Une épine dans le talon

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SYLVAIN LABBE, envoyé spécial , modifié à
En faisant le choix... de ne pas choisir et de retenir trois talonneurs pour partir en Coupe du monde, Marc Lièvremont s'est exposé à un dilemme cornélien entre William Servat, fer de lance de la mêlée tricolore, et l'explosif Dimitri Szarzewski, en même temps qu'à une gestion des egos des plus délicates entre ces deux gros tempéraments et un 3e homme, Guihem Guirado, lui aussi exemplaire.

En faisant le choix... de ne pas choisir et de retenir trois talonneurs pour partir en Coupe du monde, Marc Lièvremont s'est exposé à un dilemme cornélien entre William Servat, fer de lance de la mêlée tricolore, et l'explosif Dimitri Szarzewski, en même temps qu'à une gestion des egos des plus délicates entre ces deux gros tempéraments et un 3e homme, Guihem Guirado, lui aussi exemplaire. Marc Lièvremont était prévenu. Et c'est en toute conscience que le sélectionneur national, à l'heure réduire de manière définitive son groupe à trente joueurs pour la Coupe du monde, avait pris l'option de s'envoler pour la Nouvelle-Zélande avec trois talonneurs dans l'avion. Le fruit d'une évolution dans sa réflexion tout au long des deux mois de préparation. A l'origine, le sélectionneur tricolore avait sa religion sur la question: "Au départ, sur la liste initiale, j'avais fait le pari de prendre deux talonneurs", rappelait-il encore cette semaine. Mais la blessure en finale du Top 14 d'un William Servat et la nécessité de lui adjoindre Guilhem Guirado en tant que doublure durant la préparation aura fini par changer la donne. Le Catalan, exemplaire dans la vie du groupe malgré son statut incertain, mais aussi convainquant lors de sa rentrée face à l'Irlande en match de préparation, a finalement gagné ses galons de Mondialiste. Et c'est la confrérie des piliers qui a finalement dû subir la coupe sombre avec notamment le départ de Sylvain Marconnet. Trois, ils sont donc trois pour un poste et Lièvremont, s'il ne se plaindra pas de cette abondance de biens, se retrouve aujourd'hui confronté à un délicat jeu à trois bandes, soumis à la nécessité de redonner du temps de jeu à son n°1 en puissance, un Servat qui, avant sa titularisation face au Japon, n'avait plus rejoué depuis la finale du Top 14, mais aussi bien obligé de constater la montée en puissance d'un Dimitri Szarzewski. "Les performances de Dimitri ont été exceptionnelles sur la préparation et sur ces deux matches (face à l'Irlande). Il est sans doute actuellement au meilleur niveau auquel il ait pu jouer. C'est certainement le joueur qui bosse le plus au sein de l'effectif, c'est vraiment une locomotive à ce niveau-là. Et ce serait une injure de prétendre qu'il n'a droit qu'à un poste de numéro deux", n'hésite pas à déclarer le sélectionneur, tout en ne pouvant décemment pas se permettre aujourd'hui de laisser Guirado au frigo toute la durée du Mondial. "Il a le droit de jouer. C'est pour ça que c'est un choix difficile de prendre trois talonneurs..." Vers une titularisation de Szarzewski face aux Blacks Pourtant, dimanche encore, face au Canada, c'est Servat qui débutera avec le numéro deux sur le dos et enchaînera un nouveau match en tant que titulaire. Là encore avec la justification médicale à l'appui, brandie par Lièvremont, qui lance Guirado dans la peau du remplaçant (voir par ailleurs). "Ce n'est pas un déchirement, j'en avais parlé à Dimitri, qui est un de nos joueurs les plus en forme en ce moment, mais William Servat a besoin de jouer" Pour Szarzewski, ainsi exclu de la feuille de match, la pilule pourrait être difficile à avaler. Surtout lorsqu'on se remémore les propos du Parisien à l'annonce de la première composition face au Japon et sa déception évidente de n'entamer cette Coupe du monde une fois encore que dans la peau de la doublure: "J'ai entendu ce qu'il a dit, bien sûr que ça fait plaisir, mais si j'avais eu le numéro deux dans le dos, ça aurait été encore mieux !, relevait-il ainsi, à l'évidence amer. Ça fait mal, même si je m'y attendais un peu depuis Dublin. [...] Il y a huit mois, je ne pensais pas être de cette Coupe du Monde alors, même si je suis frustré de ne pas être titulaire, je relativise. Et puis, je suis dans le groupe alors, par respect pour ceux qui n'y sont pas, je n'ai pas le droit de me plaindre. [...] Mais quand mon fils me dit: « Papa, pourquoi t'es remplaçant ? Ça me fait chier. » A moi d'être encore meilleur pour faire changer d'avis le staff à mon sujet." Une religion pourtant bien établie. Servat titulaire et Szarzewski pour le suppléer en seconde période, c'est le schéma privilégié sous l'ère Lièvremont, qui explique ainsi sa logique dans la gestion des deux joueurs: "De par la densité physique d'un William Servat, le fait qu'il rassure ses premières lignes sur les phases de combat collectif, rend souvent plus intéressant de le faire débuter, puis de faire rentrer Dimitri en cours de match." Une logique que Lièvremont semblait à même d'amender lorsqu'il déclare avant d'affronter le Japon: "William est un immense compétiteur, mais il doit refaire ses preuves quelque part. Nous montrer qu'il est compétitif." Servat, pour sa rentrée, n'a non seulement pas déçu, mais il aura été le fer de lance que l'on connaît du paquet d'avants tricolores. Ce qui amenait Szarzewski, avant même la rencontre, à ne se faire guère d'illusions sur la possibilité de voir les cartes ainsi rebattues: "J'ai échangé avec lui (Lièvremont), mais je ne l'ai pas entendu de cette manière-là. Il a voulu mettre un coup de pression à William, dire que j'avais fait de bons matches, une bonne préparation,.. Mais je pense que dans sa tête, il a déjà son équipe." Cette fameuse équipe type appelée à affronter les Blacks la semaine prochaine. Et pourtant il aura suffi d'une petite phrase du sélectionneur cette semaine au sujet des cadres que sont Thierry Dusautoir, Nicolas Mas, Lionel Nallet et, on peut le penser, par voie de conséquence Szarzewski pour mettre la puce à l'oreille : " Évidemment que ce n'est pas une sanction (de ne pas jouer contre le Canada). Ils joueront les matches à enjeu." Une déduction évidente pour les uns, Szarzewski, lui, patientera pour en avoir le coeur net. Il attend ce moment depuis si longtemps...