Quelle mouche a piqué Lièvremont ?

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Propos recueillis par SYLVAIN LABBE , modifié à
Dans une interview à Sud-Ouest, Marc Lièvremont, à un an de la Coupe du monde, dresse un tableau très alarmiste du rugby français. Très négatif sur les perspectives, qui s'offrent aux Bleus à la veille des tests de novembre, le sélectionneur laisse perplexe. Pour Patrice Lagisquet, ancien entraîneur du BO, un tel pessimisme n'a pas lieu d'être. Point par point, il a accepté pour nous d'évoquer les maux du sélectionneur...

Dans une interview à Sud-Ouest, Marc Lièvremont, à un an de la Coupe du monde, dresse un tableau très alarmiste du rugby français. Très négatif sur les perspectives, qui s'offrent aux Bleus à la veille des tests de novembre, le sélectionneur laisse perplexe. Pour Patrice Lagisquet, ancien entraîneur du BO, un tel pessimisme n'a pas lieu d'être. Point par point, il a accepté pour nous d'évoquer les maux du sélectionneur... Le Top 14 trop puissant Lièvremont (Sud-Ouest): "Je trouve que je subis trop de choses. Même s'il y a eu des avancées, l'équipe de France est tout sauf la priorité du rugby français. J'éprouve une forme de frustration par rapport à ça. Je ne pense pas que ça va aller en s'arrangeant. Parce que le Top 14 est trop puissant. On est parti pour pérenniser un mode de fonctionnement qui est unique au monde. Il fait certes la force du rugby français mais il peut difficilement satisfaire un entraîneur ambitieux qui a envie de se donner les moyens d'avoir des résultats. Je ne vois pas comment ça pourrait bouger en France." L'avis de Lagisquet: "C'est une polémique récurrente et elle revient régulièrement à un an d'une échéance aussi importante que la Coupe du monde. Tous les sélectionneurs ont exprimé cette frustration de ne pas pouvoir travailler sur la durée pour préparer sereinement cette Coupe du monde. A chaque fois, ils sont soumis à des contraintes qu'ils subissent et qu'ils vivent plutôt mal. Ce qui me gêne, c'est qu'aucun sélectionneur n'est parvenu à ce jour à établir une relation et un échange positifs avec les staffs des clubs. C'est ce qui, selon moi, est réellement dommageable. Si on parvenait à avoir une ligne forte entre la Fédération et ces clubs, entre le staff de l'équipe de France et les staffs des clubs de Top 14, ce serait un pas important et sûrement que ces frustrations s'exprimeraient un peu moins." "Avant la dernière Coupe du monde, en 2007, l'équipe de France était l'une des formations à avoir bénéficié du plus grand temps de préparation avec près de quatre mois, je crois. Autant en tout cas que les autres nations, donc, quelques fois, ces petits retards, que l'on peut ressentir, peuvent être gommés par cette préparation." L'avance du Sud... Lièvremont (Sud-Ouest): "Jamais le rugby n'a autant changé que cette année. Si on prend comme référence les matches du Tri Nations au niveau du rythme, des séquences de jeu, d'essais marqués, c'est le jour et la nuit entre 2009 et 2010. (...) Aujourd'hui, on ne peut pas aller vers le rugby que jouent les All Blacks." L'avis de Lagisquet: "Le vrai problème, c'est que l'hémisphère sud joue avec les nouvelles interprétations des règles depuis plus longtemps que les joueurs français. Il y a toujours cette transition sur l'évolution du jeu plus compliquée pour l'équipe de France au mois de novembre. On a vu que la tournée de juin s'est mal passée et on peut lier ces résultats avec ce manque d'adaptation à ces formes de jeu, liées à l'évolution de la règle." Un jeu offensif en berne Lièvremont (Sud-Ouest): "Notre problématique est la suivante : comment mettre en adéquation la réalité du rugby international et le quotidien de nos joueurs. Le Top 14 fait la part belle au jeu jusqu'au 10 mais en termes d'animation offensive, il est pauvre." L'avis de Lagisquet: "Les clubs sont en train d'évoluer vers un jeu plus offensif, on le voit dans les prestations en Coupe d'Europe de clubs comme Toulouse, Perpignan, Clermont, Biarritz, qui sont tout de même de gros pourvoyeurs de l'équipe de France. Ce qu'il faut, c'est que cela puisse se concrétiser au niveau des ambitions de jeu de l'équipe de France. Je ne suis pas aussi négatif que l'est Marc dans son jugement parce que le championnat prépare physiquement, prépare mentalement et sur la dimension du jeu, quand je vois les matches de Coupe d'Europe, je me dis qu'on n'est peut-être pas si loin que ça de ce que l'on peut voir dans le Super 14. Sur ce point, j'aimerai être plus optimiste que Marc." Un an et demi de perdu... Lièvremont (Sud-Ouest): "Avec le recul, ce qui m'agace un peu, c'est que nous ayons perdu ou presque un an et demi en nous écartant de nos ambitions. On s'aperçoit que ce que l'on essayait de faire durant le premier tournoi, c'est ce qui marche aujourd'hui." L'avis de Lagisquet: "Je crois que Marc oublie un paramètre. L'évolution de la règle fait que les formes de jeu qu'il proposait dans un premier temps sont peut-être aujourd'hui en effet les plus adaptées pour un rugby efficace. Mais c'était peut-être un peu trop tôt lorsqu'il les a proposées à l'époque. La fondation de son socle de jeu s'est faite, il a eu la sensation de perdre du temps, mais il a été confronté à la réalité du rugby international et à son pragmatisme. Il a su le mettre en oeuvre lors du dernier Tournoi, ça a été une belle réussite. A lui maintenant de réinjecter dans le projet de jeu de l'équipe de France les idées qu'il avait et qui n'ont pas pu s'exprimer ou se concrétiser sur le terrain lorsqu'il a pris en main l'équipe de France, pourquoi pas..." "Un sélectionneur doit aussi être pragmatique, il a su l'être il y a quelques moi, pourquoi ne le serait-il pas aujourd'hui ? Ce qu'il exprime, c'est ce décalage et ce temps d'avance de l'hémisphère sud, lié aux nouvelles règles ; mais c'est une réalité qui existait déjà avant. Marc a un chemin à tracer, une ligne de conduite à tenir, ce n'est pas simple, j'en conviens, mais si lui, qui doit être le meneur de ce groupe, n'arrive pas à être positif, ça ne va pas à être évident. Il doit arriver à transmettre plus d'énergie positive à son groupe, d'autant que c'est sa nature, il aime le jeu et mener ses hommes pour les voir donner le meilleur d'eux-mêmes."