APL : comment le gouvernement a amadoué les bailleurs sociaux

Jacques Mézard et Gérald Darmanin ont convaincu des bailleurs de signer un compromis.
Jacques Mézard et Gérald Darmanin ont convaincu des bailleurs de signer un compromis. © LUDOVIC MARIN / AFP
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En court-circuitant les instances officielles, le gouvernement a signé un compromis pour convaincre les bailleurs sociaux de baisser les loyers pour compenser la baisse des APL. Une méthode efficace mais qui dérange.

C’est la fin d’un conflit qui aura duré plus de trois mois. Mercredi, le gouvernement a trouvé un accord avec deux acteurs majeurs du logement social sur le dossier sensible de la baisse des APL, brisant ainsi le front qui s’était construit. La décision de réduire le montant des aides au logement, prise en plein été par Matignon, a d’abord suscité la colère des bénéficiaires, avant d’hérisser le poil des bailleurs, à qui le gouvernement a forcé la main pour qu’ils baissent les loyers en compensation. Après de longues négociations, les différents acteurs sont parvenus à un compromis, qui n’a pourtant rien d’idéal.

1,5 milliard d’euros d’économies. Concrètement, le gouvernement a convaincu la Fédération des entreprises sociales pour l’habitat (ESH, 230 sociétés détenant un parc de 2,15 millions de logements) et l'Union d'économie sociale pour l'accession à la propriété (200.000 logements) du bien-fondé d’un accord, malgré la l’hostilité générale du secteur. L’objectif est de compenser la baisse des APL qui doit générer 1,5 milliard d’euros d’économies pour ne pas pénaliser les locataires. Le compromis trouvé mercredi confirme cet objectif, réalisé à travers deux sources : la baisse des aides au logement et une remontée du taux de TVA.

Baisse des loyers et hausse de la TVA. La baisse des APL étant déjà actée, les bailleurs sociaux ont accepté, pour ne pas pénaliser les locataires, des baisses de loyer de l’ordre de 800 millions d’euros en 2018 et 2019. Dans le même temps, le taux de TVA sur la construction et la rénovation de logements par les bailleurs sociaux va passer de 5,5% à 10%, ce qui devrait rapporter environ 700 millions d’euros supplémentaires à l'État. En revanche, à partir de 2020, c’est la seule baisse des loyers qui devra apporter les 1,5 milliard d’euros d’économies et rien n’indique que le taux de TVA redescendra à 5,5%.

Cette chute des ressources des bailleurs sociaux doit être adoucie par un mécanisme de rééquilibrage en faveur des organismes les plus fragiles, comptant une forte proportion de bénéficiaires de l'APL (54% des locataires des OPH, 47% de ceux des ESH). Le projet de loi sur le logement prévoit aussi d’autres mesures de soutien aux bailleurs sociaux. Ceux-ci pourront financer leurs investissements à moindre coût grâce à l'allongement de la durée de leurs emprunts, à une stabilisation du taux du Livret A (sur lequel sont indexés ces emprunts) et à 6 milliards de nouveaux prêts à taux fixes ou à taux zéro, auprès de la Caisse des dépôts (CDC).

Réforme structurelle à venir. Cet accord n'est que la "première brique d'une réforme structurante, ambitieuse" voulue par le président de la République qui "ne fera pas que des heureux" et s'étalera sur trois ans, a-t-on expliqué à Matignon. "Le gouvernement reste à l'écoute de l'ensemble des acteurs", a ajouté le ministre de la Cohésion des territoires Jacques Mézard dans un communiqué. Cette réforme s’accompagnera d’une réorganisation plus consensuelle, visant à dégager des économies de gestion par fusion et regroupement d'organismes, que détaillera le projet de loi Logement attendu au premier trimestre 2018.

Divergence entre les bailleurs. Malgré tout, ce compromis n’a rien d’idéal. D’abord car il n’engage que ceux qui l’ont signé. La présidente de la fédération des ESH, Valérie Fournier, estime que l'accord "évite le choc industriel". "Nous avons préféré un accord qui nous donne de la visibilité", dit-elle. Pour les deux organismes signataires, ce compromis leur permet de choisir maintenant les termes de l'accord, plutôt que de se voir imposer des mesures peut-être plus restrictives plus tard. Ils apparaissent aussi comme des interlocuteurs constructifs aux yeux du gouvernement.

Mais ni l'autre grande famille de bailleurs sociaux, les offices publics de l'habitat (OPH, 2,4 millions de logements), ni l'Union sociale de l'habitat (USH) qui les réunit, n'ont signé ce texte, paraphé par Jacques Mézard, et le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin. Ils refusent de consentir aux efforts demandés. A l'USH, on déplore cette "divergence" entre bailleurs sociaux, sur "l'opportunité ou pas de signer avec le gouvernement, en plein débat parlementaire". Le gouvernement, qui a peu ou prou reproduit la méthode appliquée pour les ordonnances travail (discuter avec les instances constructives et laisser les autres à l’écart), risque ainsi de se mettre des organismes à dos

Le Sénat mécontent. Au passage, Matignon a aussi réussi à fâcher le Sénat. Mardi a démarré, à l'initiative du président du Sénat Gérard Larcher, une conférence "de consensus" qui doit permettre de trouver "des compromis" sur le projet de loi dont cette réforme du mouvement HLM est "l'un des points principaux", dit-elle. Conférence que le gouvernement a court-circuitée. Ce qui fait dire à la sénatrice (LR) des Alpes-maritimes Dominique Estrosi-Sassone, aussi secrétaire générale de la Fédération nationale des offices publics de l'habitat (OPH), que cet accord "met la charrue avant les bœufs, et c'est une claque envoyée au Sénat".