Goncourt : les raisons d'un succès

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Romain David
Invité d'Europe 1, François Busnel, le présentateur de La Grande Librairie sur France 5, évoque les dessous du plus célèbre prix littéraire de France.
LE TOUR DE LA QUESTION

Un roman qui porte autour de sa couverture ce précieux bandeau rouge s'écoule en moyenne à 400.000 exemplaires. Le prix Goncourt, décerné chaque année en novembre, passe pour le Saint Graal des écrivains français. "Le plus prestigieux prix dans le monde est le Nobel de littérature. Mais après, c'est le prix Goncourt, qui est connu et apprécié dans beaucoup de pays", se félicitait au micro d'Europe 1, en 2017, son président Bernard Pivot.

Décerné en 115 ans d'existence à quelques-uns des Himalayas de la littérature française, comme À l'ombre des jeunes filles en fleurs de Proust, La Condition humaine de Malraux ou encore Les Racines du Ciel de Romain Gary, le Goncourt a gagné une réputation d'élitisme. Et pourtant, "il est destiné aux gens qui lisent peu", soutient François Busnel. Invité de Wendy Bouchard dans Le Tour de la question sur Europe 1, le présentateur de La Grande Librairie sur France 5 décortique les raisons qui confèrent au prix Goncourt, plus que centenaire, une notoriété jamais démentie.

>> De 9h à 11h, on fait le tour de la question avec Wendy Bouchard. Retrouvez le replay de l'émission ici

Un livre pour tous les publics ? 

Imaginé en 1884 par Edmond de Goncourt dans son testament, le prix prévoyait alors l'attribution d'une récompense annuelle de 5.000 francs par un jury, à un ouvrage d'imagination. Il fut décerné pour la première fois en 1903 à John-Antoine Nau pour Force ennemie. "Pendant très longtemps, le Goncourt a été le livre qui trônait dans tous les salons de France, notamment dans les régions", rappelle François Busnel. "Il faut reconnaître au Goncourt une vertu, pour moi la plus importante : c'est un marchepied qui permet à des gens qui lisent peu […] de commencer par quelque chose dont on se dit : 's'il a été choisi par ce jury, il a été choisi pour moi, pour tout le monde'."

La bandeau du Goncourt fait ainsi office de balise au milieu des 400 romans français publiés chaque années - près de 700 livres si l'on compte les essais -, et constitue un repère, le garant d'une lecture où les qualités esthétiques le disputent aussi à l'agréable. "Il y a à la fois de la qualité, et le fait que l'on puisse se plonger dedans facilement. Ça ne veut pas dire que c'est négligeable, mais que l'auteur a eu l'élégance de penser à son public, et pas seulement à son nombril et à la postérité", relève encore François Busnel.

Une tendance à l'universel qui, paradoxalement, se nourrit de la grande diversité des profils qui forment actuellement les dix membres de l'Académie Goncourt. "Ils ne sont pas objectifs, ils ne prétendent pas l'être. Je crois d'ailleurs qu'il n'y a pas plus différent que Bernard Pivot, Pierre Assouline, Françoise Chandernagor ou d'autres.", commente encore le présentateur. Et d'ironiser : "Vous pensez bien que Virginie Despentes, qui a écrit King Kong Théorie et Baise-moi, n'a pas les mêmes choix qu'Éric-Emmanuel Schmitt…"

Un prix sous influence ?

La place prépondérante, parmi les lauréats, des mêmes maisons d'édition, a un temps valu au Goncourt la réputation d'être un prix sous influence. "Certains jurés pensent que les éditeurs doivent leur faire du rentre-dedans ou de la danse du ventre", concède François Busnel. "Il y a eu une époque où tout se faisait avec beaucoup d'arrangements. Les éditeurs avaient eux-mêmes des jurés salariés dans leur maison d'édition. C'est une époque révolue. Depuis l'arrivée de Bernard Pivot (devenu président de l'Académie Goncourt en janvier 2014, à la suite d'Edmonde de Charles-Roux,ndlr), c'est terminé ! Ce genre de pratique n'a plus court", assure-t-il.

Cette concentration polémique entre un nombre très faible de maisons d'édition s'explique aussi par la domination d'une poignée de sociétés dans l'univers éditorial français. "Certains grands éditeurs sont plus avantagés que d'autres parce qu'un écrivain, spontanément, va se diriger vers un grand éditeur plutôt qu'un petit éditeur", analyse Yann Queffélec, également invité du Tour de la question sur Europe 1, et lauréat du Goncourt 1985 pour Les Noces barbares chez Gallimard. L'attribution en 1984 du prix à L'Amant de Marguerite Duras, publié aux éditions de Minuit, ou encore en 2004 au Soleil des Scortas, par Laurent Gaudé chez Actes Sud, a notamment contribué à bousculer la triade Gallimard-Grasset-Seuil.