Claude Lelouch : "La vie est le plus grand cinéaste du monde"

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Aurélie Dupuy , modifié à
Le grand réalisateur qui a connu cinquante ans de succès a démarré par un échec cuisant. Pour Europe 1, il raconte son amour du cinéma et de la vie, malgré les obstacles.
INTERVIEW

A 78 ans, Claude Lelouch choisit trois mots : vie, femmes et cinéma. Et résume le tout en une leçon : "Quand on aime la vie, on est obligé d’aimer les femmes. Quand on aime les femmes, on aime la vie. Et quand on aime tout ça, le cinéma est un témoin extraordinaire pour filmer cette belle histoire d’amour." Le cinéaste - qui aime aussi les surprises, le mystère, le chiffre 13, le présent et le hasard - s'est livré dans l'émission Il n'y a pas qu'une vie dans la vie, dimanche sur Europe 1.

"Le hasard". Son scénario personnel est un palmarès : 46 films, cinq femmes, sept enfants, une Palme d’or, deux oscars, trois Golden globes. "Je me suis laissé porter par la vie, qui est le plus grand cinéaste du monde". Tout commence avec ses parents, dans une salle obscure. On pourrait y voir le destin, lui invoque volontiers le "hasard". Ses parents se rencontrent dans un cinéma lors de la projection d’un film de Fred Astaire et Ginger Rogers. Ils étaient assis l’un à côté de l’autre. Quelque 26 ans plus tard, c’est des mains des deux stars américaines que Lelouch reçoit en 1966 l’Oscar du meilleur film en langue étrangère pour Un homme et une femme. "C’est ce qui s’appelle une boucle, c’est pour cela que j’aime les hasards de la vie. Le hasard est la personne qui m’a le mieux conseillé."

Les portes Hollywood s'ouvrent. Ce film a été une consécration, après six échecs de longs-métrages. "Tout de suite après Un homme et une femme, Marlon Brando et Steeve McQueen voulaient faire un film avec moi et une grosse société américaine voulait me produire. J’étais fou de joie." Mais il refuse, "parce qu’à un moment donné, vous rencontrez un producteur qui vous dit qu’il faut autant de gros plans pour Brando que pour McQueen, autant de répliques pour l’un que pour l’autre, qu'il ne faut pas que le film fasse plus d’1h40. On vous donne des contraintes que je ne supportent pas parce que pour moi, le cinéma est rattaché à la liberté."

Entendu sur europe1 :
J’ai eu le sentiment que ce film avait tué mon père et donc moi j’ai tué ce film

"Le plus gros échec". Avant de pouvoir se permettre de refuser Hollywood, où "la plupart des metteurs en scène américains sont des esclaves des producteurs", il aurait pu abandonner, surtout après l'échec de son premier film, Le propre de l’homme. Ce film, qui lui a "tout appris", l'a fait énormément souffrir. Il en a d'ailleurs détruit l'original. "J’étais surement à contre-courant de 'la Nouvelle Vague'. Je reconnais que le film était maladroit, même un peu raté. Cela a été le plus gros échec de ma vie : financier, artistique. La critique s’est déchaînée. Tout de suite après la projection à la cinémathèque, qui avait été sifflée pendant une heure et demie, mon père est mort d’une crise cardiaque. J’ai eu le sentiment que ce film avait tué mon père et donc moi j’ai tué ce film." Cette expérience cataclysmique a tout bouleversé. "J’ai eu envie de mourir et une heure après, des forces incroyables m’ont investi et j’ai eu envie de bouffer la vie et de prendre des risques."

Les ateliers du cinéma. Depuis, la peur et le risque marchent à ses côtés. "A chaque fois que je frôle l’impossible, je savoure l’extase du présent. J’aime la vie avec tous ses défauts. Tous les défauts de la vie sont plus photogéniques que le bonheur", dit-il, philosophe. Le cinéaste se voit d'ailleurs "condamné à faire [son] meilleur film." Le prochain sortira au printemps et se nommera Chacun sa vie. Il a été produit dans Les ateliers de cinéma à Beaune, un lieu "passerelle" que Lelouch a créé pour que des amateurs de cinéma puissent devenir professionnels, gratuitement, avec l'aide de metteurs en scène de renom. il boucle ainsi une autre boucle, celle de transmettre l'amour de la vie et celui du cinéma.