Desjoyeaux en question

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AXEL CAPRON , modifié à
Vendée Globe à deux reprises, Solitaire du Figaro trois fois, Transat anglaise et Route du Rhum en multicoque, Michel Desjoyeaux a déjà tout gagné en solitaire. Cela ne l'empêche pas de remettre ça sur la neuvième édition de la Route du Rhum avec un Foncia qui, au moment du départ dimanche, n'aura qu'un mois de navigation derrière lui. Trop peu pour réussir un inédit doublé multicoque-monocoque sur la transat en solitaire ?

Vendée Globe à deux reprises, Solitaire du Figaro trois fois, Transat anglaise et Route du Rhum en multicoque, Michel Desjoyeaux a déjà tout gagné en solitaire. Cela ne l'empêche pas de remettre ça sur la neuvième édition de la Route du Rhum avec un Foncia qui, au moment du départ dimanche, n'aura qu'un mois de navigation derrière lui. Trop peu pour réussir un inédit doublé multicoque-monocoque sur la transat en solitaire ? "Pour gagner, il faut d'abord arriver de l'autre côté, c'est plus simple avec un bateau fiable." A quelques heures du départ de la neuvième édition de la Route du Rhum, prévu dimanche à 13h02, Marc Guillemot, l'un des favoris de la course en Classe Imoca (monocoques de 60 pieds), posait vendredi matin au pied des remparts de Saint-Malo l'équation de base de toute course à la voile: pour espérer finir bien classé, il faut d'abord finir, ce qui implique d'amener son bateau intact de l'autre côté de l'Atlantique. Cet axiome, le skipper de Safran peut se vanter de l'appliquer à la lettre puisqu'il souligne non sans fierté avoir terminé toutes ses courses à la barre de son monocoque gris, avec à la clé une deuxième place sur la Transat Jacques-Vabre 2007, une victoire sur cette même transat en double deux ans plus tard et, entre les deux, une troisième sur le Vendée Globe 2008-09. Deux heures plus tard, c'est Armel Le Cléac'h que l'on rencontre autour d'une table pour un ultime rendez-vous médiatique, et lorsqu'on lui demande s'il vaut mieux attaquer cette Route du Rhum 2010 avec un bateau de trois ans bien fiabilisé, comme l'est son Brit Air, ou un bateau neuf comptant à peine quelques centaines de milles dans les pattes, comme le Foncia de Michel Desjoyeaux, le skipper de Saint-Pol-de-Léon ne cache pas sa préférence: "Deux mois, c'est vraiment court..." Même pas deux mois, puisque ce n'est que le 20 septembre dernier que le «Professeur» a mis à l'eau son nouveau plan VPLP-Verdier, qui aura nécessité un chantier express de six mois, l'intéressé se payant même le luxe malgré l'urgence de se passer des moules de Safran (contrairement au PRB de Vincent Riou). "Au départ, vu les délais impartis, je voulais faire un nouveau Safran, mais en en discutant avec Vincent Lauriot-Prévost (le «LP» de VPLP, le «VP» étant pour son associé Marc Van Peteghem, ndlr), il m'a convaincu qu'on avait le temps de faire un nouveau bateau sur des plans originaux, j'ai dit banco." Et voilà comment a été lancée l'opération commando visant en six mois à mettre au monde un nouveau 60 pieds de façon à lui permettre de prendre le départ de la neuvième Route du Rhum, un 60 pieds loin pour autant d'être bâclé, Michel Desjoyeaux, en féru de technique qu'il est, intégrant nombre de petites innovations pas forcément visibles à l'oeil nu d'un profane. Gain de poids de l'ordre d'une tonne par rapport au Foncia 1 vainqueur du dernier Vendée Globe, carène élargie à l'avant permettant une meilleure glisse, ce qui n'est pas sans contrepartie ("le bateau est un peu moins confortable à la mer, il tape beaucoup plus à cause de la forme à l'avant qui est plus large"), système de safrans interchangeables, fruit de l'expérience du dernier Vendée Globe du skipper de Foncia qui faillit abandonner le jour de Noël 2008 en perdant quasiment un safran ("On s'est rendu compte que si on était capable de mettre au point un système de safrans changeables, ça pouvait sauver une course"), petit hublot placé au-dessus des safrans permettant de voir d'éventuelles algues accrochées, cockpit plus étroit destiné à centrer les poids et à faciliter la circulation du solitaire, trappe de sortie supplémentaire sous le bateau ("On s'est inspiré de ce qu'on avait fait sur les multicoques où on avait imposé deux trappes sur la coque centrale, on a rajouté de la sécurité sans prendre de poids"), une foultitude de détails donne à ce nouveau Foncia des allures de laboratoire de la course au large. Première Route du Rhum en monocoque Reste que tant d'innovations nécessitent un minimum de mise au point, or, Michel Desjoyeaux n'aura eu qu'un petit mois pour valider en mer son plan VPLP-Verdier. Lorsqu'on lui fait la remarque, l'intéressé se fait bougon, renvoyant son interlocuteur dans les cordes d'un lapidaire: "J'ai toujours dit que le bonhomme était plus important que le bateau." Et encore ? "Je ne considère pas être en retard dans ma préparation, une grosse partie du travail a été faite en chantier." Il est vrai que Michel Desjoyeaux n'a pas son égal lorsqu'il s'agit de suivre, voire de guider, la construction de ses bateaux, lui qui confiait au moment de la mise à l'eau de son Foncia: "Je suis intervenu sur tout, dans la conception jusqu'au chantier pour serrer les boulons. Je pense que de mes quatre bateaux (trois monocoques - PRB, Foncia 1, Foncia 2 - et le trimaran Géant, ndlr), c'est celui que je connaîtrai le mieux. Connaître le bateau à fond a toujours été mon leitmotiv: plus tu sais comment c'est fait, mieux tu sais t'en servir. A plus forte raison quand le délai de découverte en milieu marin est court." Mais la partie est loin d'être jouée face à une concurrence certes limitée en nombre (neuf bateaux au départ), mais particulièrement homogène et surtout fiabilisée, le plus «vieux» bateau, Akena Vérandas d'Arnaud Boissières (ex-PRB 2), ayant quatre ans d'âge. Avec ses quelques centaines de milles dans les pattes, Foncia possède-t-il les mêmes armes que les Safran, Brit Air, PRB, Groupe Bel ou Veolia Environnement, régulièrement cités parmi les vainqueurs potentiels ? "Je ne comprends pas votre question, si vous êtes déjà venu naviguer sur l'ancien bateau, vous voyez bien qu'il y a suffisamment de similitudes entre les deux, pas grand-chose n'a changé", répond «Mich' Desj'», qui ne craint visiblement pas la casse, alors même que du gros temps (30-35 noeuds) est attendu lundi au passage de la pointe de la Bretagne. "Si je n'étais pas serein, je ne partirais pas, on a monté les critères de solidité dans plusieurs zones où on n'avait pas de signes de faiblesse manifeste, mais comme les formes de coques sont différentes et qu'on va naviguer en double (sur la Barcelona World Race, tour du monde en double, qu'il courra en fin d'année avec François Gabart, ndlr), on va tirer plus dessus. Donc la moitié avant sous l'étrave, on a augmenté de 10% la résistance." Inutile d'insister plus longtemps, le «Professeur» ne lâchera pas le moindre signe extérieur d'inquiétude au moment d'aborder sa troisième Route du Rhum, sa première en monocoque, lui qui, malgré deux arrêts, avait remporté la désastreuse édition 2002 (trois multicoques sur dix-huit à l'arrivée) et terminé quatrième il y a quatre ans sur le même trimaran Géant, à qui il avait offert une dernière belle sortie (le bateau a été vendu il y a un an en Nouvelle-Zélande). "Je voulais finir proprement l'histoire avec mon trimaran, l'opération a été correctement menée. Géant en cinq ans n'a abandonné qu'une fois, sur une manche d'un Grand Prix de Lorient, le reste, transats et autres courses, il les a toutes terminées. Pour le chef de projet et skipper que j'étais, c'était une vraie satisfaction d'avoir gardé le bateau." Une satisfaction que le "roi du solitaire" tentera de prolonger sur cette Route du Rhum 2010, avec l'objectif plus ou moins affiché de faire beaucoup mieux...