"Charlie Hebdo", sa nouvelle BD, Gotlib, le festival d'Angoulême : Luz se confie

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À l'occasion de la sortie de la BD "Puppy", Luz a répondu aux questions d'Europe 1. © AFP
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Guillaume Perrodeau , modifié à
Le dessinateur, qui avait échappé à l'attentat commis contre "Charlie Hebdo", sort un nouvel album, "Puppy". L'occasion d'évoquer ses sources d'inspiration, le souvenir de ses anciens camarades mais aussi le Festival d'Angoulême, où il ne se rendra pas.
INTERVIEW

En septembre 2015, le dessinateur Luz dessinait pour la dernière fois dans Charlie Hebdo, quelques mois après l'attentat qui avait décimé une partie de la rédaction de l'hebdomadaire. À l'époque, il expliquait sa décision ainsi : "Si je me barre, c'est que c'est difficile pour moi de travailler sur l'actualité". Depuis, il y a eu la BD Catharsis et Ô vous, frères humains. Luz s'est aussi mis en retrait, par choix. "Après le drame de Charlie, j’ai haï mon double médiatique", expliquait-il en effet au Journal du Dimanche en avril 2016.

Aujourd'hui, il est de retour en librairies, avec Puppy (sortie le 18 janvier), qui ne ressemble à aucun autre projet du dessinateur. Une BD sans paroles, en noir et blanc, dont le héros est un chien-zombie revenu d'entre les morts. Ce dernier arpente le cimetière dans lequel il était enterré avant d'en sortir et de découvrir le drôle de monde laissé par les humains. À l'occasion de la sortie de cette bande dessinée, Luz a répondu aux questions d'Europe 1.

Vous revenez en librairie avec Puppy, comment est né ce projet ?
"C’est un projet qui date d’à peu près six ans et qui n'était pas un projet à la base. C’était juste une espèce de lubie que j’avais, de dessiner le cimetière des chiens d’Asnières, dans les Hauts-de-Seine. Il y avait cette envie de raconter l’ambiance d’un cimetière qui n’est pas un cimetière humain et dans lequel, moi, je me reconnaissais, et où, étonnement, on ne s’identifie pas à ceux qui sont sous la terre.

Et puis il y a eu le bordel qu'on connaît (l'attentat contre Charlie Hebdo, ndlr). Je me suis retrouvé avec une trentaine de pages qui était déjà faite. Et à un moment, je me suis dit : "Merde, il ne faut pas que je l’oublie". Il fallait que je mène cette histoire jusqu'au bout.

9782344018712-L

Dans Puppy, vous citez Lovecraft et Gotlib. En lisant votre BD et en découvrant les gags, on pense aussi beaucoup au burlesque d'un cinéma à la Charlie Chaplin ou à la Buster Keaton ? Est-ce aussi des références pour vous ?
Chaplin oui, carrément !  Même si ce sont des influences qui n’ont pas été celles de base pour Puppy. Les influences de base, ce sont tout bêtement George A. Romero, mais aussi Jean Rollin et La Rose de fer.

Je pense que j’ai été traversé par Chaplin dans l’idée du muet. En ce moment, cela me rassure de ne faire que du dessin, d’éviter les bulles, le bavardage, et d’essayer de faire rentrer le lecteur dans un scénario uniquement à travers le graphisme.

Ce qu’il y a de génial chez Charlie Chaplin, et que j’ai peut-être essayé de reproduire, c’est que c’est un personnage un peu largué, un peu innocent, au milieu d’un monde absurde, mais il se débrouille.

Dans la bande dessinée, au tout début, Puppy croise une boule de verre, remplie de balles de tennis, qui se trouve sur une tombe où est inscrit "Charlie". Est-ce un clin d’œil ?
C'est assez marrant car la création du bouquin a deux périodes. Et cette petite boule de balles avec le nom "Charlie", je l’avais faite avant les attentats. Et quand j’ai retravaillé sur le projet après, je me suis demandé : "est-ce que je l’enlève ?". Parce qu’on va forcément me poser la question, ou trouver une interprétation un peu bizarre. Et puis après je me suis dit "non". C’est là et c’est un hasard. Et peut-être que ça a du sens, et que ce n’est pas à moi de donner le sens que ça doit avoir.

Le deuil, il est en moi. La commémoration, je l’ai faite dans ma tête

Il y a deux semaines ont eu lieu les commémorations de l'attentat contre Charlie Hebdo. En périphérie, elles ont notamment été marquées par la polémique autour de l'interview de Farid Benyettou, ancien mentor des frères Kouachi, dans Salut les Terriens ! sur C8. Quel est votre sentiment par rapport à cela ?
Pour résumer, quand vient l‘approche de l’anniversaire, en ce qui me concerne, je ferme les fenêtres, mes fenêtres mentales. Une semaine avant et une semaine après. Ensuite je rouvre, j’aère et puis je regarde devant.

Alors effectivement, j’ai vu cette polémique. Je me suis dit que de toute façon, on est dans un cirque médiatique. Je n’ai pas du tout envie d’y participer. Le deuil, il est en moi. La commémoration, je l’ai faite dans ma tête, il n’y a pas besoin de participer à d’autres cirques publics ou médiatiques. Et savoir s’il faut inviter tel ou tel type à la télévision, ce n’est plus mon problème. Mon problème, c’est d’avancer. Il y a juste deux semaines dans l’année où je n’existe plus, pour personne, et en tout cas certainement pas pour les médias.


Luz : "Je ne me sentirais pas bien au Festival...par Europe1fr

La mort de Gotlib m’a foutu une drôle de claque dans la gueule

Un mot sur le dessinateur Gotlib, décédé le 4 décembre dernier. Qu'est-ce que son travail représente pour vous ?
C’est le dessinateur qui m’a donné envie de dessiner et aussi, peut-être, le premier maître à penser l’imaginaire. Le plus important pour moi dans Gotlib, c’est la petite coccinelle, ce petit détail dans un coin qui va vous faire sortir de la case, qui va créer un deuxième imaginaire.

La mort de Gotlib m’a foutu une drôle de claque dans la gueule. Ce n’est pas quelqu’un que je connaissais, mais pour moi, c’est presque une figure de grand-père.

Le Festival de BD d'Angoulême a rendu hommage à Gotlib, notamment lors de la conférence de presse de présentation. Vous ne serez pas au festival cette année ?
Je ne suis pas allé à Angoulême très souvent. Pour beaucoup d’auteurs, aller à Angoulême, c’est voir les copains et les copines, boire des coups. Finalement, c’est un alibi pour faire n’importe quoi : être libre avec d’autres gens libres. Pour moi, ce n’est pas possible de vivre cette liberté-là entre quatre flics. Je ne me sentirais pas bien. Je ne pourrais pas voir les gens que j’aime de la même manière et puis, je ne pourrais pas vraiment dédicacer de la même manière. Il y a une grosse partie de moi qui ne peut plus être à Angoulême aujourd'hui.

Quels sont vos projets pour la suite ?
En avril, je vais sortir une anthologie de tout mon travail sur la musique : des croquis de concerts, des planches entières qui étaient dans Magic, dans Trax, dans Charlie Hebdo. C’est important car c’est aussi une période révolue : je ne peux plus aller dessiner dans les concerts car c’est compliqué. Je regarde ce bouquin comme un témoignage sur mon travail, mais aussi comme un témoignage sur la musique. Ça va s’appeler Alive, comme le concert, comme "être vivant", comme un album de Daft Punk aussi ! C’est un projet important qui est déjà terminé."