Une histoire de l’antisémitisme : ce qui se joue dès l'Antiquité

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Nathan Laporte , modifié à
DECRYPTAGE - Les origines de l’antisémitisme remontent à l’Antiquité, où l’on parle alors d’antijudaïsme. François Lefèvre, professeur d’histoire grec à l’université Sorbonne Paris, décrypte dans le podcast "Au Cœur de l’Histoire" cette vision propre à l’Antiquité qui permet de comprendre ce que deviendra ensuite l’antisémitisme.
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Depuis l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre contre l’État d'Israël, les actes antisémites se sont multipliés partout dans le monde. Mais cette violence déployée contre les Juifs n’a rien de nouveau et trouve ses origines dans l’Antiquité. Avant l’antisémitisme, concept moderne, on parle d’antijudaïsme. "L’antisémitisme suppose une notion de race que les Grecs et les Romains n’avaient pas formulée", clarifie François Lefèvre, professeur d’histoire grecque à l’université Sorbonne Paris auteur d’"Histoire du monde grec antique" (éditions Poche), invité "d’Au Cœur de l’Histoire".

"En revanche, les Grecs et les Romains associent très précocement les Juifs à leur religion et vont donc raisonner sur des termes culturels", ajoute François Lefèvre.

Remontons le fil de l’Histoire : en 459 avant Jésus-Christ, le scribe juif Esdras conduit 5.000 de ses coreligionnaires de Babylone à Jérusalem, en Judée. "Il promulgue le respect impérieux de la Torah avec la loi mosaïque, c'est-à-dire les commandements de Moïse, notamment le plus important d'entre eux : le fait de ne pas se mélanger", précise l'historien au micro de Virginie Girod dans "Au Coeur de l'Histoire".

Un monde juif bousculé

Ce monde juif subit cependant plusieurs invasions. L’équilibre régional est d’abord bousculé par les conquêtes macédoniennes d’Alexandre le Grand. La Judée passe ensuite sous le contrôle des Lagides, puis les Séleucides. Mais les Juifs ont alors un "statut très favorable : Antiochos III promulgue la charte de Jérusalem qui garantit la liberté "d’être juif". Ils ont également des exemptions fiscales, des dons…", détaille François Lefèvre.

Après une brève période d’indépendance durant laquelle les Juifs disposent pour la première fois d’un État indépendant, la Judée passe sous domination romaine après la conquête de Jérusalem par Pompée en -63. Les bonnes relations de l’élite juive avec des personnages-clés à Rome, comme César ou Auguste, permettent de conserver des privilèges.

Une assimilation difficile au monde grec

La montée de l’antijudaïsme, c'est-à-dire "le rejet de l’observance de la religion juive", doit en fait se comprendre en lien avec "l’assimilation ou non" au monde grec puis romain, souligne François Lefèvre. Au IV - IIIe siècle av. J.-C, l’historien et philosophe grec Hécatée d’Abdère décrit ainsi les Juifs comme des "misanthropes". "Ils sont à part. C'est l'idée de la marginalité qui émerge", retrace François Lefèvre.

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"Ce qui choque, c'est le fait de ne pas se mélanger et le fait de ne pas reconnaître les dieux de la communauté. Or on touche le point le plus sensible de la religion des Grecs et des Romains. C’est une religion collective, il faut que la communauté soit unie pour se mettre en règle avec les dieux", décrypte François Lefèvre dans Au Coeur de l'Histoire.

Le premier "pogrom" connu de l’Histoire

C’est en l’an 38 à Alexandrie qu’a lieu le premier "pogrom", pu crime de masse antijuif, connu de l’Histoire. La visite d’Agrippa, le nouveau roi de Judée, attise la rancœur des Grecs et des Egyptiens, qui massacrent les Juifs de la ville. Les graines de la violence ont été semées longtemps auparavant, par les écrits du philosophe grec Posidonios d'Apamée par exemple. Dans cette littérature antijudaïque, "c'est l'image du Juif idolâtre comploteur qui apparaît, et que l’on retrouve chez Cicéron", explique François Lefèvre.

L’histoire du judaïsme connaît un autre tournant lors de la "Grande révolte". En 66, après plusieurs années de tensions avec le pouvoir romain, les Juifs de Judée se soulèvent contre l’occupant. En représailles, le temple de Jérusalem est détruit par Titus. "La conséquence la plus importante de cette révolte, c'est la mesure que l’empereur Vespasien prend à la fin. Il instaure un impôt spécial, le fiscus iudaicus. C’est une étoile jaune fiscale en quelque sorte", souligne François Lefèvre pour "Au Cœur de l'Histoire". Mesure discriminatoire, elle vise à punir les Juifs vaincus pour leur insurrection.

La montée du christianisme

La naissance du christianisme achève de marginaliser le judaïsme. Cependant, l’image de juifs "déicides" ayant ordonné la crucifixion du Christ, "c’est une construction qui viendra plus tard, parce que les chrétiens ont du mal à exister par eux-mêmes, les gens ne font pas la différence entre les premiers chrétiens et les Juifs" tempère François Lefèvre. Pour se distinguer, Saint-Augustin fait ainsi des Juifs un peuple témoin. "Ils ont le droit d’exister mais dans une position inférieure, à titre d’archiviste des débuts du christianisme".

Au fur et à mesure que progresse le christianisme, qui culmine avec la conversion de l’empereur Constantin en 313, la situation des Juifs se dégrade. Les mesures discriminatoires envers les Juifs se multiplient, et sont formalisées par l’empereur Théodose II en 438. "On interdit aux Juifs d'avoir des esclaves chrétiens, de construire de nouvelles synagogues, d’exercer un certain nombre de professions", détaille François Lefèvre.

"L'antijudaïsme antique nous invite à réfléchir à différentes choses qui apparaissent à cette époque", résume-t-il. "Tout d'abord, les Juifs sont l'image de la différence, de l’altérité. Et c’est la grande entrée dans l'Histoire de la notion de minorité, de l'idée qu'elle ne peut pas exister si elle n'est pas protégée".