La singulière histoire du général Jules Bergeret, le communard qui a brûlé les Tuileries

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Stéphane Bern raconte la vie de Jules Bergeret © Tableau de Jean Duplessis-Bertaux (domaine public) / Photographe inconnu (domaine public)
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Stéphane Bern, édité par Alexis Patri
Dans un numéro de l'émission "Historiquement vôtre" consacré à "ceux qui ont allumé le feu", Stéphane Bern fait le récit de la vie de Jules Bergeret, le général de la Commune de Paris qui a ordonné que le palais des Tuileries soit réduit en cendres. La Commune de Paris est au cœur du nouveau numéro du "Figaro Histoire", publié en partenariat avec Europe 1.

Formidable laboratoire social pour les uns, guerre civile criminelle pour d'autres. 150 ans après avoir mis Paris à feu et à sang, la Commune continue de faire parler. Parmi ceux qui ont monté les barricades et mené la lutte pour l'autonomie de la capitale, on trouve le général Jules Bergeret, artisan de la destruction de l'un des plus célèbres monuments parisiens. Nous sommes le soir du 23 mai 1871. Un groupe d'hommes satisfaits profitent depuis le Louvre d'un spectacle dont ils sont les auteurs : le gigantesque incendie du palais des Tuileries. Un spectacle que l'un d’entre eux trouve "sublime", selon ses propres mots.

Cet homme, c’est Jules Bergeret, général de la Commune. Un général bien singulier. Un peu plus tôt dans la soirée, l'homme a, avec ses comparses Etienne Boudin et Victor Bénot, méticuleusement mis le feu à ce symbole de la monarchie. Trois jours durant, la demeure historique des rois de France va brûler. Il faut dire qu'ils n'y sont pas allés de main morte : cinq chariots remplis de tonnelets de poudre, de barils de pétrole et de goudron liquide ont été utilisés.

"Les derniers vestiges de la royauté viennent de disparaître"

Cet acte destructeur sur les Tuileries vaudra bientôt à Jules Bergeret une condamnation à mort. Mais pour l'heure, il ne s'en soucie guère. Avec ses camarades, il fête la réussite du brasier autour d'un faste buffet de terrines froides et de volailles en gelée. Le vin de Bourgogne coule à flots. Une boîte de cigares passe de main en main. Exalté par l'ambiance, Jules Bergeret couche sur le papier ces quelques mots : "Les derniers vestiges de la royauté viennent de disparaître ; je désire qu'il en soit de même de tous les monuments de Paris." 

Ce ne fut pas le cas. La nuit de l’incendie, le camp de Bergeret a en réalité déjà perdu et le soulèvement populaire de la Commune de Paris vit ses derniers jours. Nous sommes en pleine "semaine sanglante", l'épisode final de l'insurrection parisienne d'extrême gauche qui dure depuis deux mois.

Pour comprendre le rôle de Jules Bergeret dans le déroulé des évènements, remontons quelques semaines en arrière. Depuis le 18 mars 1871, la capitale vit une période de grande agitation. Les Parisiens, éprouvés par la guerre contre la Prusse et par le siège de la ville, se sont soulevés contre le gouvernement d'Adolphe Thiers nouvellement constitué par l'Assemblée nationale.

Les habitants l'ont chassé de la ville et ont institué à la place un nouveau gouvernement libertaire, basé sur la démocratie directe. C'est la Commune de Paris. Mais le gouvernement de Thiers ne laisse pas faire. Depuis Versailles, où il a fui, l'ancien chef de gouvernement mène plusieurs attaques contre les insurgés. C'est la guerre entre Communards et Versaillais. Et ce sont ces derniers qui vont être victorieux, à la suite d'une véritable guerre civile.

Une politisation par le travail

De son côté, rien ne prédestinait au départ Jules Bergeret à se faire happer par les turbulences de l'histoire. Sa vie jusqu'à ses 40 ans se résume d'ailleurs assez vite. Issu d'une famille riche, c'est un enfant des Hautes-Alpes. À 20 ans, en 1850, il rejoint l'armée impériale où il est commis aux écritures dans le 1er régiment des voltigeurs de la Garde impériale. Il déserte en 1864.

Il devient alors garçon d'écurie et vend un temps des bibles sur les chemins. C'est ensuite dans le monde des livres qu'il s'engage en devenant correcteur d'imprimerie, puis ouvrier typographe. C'est là que l'on trouve les premières traces d'un engagement politique. Il faut savoir que les typographes de l'époque sont très politisés.

Ils sont quasiment les seuls du prolétariat à savoir lire. Et sont donc très courtisés des mouvements politiques. C'est dans ce contexte que Bergeret s'engage dans l'Internationale socialiste. Et c'est à ce moment-là que surviennent les événements historiques qui vont bouleverser sa vie. À la suite de la capitulation de Sedan et de la capture de Napoléon III, l'armée prussienne pose en septembre 1870 un siège devant Paris.

Cet épisode ramène Jules Bergeret à des fonctions militaires. Il participe à la défense de Paris au sein de l'Etat major de la Garde nationale et s'installe place Vendôme pour diriger les services militaires. Lorsque le siège de Paris prend fin en janvier 1871, Bergeret et le reste de la Garde Nationale parisienne ne veulent pas désarmer. Comme beaucoup de Parisiens éprouvés, il refuse de reconnaître la victoire de la Prusse.

Un soldat de papier, pas un homme du feu

Le 18 mars, le jour du début du soulèvement de la Commune, le gouvernement de Thiers tente de désarmer la Garde Nationale. Et Jules Bergeret est aux premières loges. C'est même lui qui, dit-on, encourage la foule à empêcher les troupes de s'emparer des canons de la butte Montmartre.

Pour cette intervention, Jules Bergeret devient l'une des figures de proue des communards. Il va alors endosser un rôle important dans le nouvel ordre parisien. Il est élu, quelques jours plus tard, au Conseil de Commune, puis désigné commandant de la place de Paris. Mais cela va coûter cher à l'insurrection parisienne, comme l'explique Nicolas Chaudun dans son livre Le brasier : Le Louvre incendié par la Commune. Bergeret n'est pas l'homme de la situation. C'est un soldat de papier, pas un homme du feu. En outre, il n'a jamais occupé de poste de commandement. Et cela va vite se voir.

Le 3 avril, en réponse à une offensive sur Paris des Versaillais, la Garde Nationale riposte. Jules Bergeret est à la tête des troupes. Mais l'offensive est un échec cuisant et les pertes sont lourdes du côté des Communards. Le général Bergeret est alors destitué. Pire encore, il est arrêté et incarcéré, et fait face à plusieurs chefs d'accusation.

On lui reproche l'offensive désastreuse contre Versailles, mais aussi d'avoir fomenté des troubles au moment de sa destitution. On l'accuse aussi d'avoir abusé d'un confort "réactionnaire et monarchique". Durant l’assaut sur Versailles, Jules Bergeret n'était pas à cheval mais en calèche. Il faut dire que le général destitué... ne sait pas monter à cheval.

Mort en anonyme… à New-York

Jules Bergeret garde toutefois quelques alliés dans le gouvernement de Paris. À partir de la fin du mois d'avril, il réintègre les hauts rangs de la Commune. Mais celle-ci est en déroute. Les Fédérés, l'autre nom des Communards, vont de défaite en défaite. Le 21 mai, les Versaillais entrent dans Paris. Ils sont 130.000. Les Communards, eux, ne sont que quelques dizaines de milliers. La fameuse "semaine sanglante" débute.

C’est dans ce contexte qu'intervient l'incendie du palais des Tuileries par Jules Bergeret et ses acolytes. Dans Paris, c'est la panique. Jules Bergeret veut réagir. Et il va faire la même chose que beaucoup d'autres Communards cette nuit-là : brûler Paris. Mais en allumant ce gigantesque incendie aux Tuileries, il ne fait qu'empirer les choses, marquant ainsi un tournant pour le pire. On estime entre 8.000 et 12.000 le nombre de Communards qui ont péri durant la semaine sanglante.

Contre toutes attentes, et malgré une condamnation à mort par le conseil de guerre, Jules Bergeret parvient par la suite à s'échapper de Paris. On dit même que c'est Adolphe Thiers lui-même qui lui procura un passeport pour Londres. Dans la capitale britannique, le général continuera quelque temps son combat politique, avec la publication d'un journal intitulé Le 18 mars. Seulement trois numéros verront le jour. Puis on perd presque sa trace. On sait simplement qu'il finira veilleur de nuit à New-York, où il mourra dans le dénuement le plus total en 1905.