés). Il séjourne toujours dans la prison de l’arrondissement de Katsushika, à Tokyo.

Si les enquêteurs élargissaient l'enquête aux faits d'abus de biens sociaux dont l'accuse Nissan, Carlos Ghosn pourrait en théorie être de nouveau arrêté et le cycle se répéter plusieurs fois. Dans la pratique cependant, la garde à vue excède rarement trois arrestations, soit une soixantaine de jours. S'il était mis en examen, il pourrait être incarcéré mais aussi libéré sous caution moyennant quelques restrictions de liberté.