Lars von Trier et le Festival de Cannes : je t'aime... moi non plus

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Lars Von Trier, au Festival de Cannes en 2011. © AFP
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Guillaume Perrodeau
"Persona non grata" pendant sept ans, le cinéaste danois est de retour en sélection officielle sur la Croisette, pour l'édition 2018.

Lars von Trier a tout connu au Festival de Cannes. L'éclosion, le sacre puis la disgrâce. Avant la polémique de 2011, dix de ses onze films avaient été projetés à Cannes. Le cinéaste y a glané au passage une Palme d'or, deux Grand prix du jury et trois prix d'interprétation féminine.

"Gilles Jacob s'occupe bien de moi". En 1984, au milieu des Marco Bellocchio, Wim Wenders et autre Werner Herzog, un jeune cinéaste s'invite dans la compétition officielle du Festival de Cannes. Lars von Trier, 28 ans, présente son premier long-métrage, Element of Crime. Le début d'une trilogie sur l'Europe, pour lequel le cinéaste reçoit le Grand Prix de la commission supérieure technique.

Immédiatement, le cinéaste impose sa patte et se fait remarquer grâce à son ton. À l'époque, Les Inrockuptibles, sous la plume de Vincent Ostria, évoque "un exercice de style brillant et inspiré (...) mais assez toc", "un film malsain en noir et glauque" dans lequel le réalisateur apparaît déjà comme "un potache (...) qui n'a rien à dire". Talent pour filmer, provocation, malaise : la critique de l'hebdomadaire résume déjà les adjectifs qui colleront à Lars von Trier toute sa carrière. Génie pour certains, petit usurpateur pour d'autres, Lars von Trier se fait en tout cas un nom et une place.

En 1991, il remporte de nouveau le Grand Prix de la commission supérieure technique, mais également le Prix du Jury, avec son troisième film Europa. En 1996, il gagne le Grand Prix du jury pour son drame amoureux Breaking The Waves, qui sonne comme une répétition générale. Car quatre ans plus tard, c'est la reconnaissance ultime. Dancer in the Dark est sacré Palme d'or du 53ème Festival de Cannes et Björk, actrice principale, obtient le prix d'interprétation féminine. Unanimité sur la Croisette face au drame musical du Danois. Sur la scène du Palais des Festivals, au moment de recevoir la Palme d'or, Lars von Trier a un mot pour Gilles Jacob, alors délégué général du festival depuis 1978. "C'est la sixième fois que je viens ici. C'est peut-être un caprice de Gilles Jacob qui s'occupe bien de moi".

La polémique Hitler. Pendant seize ans, le cinéaste et le plus grand festival du monde vont construire une belle histoire. Mais tout s'assombrit un après-midi de mai 2011. Son film Melancholia séduit les festivaliers et est annoncé par la presse comme un des grands favoris pour la Palme d'or. Lors de la conférence de presse, le cinéaste est interrogé au sujet de récentes déclarations dans lesquelles il confiait son goût pour l'esthétique nazie et l'architecte allemand Albert Speer. Le cinéaste se lance alors dans un long monologue très maladroit. Monologue dans lequel il déclare notamment "je comprends Hitler", "j'ai un peu d’empathie pour lui", avant de conclure - pensant détendre l'atmosphère - par "OK, je suis un nazi".

Tollé sur la Croisette, malgré les excuses du Danois et un communiqué du Festival de Cannes rappelant le goût de la provocation du réalisateur. Finalement, le lendemain, face à la pression médiatique, le conseil d'administration du festival se réunit en séance extraordinaire et déclare Lars von Trier "persona non grata". Melancholia, lui, n'est pas retiré de la compétition. Kirsten Dunst remportera d'ailleurs le prix d'interprétation féminine quelques jours plus tard. Mais le mal est fait.

Sept ans d'exil. Lars von Trier bouté de Cannes, c'est un peu un fils chassé en dehors du domicile familial. Sur la Croisette, le Danois avait pu cultiver son goût pour la provocation, tranquillement installé en compétition officielle lors de chaque nouvelle oeuvre. Désormais, il doit faire sans Cannes. Nymphomaniac, son film sur une femme nymphomane, est présenté au Festival de Berlin - pour la partie I - et à la Mostra de Venise - pour la partie II - en 2014. Officiellement, à l'époque, pas de malaise entre les organisateurs et le réalisateur, seulement une question de timing.

Il a donc fallu un nouveau projet, The House that Jack Built, pour voir Lars von Trier faire son retour sur la Croisette, mais hors compétition. "Il a fait une série de plaisanteries sur un sujet sur lequel on ne peut pas plaisanter. Pierre Lescure a jugé que sa punition avait assez duré", a justifié Thierry Frémaux, délégué général du festival, lors d'une conférence de presse mardi. Beaucoup attendent de voir l'attitude du cinéaste lors de ce retour, avec un long-métrage qui s'intéresse au parcours d'un tueur en série. Le début d'une nouvelle idylle entre Lars von Trier et Cannes ?