Amelle Chahbi pour son nouveau spectacle : «Les michetonneuses sont des féministes niées et ignorées !»

Amelle Chahbi
Amelle Chahbi joue en ce moment son spectacle "Michetonneuse" à l'Apollo Théâtre © Laura Gilli
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Solène Delinger , modifié à
Amelle Chahbi est de retour sur scène avec son nouveau spectacle "Michetonneuse", à l'Apollo Théâtre du 18 janvier au 30 mars. L'humoriste s'est battue pour faire exister sa pièce de théâtre drôle, piquante et émouvante, qui explore le monde sulfureux des "michtos", ces femmes qui séduisent et manipulent des hommes pour de l'argent. Pour Europe1.fr, la comédienne se confie sur ce projet ambitieux qui a d'ores et déjà séduit le public. Interview. 
INTERVIEW

Amelle Chahbi ose tout. Parler des michetonneuses pendant tout un spectacle ? Même pas peur ! A 43 ans, la comédienne révélée dans le Jamel Comedy Club veut coûte que coûte défendre les sujets qui lui tiennent à cœur et celui-ci en fait partie. Dans son spectacle Michetonneuse, Amelle Chahbi joue le rôle d'une micheto aguerrie qui va attirer dans ses filets la jeune et innoncente Shéraz (Léa Issert), en proie à de gros problèmes d'argent. Deux autres jeunes femmes, exubérantes et hilarantes (incarnées par Zoé Marchal, la fille d'Olivier Marchal, et Lani Sogoyou) sont à leurs côtés pour séduire des hommes (très souvent machos) avec un seul objectif : leur soutirer de l'argent.

Nous étions à la première du spectacle d'Amelle Chahbi, le 18 janvier dernier, et nous avons ri aux éclats devant les performances de ce quatuor féminin qui sait tout faire : danser, se glisser dans la peau des hommes et enchaîner les punchlines. Sans jamais tomber dans la caricature, Amelle Chahbi dresse le portrait de quatre femmes dans l'ère du temps, prêtes à tout pour se créer un avenir meilleur, quitte à se brûler les ailes...

Votre spectacle cartonne depuis son lancement le 18 janvier dernier. Est-ce que vous vous attendiez à un tel succès ?

Au fond de moi, oui. Je me disais que ce sujet n'allait pas laisser indifférent. Je savais que les gens auraient la curiosité de venir. Nous avons eu la chance de tester 30 minutes de spectacle au festival des Mises en capsules. Il y a eu beaucoup de rires et de l'émotion aussi. C'est à ce moment-là que j'ai senti que ça allait vraiment marcher. 

Pourquoi le sujet des michetonneuses vous intéresse-t-il tant ? Vous en parliez déjà en 2006 dans des sketchs...

Je me suis toujours dit qu'il y avait une vraie histoire à raconter. Ces filles-là sont pour moi le miroir de notre société. Il est très difficile d'exister en ce moment. Il faut être branchée, avoir le dernier sac à la mode, celui qui coûte le plus cher. À cause de cette pression, de plus en plus de filles veulent gagner de l'argent facilement et rapidement.

Vous êtes-vous inspirée de vraies michetonneuses pour créer vos personnages ? 

Oui, je les ai rencontrées et observées. Elles forment des groupes dans lesquels il y a plusieurs propositions pour les hommes. C'est plus que de l'amitié, c'est une association de malfaiteurs. Vous ne verrez jamais quatre blondes traîner ensemble. Je voulais que ce panel soit représenté dans ma pièce avec une blonde, une métisse, une brune. Le coup de l'anniversaire, je ne l'ai pas inventé ! Un soir, j'étais à table avec un groupe de michetonneuses. Un gars arrive avec énorme bouquet de fleurs parce qu'une d'entre elles lui a fait croire que c'était son anniversaire. Il repart et quand on sort du restaurant, elle jette le bouquet à la poubelle. Je lui dis : "Mais qu'est-ce que tu fais ?". Elle me répond : "Ça ne va pas me payer mon loyer". Je me suis dit que c'était cruel. Mais c'est son travail, il n'y a pas d'affect. 

On rit beaucoup pendant votre spectacle mais on est aussi très ému par ces quatre michetonneuses. Est-ce que vous vouliez réhabiliter ces femmes-là, souvent méprisées ? 

Oui car ce sont des féministes niées et ignorées ! On sait qu'elles sont là, on les voit mais on ne veut pas en parler parce que ça dérange. Elles prennent le pouvoir en utilisant les fantasmes des hommes et en les retournant contre eux. Elles vont être la belle plante, celle qui ne parle pas trop. Elles sont extrêmement intelligentes et sont de grandes psychologues ! 

Est-ce que ça marche avec tous les hommes ?

Certains hommes vont être beaucoup plus sensibles à la liberté, au charme cérébral et à la personnalité d'une femme. Hélas, il y en a peu... 

Les inégalités femmes-hommes contribuent-elles à la "michetonnerie" ? 

Il y aurait moins de michetonneuses s'il y avait moins d'inégalités, c'est sûr ! Elles ne feraient pas toutes ça si elles avaient accès à plus de choses et étaient aussi bien payées que les hommes. En revanche, certaines michetonneuses vont dire "non" si on leur propose un travail et vont préférer continuer parce que c'est la facilité !

Est-ce aussi générationnel ? 

Les réseaux sociaux n'ont pas arrangé les choses... À l'époque, on faisait dix ans d'études pour devenir médecin et on se disait que c'était incroyable de gagner plus de 5.000 euros par mois. Aujourd'hui, tu es influenceur, tu montres trois produits en faisant la moue et tu gagnes 30.000 euros ! 

Dans votre spectacle, le personnage de Shéhérazade tombe dans la "michetonnerie". Au début, elle prend énormément de plaisir à gagner beaucoup d'argent mais elle finit par se dégoûter. Que vouliez-vous montrer ? 

Je voulais qu'on ait de la peine pour Shéhérazade et ses trois copines michetonneuses. Quand on ressort du spectacle, on ne se dit pas qu'on a envie de devenir comme elles. On se dit qu'elles sont rigolotes mais de loin... C'est douloureux de faire ça. À la fin, Shéhérazade se retrouve avec son papa. Elle se recentre sur des choses authentiques, l'amour, la famille. C'est ça qui nous rend tous meilleurs et surtout plus heureux. 

Que représente cette pièce pour vous, à ce moment de votre carrière ? 

Cette pièce représente beaucoup car j'ai dû me battre pour la faire exister. Au départ, personne n'a suivi. Tout le monde avait peur et ne comprenait pas ce que c'était. J'ai discuté pendant des jours et des jours avec des directeurs de théâtre. Ce sont des hommes blancs de 60 ans qui ont peur du changement. Ils ne veulent pas que ça bouge ! A l'Apollo, c'est une directrice et ça s'est fait en 10 minutes. Elle m'a directement fait confiance.

Est-ce une situation à laquelle vous avez déjà été confrontée ? 

Oui, je dois faire mes preuves à chaque fois ! Peut-être parce que j'amène des sujets populaires, métissés et politiques. Je suis aussi une femme d'origine maghrébine. Mais heureusement, dans notre métier, on peut exister quoiqu'il arrive et le public nous suit.