Maquette : un jeu vidéo de réflexion inventif sur fond de romance émouvante

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"Maquette" est un jeu vidéo de puzzles retors, sorti sur PC, PS4 et PS5 et que l'on croirait né de l'imagination de Christopher Nolan. Avec son concept de "monde dans un monde", il met le cerveau à rude épreuve tout en surprenant le joueur avec une histoire d'amour inattendue. Un coup de cœur pour la rédaction d'Europe 1.

Si vous aimez les jeux vidéo qui retournent le cerveau et obligent à se creuser les méningesMaquette est fait pour vous. Ce jeu indépendant américain, le premier du studio Graceful Decay, est une pépite disponible sur PC, PS4 et PS5. Jeu-concept long de 5-6 heures avec des énigmes en tous genres, il présente de solides arguments pour mettre à l'épreuve les esprits les plus vifs. Mais en plus des casse-têtes complexes, Maquette se distingue grâce à l'histoire d'amour émouvante placée en toile de fond. Une double réussite technique et narrative qui vaut le détour.

Un concept fou de "monde dans un monde"

Le concept de Maquette est celui d'un "monde dans un monde". Après une courte introduction qui permet de comprendre les commandes et de se familiariser avec la vue à la première personne, le joueur est lâché sur une sorte de grande place carrée. De chaque côté, il y a des bâtiments auxquels il faut accéder pour progresser : un château de princesse, des palais arabes, des maisons dans le style de San Francisco, une cabane dans les bois… C’est varié, coloré et assez beau. Au centre de la place, un grand dôme abrite une maquette du monde dans lequel se déroule le jeu. Exactement le même, avec la place, les bâtiments et le dôme, mais en plus petit.

Dans Maquette, qui serait l'équivalent d'un film de Christopher Nolan adapté en jeu vidéo, il faut interagir entre les deux échelles du monde pour résoudre les puzzles. Exemple avec la première énigme : un gros cube bloque l’accès à la maison dans laquelle il faut entrer. En taille réelle, impossible de le bouger mais en allant dans la maquette, le cube n’est pas plus gros qu’un jouet. En le prenant en modèle réduit, on le déplace sans problème, action qui s'applique également au grand cube grand dans le "vrai monde". Trop simple ? Rassurez-vous, le jeu se corse rapidement.

Un jeu indépendant qui a mis 10 ans à éclore

Ce concept original a été inventé par Hanford Leemore, un programmeur américain, il y a plus de dix ans. "Pendant cinq ans, j'ai travaillé seul. Plusieurs fois, j'ai cru que je n'y arriverais jamais. Je savais programmer mais je ne savais pas faire un jeu, j'ai dû apprendre la 3D sur le tas", raconte-t-il à Europe 1. Quand son idée a commencé à prendre forme, il a été mis en contact avec Annapurna Interactive, une société éditrice de jeux vidéo. "On a créé le studio Graceful Decay mais pendant trois ans, il n'y avait que moi et un designer sonore. Quand il a fallu donner vie au jeu, l'équipe s'est étoffée, on était 5-6 personnes. Puis, en fonction des besoins, nous sommes montés jusqu'à 16-17."

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Des renforts bienvenus pour concrétiser l'idée très conceptuelle au cœur de Maquette. "Rien que le 'monde dans un monde' implique des simulations physiques et mathématiques infinies. Théoriquement, vous pouvez transvaser un objet d'un monde à l'autre, dans n'importe quel sens, à l'infini. Si vous regardez bien, dans la maquette, dans le dôme, il y a une version encore plus petite du monde. En fait, on empile un nombre théorique infini de couches. Il fallu bâtir une simulation uniquement pour que cette idée fonctionne, avant même de se préoccuper des puzzles", retrace Hanford Leemore.

Des puzzles c'est bien, une histoire c'est mieux

Un travail qui paye puisque Maquette est très fluide. Les changements d'échelle se font en temps réel et le jeu est coupé uniquement par de courtes cinématiques. On voit le monde évoluer tout au long des sept chapitres tout en gardant une cohérence visuelle remarquable. Au début, c’est étonnamment facile, presque relaxant, avec des énigmes relativement simples et des passages contemplatifs, rythmés par des chansons très enveloppantes (mention spéciale aux morceaux de la chanteuse folk Meredith Edgar). Puis, le jeu se complique. Ici, il faut franchir un pont effondré, là trouver une clé pour ouvrir une porte... Et l'atmosphère se fait plus tendue quand on avance dans l'histoire.

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Car la singularité de Maquette est bien le fait que les puzzles s'intègrent dans une narration. "Je me suis vite rendu compte que le seul concept du 'monde dans monde' n'avait rien à avoir avec un jeu en tant que tel. Donc j'ai commencé à réfléchir à l'histoire qui l'entourerait, aux puzzles, à la musique, etc. C'est un peu comme si un réalisateur avait une super idée de course-poursuite en voiture et construisait tout le film autour de cette idée", explique Hanford Leemore.

Une romance inattendue et des acteurs d'Hollywood

Encore fallait-il trouver la bonne histoire à raconter. "J'ai d'abord pensé à quelque chose de très simple, quelqu'un piégé dans ce monde dans un monde. Mais j'ai trouvé que c'était trop attendu pour ce genre de jeu", se rappelle le créateur de Maquette. Il reprend alors tout à zéro et écrit des histoires à blanc, sans rapport avec le jeu. "Je cherchais quelque chose qui me parlais. Un jour, j'ai écrit une romance. C'était très personnel mais je n'arrivais pas à la connecter aux puzzles. Mais j'ai creusé et je me suis rendu compte que c'était le twist dont Maquette avait besoin. C'était humain, donc inattendu."

Cette histoire, c'est celle de Kenzie et Michael qui se rencontrent dans un café. Elle renverse sa tasse sur le carnet de dessin du pauvre malheureux et la conversation s'engage sur leur passion commune pour les croquis. Petite spécificité : on ne voit jamais les personnages. Ce sont juste des dialogues en voix off déroulés pendant que des dessins se forment à l'écran. Dessins qui constituent la direction artistique du jeu puisque c'est dans le cahier de Michael que naissent les bâtiments qui constituent ensuite les différents niveaux du jeu. "Avec ce cahier, on revisite les souvenirs du couple", précise Hanford Leemore.

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La force de Maquette est d'arriver à insuffler de l'émotion dans une histoire en apparence très banale et racontée sans être vue. Le doublage vocal y est pour beaucoup puisque ce sont deux acteurs hollywoodiens qui prêtent leurs voix à Kenzie et Michael : Bryce Dallas Howard (Le VillageJurassic World...) et Seth Gabel (les séries Fringe et Salem). "On cherchait deux acteurs avec une alchimie réelle. Or, Annapurna Interactive est une filiale d'Annapurna Pictures, qui produit des films. Ils nous ont donc suggéré Bryce et Seth qui sont en couple dans la vie. Ils ont apporté beaucoup d'authenticité aux personnages", se réjouit Hanford Leemore.

Maquette, un jeu marquant et émouvant

De fait, l'histoire d'amour constitue un fil rouge aussi inattendu que bien exploité. D'abord idyllique, elle bascule irrémédiablement vers la routine et le précipice. Chaque puzzle débloque une nouvelle étape de la relation, une construction enchevêtrée qui a du sens. Chaque chapitre augmente la complexité des énigmes comme pour signifier la difficulté à maintenir la simplicité des premiers jours. Un "double jeu" qui tient la route de bout en bout. De nouvelles mécaniques de jeu sont introduites régulièrement, qu'il s'agisse de faire passer des objets d’un monde à l’autre pour changer leur taille ou bien de changer soi-même d'échelle.

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Maquette est le genre de jeu qui fait des nœuds au cerveau. D'autant qu'il n’y a pas d’aide, il faut se débrouiller seul. Ce n'est pas toujours intuitif donc d'autant plus satisfaisant quand on arrive à résoudre un puzzle. Le résultat est une réussite presque parfaite. Loin d'être un jeu de réflexion assez banal, Maquette marque durablement par sa créativité, son histoire d’amour pas vraiment joyeuse mais d’une grande justesse, et son univers visuel si particulier.