Éco-tournages : comment la production audiovisuelle s'adapte aux réalités écologiques

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Pauline Rouquette
À une époque où l'écologie doit être au coeur des préoccupations de chacun, le monde de l'audiovisuel s'interroge sur l'empreinte laissée par les tournages. Invités d'Europe 1, lundi, deux acteurs de l'éco-tournage expliquent comment produire des films éco-responsables, alors que cela pourrait bientôt devenir une condition pour prétendre à des aides.
INTERVIEW

De plus en plus abordée dans les films, l'écologie passe aujourd'hui de l'autre côté de la caméra, afin que les tournages se mettent au vert. Dans le cadre de l'éco-tournage, le bilan carbone devient alors un enjeu aussi important que le bilan financier, et certaines aides financières pourraient même bientôt être conditionnées à des pratiques éco-responsables. Acteurs de cette nouvelle forme de tournage, plus respectueuse de l'environnement, Julien Tricard et Mathieu Delahousse étaient les invités de l'émission Culture Médias, lundi sur Europe 1. L'un est le fondateur de médiaClub'Green, une association qui milite pour des tournages éco-responsables, l'autre est le président de Secoya Éco-tournage, une entreprise qui aide et accompagne les sociétés de production à adopter des comportements écologiques.

Faire appel à des équipes locales et du matériel local

"Un éco-tournage pour une production, c'est replacer l'humain et l'activité de production dans une réalité socio-climatique actuelle, relocaliser ses productions et prendre en considération une réalité économique importante aujourd'hui", explique Mathieu Delahousse. Par "relocaliser les productions", ce dernier entend le fait de favoriser une économie locale, sociale, circulaire, en prenant compte de l'endroit dans lequel on se trouve lorsqu'un film publicitaire, une série ou un long métrage est tourné. 

Cela signifie-t-il que plus aucun film ne pourra être tourné hors de la région de la société de production, voire à l'étranger ? Mathieu Delahousse répond par la négative. "Lorsque l'on va tourner en région ou même à l'étranger, le but est de continuer de fabriquer du rêve, mais de façon durable et responsable", explique-t-il, évoquant des tournages faisant appel à des équipes locales et du matériel local. Face à lui, Julien Tricard a un exemple très concret : "On a tourné un documentaire au sommet du Mont Blanc avec une équipe de scientifiques qui est allée mesurer le taux de pollution aux microplastiques en haute altitude", raconte le fondateur de médiaClub'Green. "On n'a pas envoyé un seul hélicoptère : notre caméraman est monté à pied avec l'équipe de scientifiques, et on a récupéré des images aériennes qui ont été tournées avec un procédé consommant vingt fois moins d'essence qu'un hélicoptère : un ULM."

Pour Julien Tricard, la différence entre un tournage écolo et un tournage qui ne l'est pas, "c'est qu'on va se poser la question en amont et se demander comment on peut faire pour faire le tournage le plus responsable possible", dit-il. "Beaucoup de gens disent 'on est écolo' parce qu'ils ont mis trois gourdes et deux machines à café à grains sur leur tournage, mais aujourd'hui, c'est beaucoup pus compliqué que ça."

"Ce qui coûte le plus cher, c'est de s'y prendre trop tard"

Cette prise de conscience écologique est aujourd'hui inévitable, estime Mathieu Delahousse. Ce dernier a travaillé pour EuropaCorp ou encore Bonne Pioche Productions, et repense avec effarement à des tournages qui seraient aujourd'hui incompatibles avec la conscience qu'a notre époque des enjeux climatiques. "À l'époque, je n'avais pas cette conscience-là, on m'avait appris à faire ce métier sans cette conscience", explique-t-il. "J'ai notamment participé à une publicité en haut d'un glacier où l'on a fait monter 300 arbres par hélicoptère pour pouvoir reconstituer le décor de la publicité. Ça date d'il y a plus de 15 ans, et je ne comprends même pas comment on pourrait le faire aujourd'hui", poursuit-il.

Repenser les tournages de manière éco-responsable change-t-il la manière de tourner ? Oui, répond Julien Tricard "et c'est vraiment le coeur du problème". En tant que producteur, dit-il, la question de ce que lui rapportera un film demeure une priorité, mais le but de l'éco-tournage est d'obtenir le même résultat à l'image. 

"Ce qui coûte le plus cher, c'est de s'y prendre trop tard", ajoute-t-il, précisant que la démarche éco-responsable peut générer des profits et de nombreuses opportunités financières, même lorsqu'il s'agit d'un tournage à l'étranger. "Si l'on fait un film sur l'amitié entre un enfant et un lion, tourné en Afrique, il est possible que des marques, qui sont aujourd'hui très en recherche de valeurs, s'associent aux valeurs d'un film qui serait produit de façon durable et responsable", explique Julien Tricard. "Après, il faudra faire des recherches pour voir tout ce que l'on peut faire sur place et ne réduire qu'au minimum ce qui va devoir venir de l'étranger".

Vers des aides conditionnées du CNC ?

Face à ces initiatives, les diffuseurs vont être amenés à être plus sensibles à l'impact des tournages sur l'environnement, assure Julien Tricard, qui précise que les gros diffuseurs (TF1, France télévisions, Canal +...) ont déjà tous intégré une cellule Responsabilité sociale et environnementale (RSE) dans leur structure. "Ils sont très actifs et dialoguent énormément, notamment avec les producteurs, les syndicats, et avec le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), notre organisme de tutelle", ajoute-t-il, précisant que le CNC s'apprête à faire des annonces sur l'éco-responsabilisation, qui pourraient être déterminantes pour tout le secteur.

"On s'attend à voir une première vague d'aides et de soutien à des initiatives qui vont dans le sens d'une labellisation, d'un soutien aux actions et aux tournages éco-responsables", développe Julien Tricard. "Et puis, dans un second temps, peut-être une deuxième vague qui sera plus contraignante". Les aides pourraient alors être conditionnées en fonction de la démarche éco-responsable de la société de production.