Ellen Pompeo, méconnaissable en mère abusive dans «Good American Family» : «J’ai dû me convaincre que ce qu’elle faisait était juste»

La star de "Grey's Anatomy" quitte les couloirs de l’hôpital pour incarner Kristine Barnett dans "Good American Family", son tout premier rôle depuis qu’elle a été révélée par la série médicale, il y a 20 ans. De passage à Paris à la fin du mois de mars, elle nous a parlé avec force et conviction de ce nouveau projet qui marque un tournant dans sa carrière.
Il fallait que le projet en vaille la peine pour qu'Ellen Pompeo se frotte, pour la toute première fois depuis 20 ans, à un autre rôle que celui de Meredith dans Grey's Anatomy. À 55 ans, l'actrice s'est sentie prête à faire le grand saut pour la série Good American Family, thriller haletant inspiré de faits réels, diffusé depuis mars aux États-Unis et à partir de ce mercredi 16 avril sur Disney +.
Dans cette mini-série de huit épisodes, Ellen Pompeo troque les blouses blanches de Meredith pour la garde-robe impeccable de Kristine Barnett, une maman modèle qui se métamorphose après l'arrivée dans son foyer de Natalia Grace, une orpheline ukrainienne de sept ans atteinte d'une rare forme de nanisme, adoptée avec son mari Michael. Douce et aimante avec ses trois fils biologiques, Kristine va rapidement prendre en grippe la fillette, qu’elle trouve étrange. Elle commence à douter de son âge et se persuade qu’elle est une adulte déguisée en enfant. Ses doutes l’amènent à un point de non-retour, atteint à la fin du quatrième épisode, qui fait basculer la série dans une toute autre dimension… et une autre narration, celle de Natalia.
Déjà racontée dans un documentaire jugé "sensationnaliste" par Ellen Pompeo, l’histoire de cette orpheline, qui a passionné les Américains, est ici revisitée à travers plusieurs points de vue. Une approche plus nuancée qui a convaincu l'actrice de s'impliquer en tant qu'actrice et co-productrice. De passage à Paris fin mars, elle nous a expliqué comment elle s'est glissée dans la peau de Kristine, une mère inquiétante, aux antipodes de la gentille et rassurante Meredith.
Si on vous avait dit il y a vingt ans que vous seriez ici aujourd'hui, à 55 ans, en train de promouvoir une nouvelle série, est-ce que vous y auriez cru ?
Non pas du tout (Rires). Je suis heureuse de parler de ce nouveau projet mais je n'aurais surtout jamais imaginé que Grey's Anatomy serait encore là, vingt ans après son lancement. C'est fou.
Vous avez hésité avant d'accepter de jouer dans Good American Family. Pourquoi ces réticences?
Le personnage de Kristine est très intense, tout comme l'est cette histoire, qui doit être racontée avec subtilité et une attention particulière. J’ai dû faire confiance aux scénaristes. Ils ne m’ont pas fait changer d’avis, car je n’ai jamais refusé le projet, mais j’avais besoin de leur parler et de comprendre leur vision. J’ai aussi échangé avec Imogen Faith Reid, qui joue Natalia. Elle est vraiment la clé de cette histoire. Son approche et ses ressentis vis-à-vis de la série m’ont convaincue.
L'histoire de Natalia Grace et des Barnett a déjà été racontée dans un documentaire. Etait-ce vraiment nécessaire d’en faire une série de huit épisodes ?
Je pense que le documentaire exploite cette histoire en se concentrant sur le point de vue de certaines personnes. Ce qui est intéressant avec notre série, c’est qu’elle nous montre à quel point ce que nous croyons dépend de celui ou celle qui raconte le récit. Si nous racontons toutes les deux la même histoire différemment, les gens retiendront deux vérités distinctes. Nos préjugés sur les gens, leur apparence, leurs origines, influencent aussi notre perception des choses. Nous avons tendance à faire des suppositions, et notre série invite à l’introspection : pourquoi avons-nous ces jugements sur les autres ?
Comment avez-vous travaillé le personnage de Kristine Barnett, qui existe dans la vraie vie ?
Notre série est une fiction inspirée de faits réels, et nous nous sommes appuyés sur des enregistrements de la police. J’ai dû créer quelque chose de nouveau, en m’appuyant sur le script. Je me suis d’abord inspirée de mon expérience de maman pour nourrir le personnage de Kristine en partant de ce postulat : nous avons toutes de bonnes intentions envers nos enfants. Ensuite, j’ai cherché à comprendre comment nous réagissons lorsque les choses ne se passent pas comme prévu.
Avez-vous ressenti de l'empathie pour cette femme apparemment parfaite, mais qui se révèle violente ?
Non, je n'ai ressenti aucune empathie pour elle. J’ai plutôt cherché à comprendre ce qui la submergeait, à me mettre dans sa tête en me convainquant que ce qu’elle faisait était juste, qu’elle agissait ainsi pour les bonnes raisons. Kristine est persuadée que Natalia est une adulte et pense que ses actions sont nécessaires pour se protéger et protéger sa famille. C'est sa vérité.
Comment avez-vous vécu le tournage des scènes de violence avec Imogen Faith Reid, l'interprète de Natalia ?
Ces scènes étaient très difficiles. Je voulais m’en débarrasser le plus rapidement possible. J’ai perdu un ami juste avant le début du tournage, j’étais donc à fleur de peau… Ce qui, d’une certaine manière, m’a aidée.
Cette série a été créée, écrite et produite par des femmes, y compris vous. Pourquoi est-ce important pour vous de collaborer avec des femmes ?
Aux États-Unis, on fait de réels progrès, et c’est formidable. Pour moi, il est essentiel que tout le monde puisse avoir voix au chapitre. Je ne parle pas spécifiquement des femmes, mais des femmes qui sont qualifiées. Ce que nous voulons, ce sont des personnes compétentes. Tout le monde mérite une opportunité. On ne devrait pas embaucher une femme uniquement parce qu’elle est une femme, les femmes sont capables de gérer mille choses à la fois. Nous sommes vraiment très douées pour ça, ce qui est utile dans de nombreux domaines.
Qu’est-ce que cela apporte, concrètement, d’avoir autant de femmes derrière la caméra ?
J’évolue dans cette industrie depuis 25 ans. J’ai travaillé avec des réalisateurs et des réalisatrices, et j’ai eu des bonnes et des mauvaises expériences des deux côtés. Mais les femmes sont généralement plus sensibles à certains sujets.
Vous êtes devenue l’actrice la mieux payée de la télévision américaine en négociant un salaire de 20 millions de dollars par saison pour Grey’s Anatomy. Quel(s) conseil(s) donneriez-vous aux femmes qui ont du mal à affirmer ce qu’elles valent financièrement ?
C'est un sujet compliqué. Je l'ai dit plusieurs fois, j'ai eu la chance de savoir exactement les revenus que générait Grey's Anatomy. Quand vous pouvez quantifier votre valeur et l'argent que vous générez, c'est plus facile de dire : "Je vaux tel salaire". Mais si vous ne demandez rien, on ne vous donnera rien. Si vous travaillez dur et que vous arrivez à prouver la valeur de votre travail, vous devez en parler. Ce n’est pas facile à faire, mais plus on s’entraîne à demander ce que l’on mérite, surtout en commençant jeune, plus on y arrive. Travailler pour des femmes et embaucher des femmes aide également.