INTERVIEW - Esmée (The Voice) atteinte du syndrome de Gilles de La Tourette : «La musique m’a sauvé la vie»

Esmée
Esmée s'apprête à sortir son premier album en collaboration avec de nombreux artistes
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Solène Delinger
Son nom ne vous dit peut-être rien... A 22 ans, Esmée fait pourtant partie des chanteuses les plus prometteuses de sa génération. Après un passage très remarqué dans "The Voice" l'an dernier, la jeune femme a signé chez le label de musique "Play Two". Elle sortira bientôt son premier album sur lequel ont travaillé de nombreux artistes, notamment Hoshi et Yodelice. Une véritable revanche sur la vie pour Esmée, atteinte du syndrome de Gilles de la Tourette et harcelée pendant toute sa scolarité. Pour Europe1.fr, la chanteuse se confie sur son histoire, celle d'une jeune fille qui s'est battue pour réaliser son rêve. Interview. 

Il y a six ans, Esmée souffrait en silence... Atteinte du syndrome de Gilles de la Tourette, qui provoque notamment des tics au niveau du visage, l'adolescente était moquée, insultée, et humiliée par ses camarades de lycée. A la maison, ses parents la soutenaient mais Esmée se détestait. Seule la musique l'apaisait : quand elle chantait, ses tics disparaissaient comme par magie. Alors, la jeune femme s'est accrochée et sa combativité a payé : l'an dernier, Esmée a été sélectionnée pour participer aux auditions à l'aveugle de The Voice. Coachée par Zazie, la chanteuse a pris confiance en elle et s'est fait remarquer. Elle prépare aujourd'hui son tout premier album. Interview. 

Vous avez seulement 22 ans et vous enregistrez déjà votre premier album... Comment vous sentez-vous ? 

Hyper heureuse et excitée ! J'avais déjà fait des enregistrements quand j'avais 18 ans, mais c'était juste pour le fun. Là, on a commencé à enregistrer mon premier single Memento en juin dernier, puis tout s'est enchaîné ! Je suis toujours en studios en ce moment, à Biarritz, pour la préparation de l'album. Et c'est vraiment génial parce que je collabore avec plein d'artistes, notamment Yodelice, Kyo, Boulevards des Airs, mais aussi Hoshi, qui a écrit Memento

Comment vous êtes-vous rencontrées avec Hoshi ?

Toutes les collaborations sur mon album partent de mon producteur Freddo Pau. Ce mec a complètement changé ma vie ! Il m'a pris sous son aile et m'a fait rencontrer plein d'artistes. Un jour, il m'a proposé de dîner avec Hoshi, dont je suis absolument fan. Le coup de coeur a été immédiat : on s'est parlées de nos vies pendant des heures, c'était une vraie séance de psy ! Je lui ai notamment raconté l'histoire de ma meilleure amie, qui a perdu son copain dans un accident de scooter. Hoshi était bouleversée, elle est rentrée chez elle après notre dîner et elle a écrit Memento. Et elle a vraiment réussi à retranscrire les mots de ma meilleure amie dans cette chanson. 

Comment a-t-elle réagi en écoutant Memento pour la première fois ?

Elle a pleuré comme un bébé parce qu'elle était évidemment très touchée. Et elle a pleuré encore plus quand elle découvert le clip de la chanson. 

Pourquoi avoir choisi Memento comme premier single ?

Ce titre est assez représentatif de l'album. Le thème est certes difficile mais c'est une chanson qui bouge, avec des sonorités pop. On n'est pas sur un piano-voix larmoyant. Et c'est la seule consigne que j'ai donnée à mon équipe pour cet album : ne pas faire pleurer dans les chaumières !  

Vous collaborez avec de très grands artistes... Est-ce que ça vous met la pression ? 

Mes parents m'ont appris à considérer tout le monde de la même manière. Je parle avec eux comme si je parlais à mon boulanger, je ne fais pas de différence. Et tout s'est toujours très bien passé. J'ai rencontré ces artistes avant l'écriture des chansons, pour voir si ça matchait. Il n'y en a pas un seul avec qui le courant n'est pas passé ! 

Lequel d'entre eux vous a le plus marquée ?

Je ne pourrais pas en choisir un. Ils m'ont tous permis de me lâcher et d'évoluer, et ils m'ont aussi conseillée quand on était en studio. J'ai une relation différente mais unique avec chacun d'entre eux. Par exemple, Hoshi me considère comme sa petite soeur et Yodelice est papa donc je suis sa petite protégée. 

Vous avez participé à The Voice l’année dernière et vous avez ému les coachs avec votre reprise de Ne me jugez pas de Camille Lellouche. Pourquoi avoir choisi cette chanson ? 

Ce n'est pas moi qui l'ai choisie ! Je devais initialement chanter I love you de Billie Eilish, donc rien à voir du tout. Les équipes de The Voice m'ont entendue chanter en français sur les réseaux sociaux et m'ont rappelée pour des prises de tonalité. Ils m'ont ensuite proposé plusieurs chansons dont Ne me jugez pas de Camille Lellouche. Et ça a été une évidence, j'ai tout de suite su qu'il fallait que je chante ce titre-là. 

Pourquoi ? 

Je suis atteinte du syndrome de Gilles de la Tourette et je l'ai enfin accepté. J'ai fait la paix avec toute l'entièreté de mon être. Cette chanson était parfaite pour mettre un point final à mon passé assez tumultueux. Je ne voulais plus être la petite fille qu'on juge et qui est touchée par le jugement des autres. Aujourd'hui, je n'en ai plus rien à faire ! 

Comment avez-vous fait pour vous détacher du regard des autres ? 

Ça a été extrêmement long mais j'ai réussi à me détacher de tout ça quand j'ai compris que les gens qui jugent, insultent et critiquent, sont souvent très malheureux. Mais je suis passée par tellement de choses douloureuses... 

Vous étiez la cible de moqueries à cause de votre maladie ? 

J'ai été victime de harcèlement scolaire dès l'âge de 7 ans et ça a duré jusqu'au lycée... Les élèves se moquaient de moi et de mes tics, ils m'imitaient et m'insultaient. En primaire, je passais mes journées toute seule. Au collège, les garçons faisaient des paris pour me faire croire qu'ils voulaient sortir avec moi. Honnêtement, je ne leur en veux pas. En revanche, certains profs m'ont également humiliée et ont participé au harcèlement. Et ils n'avaient aucune excuse car ils savaient que j'étais malade. Une directrice m'a même déjà dit : "C'est de ta faute, tu n'as qu'à te faire soigner !" Alors que cette maladie ne se soigne pas. 

En avez-vous parlé à vos parents ? 

Je n'avais pas besoin de leur dire. Ils le voyaient sur mon visage. S'ils n'avaient pas été là, je serais morte. Je n'aurais pas pu tenir car c'était un enfer à l'école. La maison était le seul endroit où je me sentais bien. 

Avez-vous déjà pensé au pire ?

J'ai fait deux tentatives de suicide à l'âge de 16 ans. J'étais au bout du rouleau à cause du harcèlement mais aussi à cause des médicaments que je prenais et dont les effets secondaires étaient très forts : je dormais tout le temps, j'avais pris du poids, je me détestais physiquement et mes notes étaient en chute libre. J'ai vu un psychiatre qui m'a mise sous antidépresseurs et anxiolytiques. Je suis devenue un légume. Je ne savais même plus pourquoi j'allais mal. J'avais une colère folle en moi. A un moment, je me suis sentie vide et je me disais que mourir était la seule solution car j'allais enfin être apaisée. 

Comment vous en êtes-vous sortie ? 

Après ma deuxième tentative de suicide, j'ai passé une semaine en psychiatrie. Mon père m'a dit : "Tu as deux solutions : soit tu continues de t'apitoyer sur ton sort, ce qui est le chemin le plus facile, soit tu es vraiment forte et tu te bats pour t'aimer et t'accepter". Je l'ai mal pris au début puis j'ai eu un déclic : je me suis regardée dans le miroir, je me suis mis une énorme gifle et je me suis dit que j'allais enfin m'aimer et m'accepter. Une force en moi s'est réveillée, c'était certainement mon instinct de survie. Dès le lendemain, j'allais mieux et j'ai arrêté de prendre des médicaments. Au lycée, je ne me laissais plus faire quand on me harcelait. 

C'est à partir de ce moment-là que vous avez commencé à chanter ?

Non, j'ai commencé à chanter quand j'étais petite. Je m'enfermais dans ma chambre et c'était formidable parce que c'était le seul moment où je n'avais plus de tics. Ça apaisait mon corps, ça me soulageait. La musique m'a sauvée. C'est le meilleur médicament que j'ai eu. Je me suis vraiment accrochée à ça. 

Mais à l'époque, vous ne rêviez pas de devenir chanteuse ?

Si mais je ne me l'étais pas avouée... Quand j'étais en dépression, je me disais que je ne pourrais jamais en faire mon métier. Après mon déclic, j'ai dit à mes parents que je chantais et que c'était vraiment ce que je voulais faire. Ils m'ont tout de suite pris des cours de chant et acheté un piano. Puis tout s'est enchaîné quelques années plus tard grâce à The Voice. 

Vous êtes partie dans l'équipe de Zazie. Comment s'est passé le coaching avec elle ? 

C'était génial ! Zazie est tellement gentille, humaine, bienveillante. Elle me disait de ne pas avoir peur d'être moi-même et de ne pas m'excuser d'être là. J'ai finalement été éliminée aux battles mais je le sentais car j'étais face à Max, qui avait une énorme voix et beaucoup de technique. 

The Voice vous a malgré tout ouvert de nombreuses portes... 

Oui et je n'ai aucun regret. J'ai hâte que l'album sorte car je veux porter un message d'espoir. Je veux aider les gens avec ma musique et leur montrer que si je m'en suis sortie, tout le monde peut s'en sortir !